Réforme de l’aide juridique : quel impact pour les Franco-Ontariens
TORONTO – Le procureur général de l’Ontario ambitionne de transformer les services d’aide juridique tels qu’on les connaît. Si la Loi 161 est adoptée au printemps prochain, elle mettra en place des changements qui impacteront les justiciables francophones.
Allégée de 133 millions de dollars par le gouvernement dans ses arbitrages budgétaires du printemps dernier, Aide juridique Ontario (AJO) – qui appuie notamment 72 cliniques juridiques à travers la province – doit jongler avec des ressources limitées et des besoins croissants.
Cette équation ardue a conduit le gouvernement à suspendre une deuxième salve de compressions et à réfléchir à une nouvelle approche qui gomme, en partie, les conséquences de son tour de vis, tout en garantissant la livraison de services de qualité au plus grand nombre.
Outre des améliorations techniques sur les recours collectifs dans les deux langues officielles du Canada et sur la traduction de textes législatifs, la future loi, qui a toutes les chances d’être adoptée, accorde une place significative à la transformation de la Loi sur les services juridiques, dont dépend AJO.
Un mandat élargi avec des ressources limitées
« On peut considérer que c’est une nouvelle loi », analyse le juriste François Larocque. « On veut remplacer la Loi en vigueur depuis 1998 par celle qui est proposée » en opérant un « changement majeur dans son mandat. »
Actuellement, c’est un système conçu pour les personnes à faible revenu, note l’expert.
« Sachant que les Franco-Ontariens, en termes socio-économiques, ne sont pas toujours les mieux nantis, ils pouvaient jusqu’ici se prévaloir de leurs modestes revenus pour revendiquer ou protéger leurs intérêts en matière de logement ou d’aide sociale, par exemple. »
« On a retiré la mission centrale d’Aide juridique Ontario axée sur les personnes à faible revenu » – François Larocque
Mais un changement de langage dans le texte vient bouleverser la donne, selon le professeur de droit de l’Université d’Ottawa. « On ne dit plus que AJO « doit » aider mais qu’elle « peut » aider les personnes à faible revenu. On passe de l’obligation à la discrétion. »
« Les gestionnaires vont pouvoir exercer une discrétion et continuer à offrir des services moindres, à la lumière du financement qui demeure réduit par rapport au niveau antérieur », en conclut-il. « On a retiré la mission centrale d’Aide juridique Ontario axée sur les personnes à faible revenu. »
Les francophones explicitement mentionnés
Mais tout n’est pas noir pour les justiciables francophones. En élargissant le public cible d’AJO, le gouvernement prend le risque de moins bien desservir les personnes les plus vulnérables, certes, mais dans le même temps, il reconnaît formellement les besoins des communautés autochtones et francophones.
« C’est un développement intéressant sur le fond », considère Me Larocque. « Dans les deux premières versions de la Loi, rien n’explicitait qu’on devait tenir compte de ces deux populations. C’est une première. »
Le projet de loi met donc en place une discrétion, mais une discrétion dirigée, en établissant une forme de priorité concernant les francophones et les autochtones. Un moindre mal, selon plusieurs observateurs.
Au niveau des francophones, « l’élargissement du mandat est important pour les cliniques, mais aussi pour les membres du barreau privé qui utilisent les programmes de certificat pour livrer des services d’aide juridique », insiste Caroline Mulroney.
Dans une lettre envoyée à différents intervenants, la ministre des Affaires francophones invite ceux qui le veulent à comparaître devant le comité permanent qui se penchera sur le projet de loi, avant de passer devant la législature, pour donner leurs commentaires et identifier d’éventuelles lacunes.
Des services plus rapides
Dans la version antérieure de la loi, « la prestation des services relevait de lois et règlements qui ne permettaient pas de combler rapidement les lacunes ou de régler les problèmes en matière de services », estiment quant à eux les juristes d’AJO.
« Avec la nouvelle loi », escomptent-ils, « la prestation de services sera régie par nos propres règles, ce qui signifie que nous pourrons développer et mettre en place des services et des politiques qui nous permettront de mieux servir l’ensemble de nos clients, y compris les francophones, et de collaborer plus efficacement avec les prestataires de services. »
« Nous serons en mesure de réagir plus rapidement, ce qui profitera aux avocats et aux clients » – Aide juridique Ontario
Cette législation permettrait d’assigner un avocat aux clients ne pouvant pas en trouver un, de mettre en place un processus d’appel moins encombrant ou encore, d’ajuster rapidement le mode de paiement des avocats.
« Nous serons en mesure de réagir plus rapidement, ce qui profitera à la fois aux avocats et aux clients », estiment les juristes de l’AJO qui s’alignent sur les propos du procureur général de l’Ontario, Doug Downey.
En 2019-2020, le total de fonds gouvernementaux versés à Aide juridique Ontario équivaut à 340 millions de dollars. Un montant qui comprend le financement fédéral pour les services d’AJO aux immigrants et aux réfugiés, annoncé au mois d’août.
Cette aide ponctuelle de 25,7 millions de dollars avait permis de ramener les services d’aide juridique aux immigrants et aux réfugiés aux niveaux d’avant le 15 avril 2019, date à laquelle certains de ces services avaient faits les frais des compressions provinciales.