Portrait du chemin Roxham : « Nous n’aurions jamais laissé notre pays »

Esperantine Desardouin et sa famille ont traversé le chemin Roxham en août dernier. Crédit image: Lila Mouch

CORNWALL – Quelques jours avant la fermeture du chemin Roxham, ONFR+ est allé à la rencontre d’une mère de famille francophone installée à Cornwall, en Ontario. Il y a quelques mois, Esperantine Desardouin, son mari Philippe et leurs deux enfants ont traversé le chemin Roxham. Après avoir fui Haïti, leur quête pour une vie meilleure pourrait s’achever ici, à Cornwall, là où la famille Desardouin trouve tous les jours un peu plus de confort.

Pourtant, rien n’est certain puisqu’une aucune décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) n’a encore été donné.

« Ce n’est pas facile. Non, ce n’est pas simple de prendre la décision de traverser une frontière illégalement. »

Au milieu du mois de mars, alors que le dossier du chemin Roxham atteint son paroxysme, l’Association des communautés francophones de l’Ontario Sturmont – Dundas et Glengarry (ACFO SDG), très impliquée auprès des demandeurs d’asile, nous avaient présenté Mme Desardouin.

À sa rencontre, nous ne savons pas à quelle histoire nous attendre. La plupart sont des mères, des pères et des enfants qui risquent leurs vies pour s’installer au Canada. Une terre d’accueil pour eux. La réputation du pays représente dans l’esprit collectif un paradis de l’immigration.

Dans les yeux d’Esperantine Desardouin, la paix était inévitablement au bout du chemin. Le chemin… c’est Roxham.

« Je n’avais jamais rien fait d’illégal dans ma vie » – Esperantine Desardouin

Mme Desardouin et sa famille avaient déjà entendu parler du passage entre les États-Unis et le Canada.

« Nous avons entendu parler du chemin Roxham à la télévision. En fait, c’est très connu, les gens en parlent sur les réseaux sociaux aussi. »

Traverser la frontière malgré les risques

L’histoire d’Esperantine Desardouin est semblable à celle de nombreux demandeurs d’asile.

« Si notre vie n’était pas en danger, nous n’aurions jamais laissé notre pays. Si notre vie n’était pas en danger, à aucun moment, nous n’aurions pas laissé nos amis, nos parents, nos emplois. »

En Haïti, Mme Desardouin travaillait pour l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Pendant 11 ans, elle occupait un poste de responsable.

« J’ai travaillé dans le secteur de l’immigration, je connais les lois. Pourtant, j’ai fait ce que, normalement, on dit de ne pas faire. Je suis passée à côté du message que je veux faire circuler. »

La mère de famille l’admet : « Quand on est de l’autre côté de la barrière, là, on comprend que ce n’est pas si facile. Je comprends maintenant. »

Les larmes aux yeux et la culpabilité grandissante, Mme Desardouin explique : « Je me sentais très mal, je me suis trouvée dans une situation contraire à mes valeurs. »

Esperantine Desardouin et son mari, Philippe Desardouin travaillent à Cornwall pour l’ACFO SDG. Crédit image : Lila Mouch

« Je n’avais jamais rien fait d’illégal dans ma vie », a-t-elle précisé.

Au fil de la conversation, Esperantine Desardouin partage avec nous les détails de sa fuite. Il parait inconcevable aujourd’hui qu’Haïti perde de sa superbe. Pourtant, le récit de Mme Desardouin fait froid dans le dos.

Haïti en proie aux gangs

En juin 2022, la famille Desardouin décide de prendre un peu de répit avant la rentrée scolaire des enfants. Un long voyage aux États-Unis les attend.

Alors qu’ils sont à Boston, la famille apprend que leur quartier est maintenant contrôlé par des gangs. Haïti est en proie à une violence inouïe. Depuis plusieurs années maintenant, les gangs tuent, violent et pillent de nombreux quartiers. Avec le meurtre du président Jovenel Moïse en juillet 2021, un climat de terreur permanent s’est installé.

« Je ne pensais pas un jour devoir chercher une terre d’accueil » – Esperantine Desardouin

Pour Esperantine et Philippe Desardouin, il n’est pas question de risquer la vie des enfants et de la grand-mère qui les accompagne.

