
Quand on veut, on ne peut pas toujours : nouveaux regards sur l’infertilité

Les couples canadiens n’échappent pas au recul de l’âge du premier enfant, ce qui demeure le premier facteur d’infertilité et touche désormais 1 couple sur 6. Et lorsque les prédispositions à concevoir manquent pour les familles LGBTQ+ ou monoparentales, les alternatives restent hors de prix pour beaucoup. Au cœur de cette Semaine canadienne de sensibilisation à l’infertilité, la difficulté à donner la vie nous rappelle qu’elle reste un parcours tout aussi difficile qu’imprévu.
Bien que les troubles liés à l’infertilité émanent des femmes pour un tiers des cas et des hommes pour un plus peu d’un quart, le stigma semble peser plus lourdement sur ces premières.
« Les femmes ont l’habitude de garder pour elles tout le fardeau de l’infertilité », souligne la directrice générale de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC), Dre Diane Francœur, qui a mis sur pied une clinique de fertilité publique au Québec lorsqu’elle était cheffe du département.
Elle ajoute par ailleurs que bénéficier de services de santé en français dans cette spécialité fait souvent consensus au sein des patients. « On est tellement sous le choc du diagnostic et de toutes les conséquences, qu’on ne comprend rien », ajoute-t-elle.
La lourdeur et complexité des traitements de procréation médicalement assistée (PMA) tels que la fécondation in vitro (FIV) et l’insémination intra-utérine (IIU) commencent à devenir une réalité pour beaucoup de couples.
Même si plus de financement pour les traitements vient d’être dévoilé dans certaines plateformes électorales, la Dre Karen Splinter qui pratique dans le Grand Sudbury remarque que ses patients viennent souvent de loin pour la voir. « Ces patients devraient bénéficier de plus au vu de leur accès géographique difficile, puis de les faire attendre parfois deux ans pour une FIV », déplore la gynécologue spécialisée en fertilité.
En démocratisant l’accès à la parentalité, la PMA ouvre la voie aux couples homosexuels ainsi qu’aux hommes et femmes seules, mais pour qui le coût d’un enfant grimpe bien avant la naissance.
Des parents facturés doublement
Dans la région d’Ottawa, Lise*, une mère à l’issue de sa trentaine, a accouché ce mardi afin de commencer une nouvelle vie monoparentale. Il lui a fallu six ans d’essais et presque de 70 000 dollars pour obtenir une grossesse.
« Je ne pense pas que ce soit un choix. Vient un temps où tu te demandes si tu dois faire le deuil de ne pas avoir d’enfant, ou tu essaies de le faire par toi-même », confie la jeune maman.
Malgré le fait que les Ontariennes de moins de 43 ans sont éligibles à un cycle de FIV gratuit et couvert par le gouvernement, les dépenses associées en sont exclues et les chances de réussites variables garantissent de loin une fécondation du premier coup.
C’est pourquoi les cycles de FIV réalisés en cliniques privées constituent un déclencheur d’inégalités important face à la parentalité pour les patients.

À Toronto, depuis trois ans, la Fondation des amis de la fertilité travaille avec des cliniques à l’échelle provinciale et nationale pour distribuer des bourses aux patients en fertilité.
« On développe des relations avec des centres comme Sherbourne Health à Toronto et aussi avec Le 519 à Toronto », affirme le vice-président de la fondation, Kevin Heeney, qui s’érige également comme principal connecteur envers la communauté LGBTQ+.
C’est en tant que boursière que Lise a pu finalement réaliser sa première fécondation, après les nombreux premiers essais dont elle a assumé les frais. « J’ai pu échanger avec un parent monoparental aussi pendant une des sessions. Au-delà de juste l’argent, c’était aussi toute l’aide et le soutien qu’on recevait », précise-t-elle.
En Ontario, le coût d’une FIV oscille entre 10 et 15 000 dollars par cycle, sans compter le coût d’une mère porteuse qui s’ajoute souvent à la liste de dépenses des couples LGBTQ+.
Le vice-président de la fondation estime que les bourses aident à fonder des familles qui autrement n’auraient jamais vu le jour. « Nos bourses de 5 000 dollars peuvent atteindre une valeur allant jusqu’à 30 000 dollars », assure le Kevin Heeney.

De plus, les dépenses pour une gestation pour autrui (GPA) restent très encadrées par la loi. L’avocate spécialisée en maternité de substitution, Michelle Flowerday, précise que seuls les remboursements liés aux dépenses restent possible mais sont très régulés.
« Si les parents payent une mère porteuse, les conséquences sont actuellement criminelles. C’est 500 000 $ ou 10 ans en prison » dit la fondatrice de Plaid Fertility Law.
Immigrer au Canada pour fonder leur famille, telle est l’initiative pour laquelle bien des couples ont opté. Selon Kevin Heeney, l’aspect émotionnel des couples LGBTQ+ est plus lourd au vu des frais qui sont rarement atteignables.
Entre la vie et la loi
Manon Chabot est une Franco-Ontarienne, qui s’apprête à se lancer dans une nouvelle aventure de GPA pour aider un couple d’hommes arrivé depuis la France pour fonder leur famille.
« On est chacun représenté par un avocat différent, mais on travaille bien ensemble », révèle la mère porteuse.
Michelle Flowerday explique que les contrats de maternité de substitution capturent une panoplie de droits et obligations prénatales liant les couples et les mères porteuses, tels que les dépenses, le mécanisme de transfert de la parentalité ou encore la question de confidentialité.

Ici encore, une GPA réalisée avec une mère porteuse francophone a le bénéfice d’harmoniser la compatibilité et la relation entre mères porteuses et les couples. « On va toujours s’assurer que les personnes impliquées sont préparées pour bien comprendre leur engagement », soutient l’avocate.
Les dons d’ovocytes et de sperme sont également privés de rémunération, tant ces biens ne sont pas vus comme des marchandises au Canada. Ces dons continuent d’ouvrir l’accès aux couples rencontrant des troubles de fertilité.
À Toronto, Aziz M. poursuit Santé Canada devant la Cour suprême pour discrimination implicite contre une réglementation qui empêcherait les hommes gais à donner du sperme. « J’ai pu donner sans problème à l’époque. J’ai apprécié le fait que ça donne beaucoup de sens à ma vie, et que ça aide vu qu’il y a très peu de donneurs au Canada », confie-t-il.
Ce jeudi, certains monuments des villes seront illuminés en vert pour sensibiliser les Canadiens et briser les idées préconçues sur ce trouble : « On connait tous quelqu’un qui a fait l’in vitro », lance Dre Karen Splinter.
*Le prénom a été changé pour préserver l’anonymat de l’intervenante.