Plongés dans un monde « masqué », les sourds et malentendants ont des frustrations

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Un nouveau monde avec des obstacles et plus sombre. Depuis la généralisation du port du masque, les choses vont de mal en pis pour Mélissa Laroche, malentendante. Incapable de lire sur les lèvres des personnes, cette employée d’une grande surface est fatiguée.

Derrière l’écran de la conversation zoom, l’idéal pour permettre la fameuse « lecture labiale », la voix de cette ancienne élève du Centre Jules-Léger, à Ottawa, se fait chevrotante.

« Je travaille au service à la clientèle. Un jour, je n’avais pas l’idée que quelqu’un était en train de me parler. J’ai ignoré sans faire exprès cette cliente, car je ne l’avais pas entendue. Quand j’ai dit à la cliente que je n’entendais pas, elle a déposé une plainte à mon gérant. En réalité, je ne comprends pas toujours, et le port du masque rend les choses plus difficiles. »

Pas question cependant pour ses patrons de briser la confiance, même si peu de clients possèdent la maîtrise de la langue des signes.

« Mes habitudes ont un peu changé. Avant, grâce à la lecture labiale, je pouvais comprendre 80 % de ce que les gens disaient, mais maintenant… Les salles d’essayage, je ne fais plus. Aussi, je n’accueille plus les clients aux portes. Mes patrons n’ont pas voulu que mon estime de moi diminue. Ils sont là pour me supporter quand j’ai besoin d’en parler. »

Au moment de la distribution des premiers masques en juin, Mélissa Laroche, que nous avions alors rencontrée, se disait « inquiète ».

Six mois plus tard, le ton est plus grave.

« La surdité ne se voit pas, donc porter des jugements, ce n’est pas correct! »

Mélissa Laroche, ancienne élève du Centre Jules-Léger. Gracieuseté

Aller au supermarché, c’est aussi la crainte de Wesley Falardeau depuis la généralisation du port du masque au début de l’été. Ses demandes au personnel pour retirer leur masque ne sont pas satisfaites.

Écrire « des affaires sur le papier » pour communiquer avec les employés, le travail peut être vite exténuant. Sa conjointe se charge donc d’aller dorénavant à l’épicerie, « quand elle est capable de le faire ».

Installé depuis peu à Windsor, Wesley Falardeau cherche activement un emploi. Là encore, le masque peut être source de longues explications.

« Je suis allé au Collège Boréal pour avoir accès aux ordinateurs. J’ai demandé au superviseur s’il pouvait retirer son masque pour lui parler. Il a finalement reculé de sept pieds et a enlevé son masque », explique cet ancien élève du Centre Jules-Léger.

D’autres personnes malentendantes ont plus de chance.

C’est le cas de François*, lequel travaille dans des bureaux gouvernementaux. L’essentiel de ses tâches peut se faire par télétravail, et sans le port du masque.

Un bémol toutefois.

« Ça reste plus difficile qu’en personne, car c’est pas le champ naturel. En réunion, c’est mécanique, et certaines personnes n’articulent pas. Parfois, le son n’est pas clair. S’il y a des bouts que je manque, j’ai la chance d’avoir un collègue de confiance qui a assisté aussi à la réunion et qui peut m’expliquer. »

L’enjeu du masque transparent

Les solutions existent pour les personnes soudes et malentendantes. Nos intervenants sont unanimes. Pour pallier la difficulté de l’absence des signes, le port d’un masque transparent peut s’imposer comme la solution idoine.

LES PERSONNES SOURDES ET MALENTENDANTES AU CANADA :

Selon l’Association des Sourds du Canada, il existerait 357 000 Canadiens culturellement Sourds et 3,21 millions de Canadiens malentendants, l’équivalent d’un dixième de la population.

« On est en contact avec différentes compagnies », explique Hélène Hébert, présidente du Réseau québécois pour l’inclusion sociale des personnes sourdes et malentendantes (ReQIS).

« Pour le moment, Santé Canada accepte les masques transparents qui viennent des États-Unis, mais une autre partie du travail reste à faire. »

Et cette autre partie du travail pour Mme Hébert passe par la sensibilisation. « Ce qui va aider, c’est de connaître la langue des signes pour communiquer avec la personne sourde, mais la langue des signes, ne pas la connaitre, ça crée une barrière. »

Et de poursuivre : « En tant que personne sourde et malentendante, je dois dire que nous sommes très expressives. Si on ne parvient pas à faire la lecture labiale, on va communiquer à l’écrit, et faire des plus grands gestes. En tant que personne sourde, je peux aussi demander un papier pour me faire comprendre. »

Entre une personne malentendante et sourde, les obstacles face au port du masque demeureraient aussi grands… ou presque pour Mme Hébert.

« Une personne malentendante peut quand même s’exprimer à l’oral, mais une personne sourde ne peut pas le faire, d’où le besoin de pouvoir écrire. On peut dire qu’une personne malentendante fait tout de même partie de la communauté entendante. »

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Quoi qu’il en soit, les différents paliers de gouvernements ont dû s’adapter aux personnes sourdes et malentendantes. Le Québec tout comme l’Ontario qui ont déclenché l’État d’urgence respectivement les 12 et 17 mars contre la pandémie ont perfectionné leur communication dans ce sens.

« Au-delà du sous-titrage, il n’y avait pas l’interprétation dans la petite bulle en bas de l’écran. Finalement, grâce aux associations, le gouvernement du Québec les a mises. Moi-même, j’ai participé à un comité de consultation avec des représentants de toutes les provinces. Preuve que c’est un travail de sensibilisation permanent. »

Au Centre Jules-Léger, les petites classes aident

Du côté du Centre Jules-Léger, l’établissement qui a formé nos trois intervenants malentendants, on tente aussi de concilier le port du masque avec les distances de sécurité. Vingt-deux des 70 élèves du centre sont sourds ou malentendants.

« On a des petites classes en fait », explique Jean-François Boulanger, directeur général du Centre Jules-Léger. « On a huit élèves par classe, et on peut enlever le masque dépendamment de la distance. L’enseignant porte un masque transparent avec une visière qui couvre la bouche. »

Par ailleurs, M. Boulanger le reconnaît, « les élèves communiquent facilement avec la LSQ, et peuvent aussi lire sur les lèvres ».

L’utilisation soudaine de la LSQ par un client, voilà l’un des rares baumes au cœur de Mélissa Laroche sur son lieu de travail.

« Une personne s’est mise l’autre jour à me parler avec la langue des signes. Ça m’a tellement fait chaud au cœur. »

* Le prénom a été volontairement changé pour respecter la demande d’anonymat de la personne en entrevue

La suite de notre grand dossier sur les personnes en situation de handicap pendant la pandémie, demain, sur ONFR.orgMardi, lisez La COVID-19, un obstacle supplémentaire pour les aveugles