Rivière des Français, communauté tissée serrée
[VIRÉES D’ÉTÉ]
RIVIÈRE DES FRANÇAIS – La Municipalité de la Rivière des Français a été créée en 1999, lors des fusions municipales ontariennes. Elle regroupe les villages de Noëlville, Alban, Monetville et Ouellet. Elle tient son nom de la rivière qui la traverse, elle-même nommée ainsi par les Ojibwés de la région, car elle amenait des missionnaires et colons français sur leur territoire.
L’histoire de la Rivière des Français a de quoi frapper l’imaginaire. Les grands explorateurs comme Étienne Brûlé, Samuel de Champlain et Pierre-Esprit Radisson y ont circulé puisqu’elle faisait partie des voies navigables entre Montréal et les Grands Lacs. Elle se situe entre le lac Nipissing et la baie Georgienne.
L’établissement de villages permanents à l’emplacement de l’actuelle municipalité de la Rivière des Français est plus récent. Le premier colon à s’y être établi est Cyrille Monet, avec sa femme Odile Bouin et leurs enfants, en 1895. Né Alexandre Boisvert, ce grand ami de Louis Riel aurait changé d’identité après avoir participé à la révolte des Métis au Manitoba. Il serait arrivé dans la région guidé par l’autochtone Michel Maringoué.
Au gré des saisons
Aujourd’hui, Rivière des Français compte environ 2 800 habitants permanents, mais sa population s’élève à plus de 9 000 en été. L’accès à la rivière en fait un important lieu de villégiature. En plus des propriétés privées, plusieurs entreprises proposent des chalets locatifs pour les amateurs de canot, de pêche ou de baignade.
On trouve aussi de jeunes familles qui s’établissent à Rivière des Français. Selon la mairesse Gisèle Pageau, l’établissement massif du télétravail durant la pandémie a donné un élan à la municipalité. La proximité avec la ville du Grand Sudbury permet de garder un lien avec une communauté plus urbaine, tout en adoptant un style de vie plus campagnard.
La famille Séguin fait partie de celles qui ont quitté Sudbury pour emménager dans cette petite municipalité. Justin et Julie caressaient depuis longtemps le rêve de revenir dans la communauté qui les a vus grandir, lui à Alban, elle à Noëlville. La réticence de leurs trois filles a retardé le projet, mais un acte de vandalisme sur la voiture familiale a fait déborder le vase. Ils ont acheté une propriété avec 35 acres de terrain, pour la modique somme de 550 000 $.
Le but ultime : construire d’autres maisons afin d’offrir un bout de terre à chacune de leurs filles. Mais avant, construire une grange et se procurer des chevaux pour qu’elles puissent pratiquer leur passion pour l’équitation.
Aujourd’hui, toute la famille se plaît à Rivière des Français. Même le conjoint de leur aînée s’est intégré dans la communauté. Le couple vit dans un appartement attenant au garage de la maison familiale.
Un autre avantage, selon Julie Séguin, est la qualité des écoles. Avoir moins d’élèves par classe favorise un apprentissage plus personnalisé, et l’intimidation est quasi inexistante.
Lorsqu’on lui demande d’expliquer ce qui l’attirait tant de Rivière des Français, Justin Séguin n’hésite pas une seconde : « La communauté. Tout le monde est gentil et serviable. Si j’ai besoin de quelque chose, les gens viennent tout de suite. Les gens, surtout francophones, sont assez formidables », souligne celui qui s’implique au conseil municipal et comme pompier volontaire.
Initiatives communautaires
Justin Séguin est loin d’être le seul à veiller au bien-être de sa communauté. Nous avons rencontré Lorraine Quesnel et André Gélinas, membres du comité du Village ami des aînés, amis de tous de la Rivière des Français.
À leur initiative, un nouveau sentier familial a été ouvert en 2020, juste à côté de l’hôtel de ville. Sur plus ou moins un kilomètre, 400 mètres dans le bois sont réellement accessibles à tous les types d’aide à la mobilité, même si les bénévoles sont déterminés à augmenter ce chiffre lors de la prochaine phase de développement.
Gisèle Pageau s’applique particulièrement à faire des ponts entre les générations. Cela se traduit entre autres par la location gratuite de lieux ou d’équipements pour des activités ciblées pour les enfants ou les aînés. L’arrivée de nouvelles familles vient aussi enrichir le bassin de parents bénévoles.
De toutes nouvelles structures de jeux ont été installées au parc Joe Chartrand de Noëlville, avec une section pensée spécialement pour les enfants qui vivent avec un trouble du spectre de l’autisme.
