« Quand on est noirs, on ne nous fait pas confiance » : le combat des entrepreneurs noirs

ONTARIO – Démarrer une nouvelle entreprise n’est jamais une mince affaire, mais pour les minorités visibles le défi peut s’avérer encore plus insurmontable. À quelques jours de la fin du mois de l’Histoire des noirs, ONFR a recueilli le témoignage de quelques-uns de ces jeunes entrepreneurs qui veulent briser les idées reçues et faire un impact.
Derrière les entreprises et les succès, il y a des humains avec des parcours inspirants et parfois difficiles. Rolande Nkwasseu gère depuis 2021, RolyCleaning ProMax, sa propre entreprise de nettoyage à plein temps dans le Grand Sudbury.
Avant de se lancer dans cette nouvelle aventure, la jeune femme originaire du Cameroun travaillait dans la restauration rapide ou encore dans des foyers pour personnes âgées, mais les choses ne se sont pas passées comme elle aurait voulu.
« En tant que minorité visible, j’avais de la misère à m’affirmer au travail. Quand je trouvais du boulot, le traitement était complètement différent seulement de par le fait que je suis noire », explique celle qui détient un baccalauréat en psychologie, philosophie et travail social.

La Franco-Sudburoise dit avoir beaucoup souffert de mauvais rapports avec des collègues : « Les gens se permettaient de dire n’importe quoi, que je suis lente et quand j’allais me plaindre auprès du superviseur c’était toujours moi qui étais à la source du problème. J’étais comme une boniche. »
Depuis qu’elle est à son propre compte, la jeune femme se dit beaucoup plus sereine et le succès est tel qu’elle emploie aujourd’hui une dizaine de personnes.
Des barrières systémiques
Du côté de Toronto, Gernina Marilyne Mombili est en plein processus de création de son entreprise Sarayu Brand : une marque de vêtements pour femmes noires rondes. Elle dit aussi avoir dû faire face à plusieurs barrières du fait de ses origines qui retardent le lancement du projet.
« Sous prétexte que je suis africaine, souvent, il y a toujours cette négociation pour avoir le tarif à la baisse sur les vêtements, sur les commandes, sur les prestations de service. Quand on est noirs, on ne nous fait pas confiance contrairement aux personnes blanches d’entrée de jeu », estime celle qui a aussi créé un service de développement personnel en ligne.

Selon celle qui est aussi la directrice de la Coalition des Noir.e.s Francophones de l’Ontario (CNFO), accéder à des subventions est plus difficile quand on est une personne noire et francophone, tout comme le fait de générer des revenus au début du projet.
« Il y a très peu de projets qui sont mis en place pour que les entrepreneurs noirs francophones puissent avoir accès à des fonds. Souvent, à l’année, on peut avoir deux, trois, quatre subventions au maximum, mais cela reste très compliqué pour les membres de notre communauté. »
Et d’ajouter : « Il y a aussi le fait que, souvent, on fait partie de la même communauté que nos clients, donc la personne peut faire une commande, et te dire ‘’ je vais te payer deux semaines plus tard parce que je n’ai pas d’argent’’. C’est très difficile, mais on n’a pas le choix, car on veut publiciser notre marque. »
De nouveaux programmes dédiés
Malgré tout, la hausse récente du nombre d’immigrants au pays a permis la création de quelques programmes comme la Subvention pour le soutien aux entrepreneurs racisés et autochtones (SERA), lancé en 2022 par le gouvernement ontarien ou encore le Programme d’appui des entrepreneurs noirs du nord de l’Ontario (PAENNO) de propulser la même année, par le gouvernement fédéral.
Basé à Sudbury et opéré au sein de l’Afro-Heritage Association of Sudbury, ce dernier a déjà permis d’aider plus de 120 entreprises dirigées par des Noirs à atteindre leurs objectifs, selon l’organisme.

« J’ai co-fondé PAENNO parce que je me suis rendu compte qu’il y avait un manque dans l’écosystème pour l’encadrement des entrepreneurs noirs. J’ai constaté que les gens arrivent au pays avec, sans soutien et qu’ils ne peuvent pas rester et faire grandir leur projet dans nos communautés », confie le directeur général, Chamirai Charles Nyabeze.
Pour les francophones, il y a aussi des programmes pour les entrepreneurs, mais celui-ci n’est pas dédié spécifiquement aux personnes noires. Gernina Marilyne Mombili a pu suivre celui de ImpactOntario, un programme en ligne et gratuit qui aide les nouveaux entrepreneurs de Toronto.
Différences culturelles, accès à du capital
M. Nyabeze tient à le rappeler : « Le défi, c’est que lorsque vous avez l’air différent, que vous sonnez différent, que vous avez une culture différente, cela fait vraiment une différence. »
L’une des plus grandes difficultés que celui qui est également entrepreneur rencontre à titre de gérant du PAENNO est que les entrepreneurs noirs ne sont pas tous à l’aise avec l’idée de créer un plan d’entreprise ou viennent d’autres pays et ne connaissent pas le marché canadien.
C’est le cas de Rolande Nkwasseu : « Dans mon pays d’origine, j’étais une très grande femme entrepreneure. Je vendais des chaussures, des vêtements, des bijoux. J’aimais beaucoup cette partie de moi et quand je suis arrivée au Canada et que je ne pouvais (pas) continuer dans ce rôle, ça a été un choc. »
Pour Chamirai Charles Nyabeze, il existe un ennemi numéro un pour la création d’entreprise des personnes noires : « Nos entrepreneurs se plaignent toujours qu’ils ont de la difficulté à accéder au capital. Mais le problème, c’est qu’ils n’ont pas nécessairement la cote de crédit nécessaire pour avoir accès à des capitaux ou un plan d’affaires prêt, ni le nombre d’années au Canada pour y être admissibles. »

Être une personne noire dans une petite communauté rurale du Nord, ne pas avoir de réseau ou un nom connu dans le milieu des affaires canadien : autant d’autres défis auxquels ces entrepreneurs sont confrontés.
Tariffs américains et croissance des petites entreprises
Avec la menace tarifaire qui pend sur le commerce au Canada, on pourrait croire que se lancer en affaires sera encore plus complexe.
Ce n’est pas l’avis de M. Nyabeze qui y voit, bien au contraire, une opportunité pour les entrepreneurs qui commencent bien souvent avec des entreprises de petite taille.
« La situation géopolitique force la localisation de la chaîne logistique. Cela signifie que les petites entreprises sont, en fait l’endroit, où la croissance va se produire à cause de situations comme les tariffs. Nous voyons donc les droits de douane comme une occasion de faire croître notre base de petites entreprises. »
Si pour l’instant la plupart des petites entreprises lancées par des personnes noires du PAENNO sont considérées comme faisant partie de l’entrée de gamme comme le nettoyage, la restauration rapide, la vente au détail, l’organisme dit vouloir prouver qu’il est possible de faire élargir et faire grandir le potentiel commercial de la communauté.
De leur côté, Gernina Marilyne Mombili et Rolande Nkwasseu ont pour objectif, respectivement, d’ouvrir une boutique physique à Toronto pour la vente de vêtements pour femmes noires rondes, et un magasin de chaussures et autres bijoux à Sudbury.