« Nous avons laissé nos enfants et leur grand-mère à Boston et nous avons essayé de rentrer chez nous. En fait, l’insécurité avait totalement gagné notre quartier et notre maison. C’est devenu une zone de non-droit, interdite, occupée par les gangs. »

« C’était fini, on avait tout perdu », a-t-elle dit, très émue.

Dans une longue respiration, elle reprend : « Des gens sont brûlés vifs dans la rue et il y a eu des cas de kidnapping. »

Soudainement démuni, c’est à Pétion-ville chez des membres de leur famille que les Desardouin s’étaient retranchée. Pour la mère de famille, il fallait retrouver les enfants et une solution rapidement.

« Voir qu’on ne peut même pas rentrer chez soi, c’est vraiment terrible. Je n’avais jamais imaginé qu’un jour, je ne puisse pas rentrer dans mon pays. Je ne pensais pas un jour devoir chercher une terre d’accueil, jamais, je n’y avais pensé. »

« Ce qui se passe dans mon quartier, c’est la même chose à l’échelle du pays. Je suis en contact avec certains membres de ma famille et à présent de nombreuses zones sont dévastées, la majorité des gens ont quitté les lieux, beaucoup se sont déplacés. »

Le Canada, une terre d’accueil

Pour la famille, il n’a pas été possible de rester aux États-Unis. « On s’est demandé où aller. Puis la question de la langue s’est posée. Nous sommes francophones. Ensuite, l’éducation de mes enfants m’importe beaucoup donc nous avons décidé de traverser Roxham et d’aller au Canada. »

« Notre choix était de rester au Québec justement pour le français », ajoute-t-elle. « En fait, je ne savais pas qu’il y avait d’autres villes au Canada où on parlait français. »

À la friperie de l’ACFO, Esperantine et de nombreux bénévoles sont issus de l’immigration récente à Cornwall. Crédit image : Lila Mouch

Lorsque Mme Desardouin et sa famille ont emprunté le chemin Roxham, ils ne savaient pas que le périple était encore loin d’être terminé. Arrêté à la frontière, personne ne savait ce qui allait se passer. « On ne savait pas si on allait nous renvoyer aux États-Unis ou même en Haïti. »

« Je dois rendre, partager, redonner ce que le Canada m’a donné »  Esperantine Desardouin

« Nous avons passé 26 heures debout sans dormir, à attendre et à se demander ce qui allait bien nous arriver. Finalement, nous avons eu une chambre dans un hôtel au Québec et le lendemain matin, on était dans un bus pour Cornwall, vers le centre Devcore. »

La mère de famille se souvient avec détail chaque heure de ce voyage. Elle explique, aussi, avoir été perdue. « On ne sait pas combien de temps, on allait être là et si ça allait être transitoire. »

Aujourd’hui, cela fait sept mois que la famille est installée. Les enfants sont scolarisés à l’École secondaire L’Héritage, une école francophone de Cornwall. Esperantine et Philippe Desardouin travaillent avec l’ACFO SDG, comme bénévole au sein du projet de friperie et comme employés par l’organisme. « Je dois rendre, partager, redonner ce que le Canada m’a donné », estime-t-elle.

La famille attend toujours une protection. Leur audience avec le CISR (Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada) n’a pas encore été fixée.

« Nous sommes chanceux, nous sommes reconnaissants, mais il est vrai que la peur existe toujours, je n’ai pas eu encore mon rendez-vous pour l’audience. »

La peur de partir, la peur de devoir arracher cette nouvelle stabilité à ses enfants. Elle le dit : « Ils sont épanouis, je le vois dans leurs yeux. »

Pour l’instant, la mère de famille ne voit pas d’avenir ailleurs et tant que la sécurité ne sera pas garantie dans son pays, elle espère ne pas rebrousser chemin.

« Retourner pour aller où? », se demande-t-elle. « J’espère un jour y retourner, mais pas maintenant. »

« Puis, qu’est-ce qui arrivera à mes enfants? », s’inquiète-t-elle. « Leur faire vivre un autre déplacement, plier bagage? Non, je ne veux pas. »