Une plage publique est mise à la disposition des citoyens n’ayant pas d’accès direct à la rivière et un partenariat avec la galerie d’art de Noëlville a permis d’installer six murales à travers la ville, peintes par des artistes locaux.
Vivre en harmonie
Près de 32 % de la population a 65 ans et plus. Un autre projet est celui d’ouvrir une résidence pour aînés gérée par un organisme sans but lucratif, pour offrir des loyers à prix raisonnables et garder les aînés actifs dans la société.
D’autres initiatives permettent aux communautés des deux langues officielles de vivre ensemble. Le club des aînés, francophone, ouvre ses activités aux anglophones en offrant un service de traduction. L’église Notre-Dame-de-Lourdes offre certaines messes dans les deux langues, en l’absence d’une église catholique anglophone.
Les élus municipaux ont combattu les guerres de clochers qui auraient pu persister après les fusions, particulièrement entre Alban et Noëlville. Gisèle Pageau explique : « On a travaillé fort pour s’assurer que les deux villages aient des activités conjointes et qu’on puisse enlever cette rivalité-là. Aujourd’hui, personne ne se rappelle c’était quoi, la chicane. »
Les enjeux
Le poste de police de Rivière des Français a fait la manchette dernièrement, puisqu’il est menacé de fermeture. Pour l’instant, Gisèle Pageau a réussi à repousser l’échéancier en multipliant les rencontres avec la Police provinciale de l’Ontario (PPO), les municipalités avoisinantes, l’équipe d’infrastructure et le solliciteur général de l’Ontario, Michael S. Kerzner.
« Ça ne fait pas de sens de fermer le bureau ici, parce qu’on a dix officiers pour couvrir 5 000 km2 de territoire. Ils nous ont dit qu’on aurait un officier dans la région chaque jour. Mais s’il faut qu’il aille chercher son équipement à Sudbury ou à Cache Bay et qu’il le rapporte chaque soir, ça fait 3h par jour où il n’y a personne. »
Selon la mairesse, la construction d’un poste de police trop coûteux à Cache Bay serait la cause de cette éventuelle fermeture à Noëlville. Rhétoriquement, elle questionne : « Qu’est-ce qui est le plus précieux? Sauver de l’argent ou sauver des vies? »
Elle souligne sa volonté de travailler avec les communautés autochtones avoisinantes de Dokis et Henvey Inlet. Respectivement desservies par les détachements de North Bay et de l’île Manitoulin, ces communautés bénéficieraient d’obtenir des services reliés à Noëlville, plus près géographiquement.
Un autre enjeu est lié à l’attrait touristique de la Rivière des Français. La municipalité travaille à se doter d’une politique pour encadrer les plateformes d’hébergement comme Airbnb, qui devrait être adoptée au début de l’automne.
Si tout le monde respecte les règles et les citoyens, la mairesse souligne que tous sont les bienvenus. « C’est un endroit qui accueille tout le monde. Ça ne fait pas de différence qui tu es : riche, pauvre, francophone, anglophone ou autres. Il y a beaucoup d’activités auxquelles les gens peuvent participer. Tu peux en faire autant que tu veux, ou tu peux ne rien faire aussi. Et tu vas être heureux. »
Pour aller plus loin
Selon un document de la société historique du Nouvel-Ontario, les première familles arrivaient surtout de l’Outaouais québécois et de l’Est ontarien. Quelques-unes venaient d’aussi loin que de l’actuelle région du Bas-Saint-Laurent, au Québec. Les colons vivaient de l’industrie du bois et des produits de la terre. Le commerce s’est fait par voie maritime jusque dans les années 1920, et il fallut attendre 1950 pour avoir accès à l’électricité dans les chaumières.
Le poids démographique
Lors de notre passage, nous avons pu constater à quel point le français est vivant, étant souvent la première langue avec laquelle les gens nous abordaient. Les anglophones de French River sont pourtant de plus en plus nombreux. Il y a deux ans, il n’y avait que 48 élèves inscrits à l’école anglophone de Monetville. Aujourd’hui, ils sont 103.
Sans minimiser l’impact d’un poids démographique descendant, Gisèle Pageau se dit confiante, soulignant que les écoles francophones se remplissent aussi. Rivière des Français compte deux écoles francophones, l’une élémentaire et l’autre allant jusqu’à la 12e année. Les adolescents anglophones doivent quant à eux se rendre à Sturgeon Falls ou Sudbury pour leurs études secondaires.
Tout au long des mois de juillet et août, Virées d’été vous emmène dans des villages et recoins inattendus de la francophonie ontarienne. Une série à découvrir sur notre site web et nos réseaux sociaux.