Ruée vers l’or : un second souffle pour Dubreuilville?

[VIRÉES D’ÉTÉ]

DUBREUILVILLE – Après deux années d’attente, la nouvelle mine d’or de Dubreuilville est officiellement en opération dans le canton. L’exploitation d’une nouvelle mine fait déjà du bien à la communauté de 576 habitants même si certaines inquiétudes persistent devant l’arrivée massive d’employés temporaires.

2 000 employés pour la construction, deux années de préparation et une première coulée d’or plus tard : Dubreuilville a accueilli sa deuxième mine d’or.

Cette nouvelle exploitation en dit long sur les ambitions de ce canton qui a subi un gros revers avec la perte de la scierie des frères Dubreuil qui a dû fermer ses portes en 2008 en raison de difficultés financières. Au revoir l’industrie forestière, le village s’est tourné vers l’industrie aurifère.

Cette nouvelle mine s’ajoute à la première, Alamos, qui est en opération depuis tout juste 20 ans dans le canton. Magino est une réexploitation d’une ancienne mine d’or souterraine du même nom qui a été développée après la Première Guerre mondiale.

Le développement du site de la mine a nécessité environ 500 millions de dollars. Le site est situé à 14 km au sud-est du canton. Crédit image : Inès Rebei

Après avoir fonctionné sporadiquement pendant quelques décennies, c’est l’entreprise Argonaut, appartenant à des Américains, qui en a repris l’opération. Et Argonaut est déjà bien présente dans le village, situé stratégiquement à côté de la municipalité.

C’est aussi, symboliquement, dans l’immeuble qui appartenait à la scierie des frères Dubreuil que le géant américain a choisi d’établir son siège. Les dortoirs des travailleurs de la mine sont eux aussi installés sur l’ancien site du moulin à scie dans les limites du canton.

Des retombées économiques espérées

Et les espoirs sont grands pour cette mine à ciel ouvert qui devrait produire jusqu’à 81 000 onces d’or en 2023, et environ 148 000 onces d’or en 2024, sa première année complète de production.

Avec une durée de vie de cette nouvelle mine à ciel ouvert estimée à 19 ans, le paysage de Dubreuilville promet de changer même si des doutes persistent quant à l’avenir.

La mine Alamos prévoit de creuser à 60 mètres de profondeur, comparativement à 42 actuellement, ce qui en fait une cheffe de file dans le secteur aurifère de la province. Crédit image : Inès Rebei

La mine d’Alamos, dont la durée de vie était censée être de 17 ans, vient de fêter ses 20 ans d’existence et a entamé sa troisième phase d’expansion.

Malgré cela il demeure impossible d’estimer les retombées selon les agentes de développement du canton.

Si les revenus générés par la mine risquent d’être minimes pour le village, on mise plutôt sur les dépenses des travailleurs dans les commerces ce qui pourrait réellement bénéficier selon la municipalité.

Derrière la vitre des camions lourds, de plus en plus de femmes dans les mines de Dubreuilville. Cathy Prévost, qui est aussi la fille de l’aînée du village, fait partie de ces femmes qui font la fierté de l’industrie.

Cathy Prévost fait partie des 20% de femmes qui travaillent à la mine. Crédit image : Inès Rebei.

Celle-ci travaillait pour l’ancien moulin à scie jusqu’à sa fermeture et se réjouit d’avoir retrouvé du travail pour la nouvelle mine d’or.

Des citoyens temporaires

Cette dernière emploie actuellement près de 650 employés, tandis que la nouvelle mine devrait compter près de 500 travailleurs. Près du tiers des employés sont des résidents permanents du canton tandis que le reste est constitué de contractuels qui travaillent sept jours d’affilée avant de rentrer chez eux et revenir après une semaine de congé.  

Et l’impact devrait se faire ressentir jusqu’à Wawa, à une heure de Dubreuilville, qui fournit déjà entre 300 et 400 travailleurs à la première mine.

Si le village compte 82% de personnes dont le français est la première langue officielle parlée, le langage d’usage à la mine est bien l’anglais.

Un choix qui se justifie par la présence de deux tiers d’employés venant de l’extérieur de la ville, en Ontario anglais. Cette nouvelle réalité se reflète dans les menus du seul restaurant de la ville qui n’offre qu’une version anglaise.

Un défi de cohabitation 

La présence accrue de travailleurs dans le village fait dire à beaucoup qu’il y a désormais deux Dubreuilville. Les résidents permanents doivent conjuguer, pour le meilleur comme pour le pire, avec les travailleurs à contrat, de passage pour un temps.

 « C’est sûr que ça a été une adaptation », confie discrètement Chantale Croft, agente de développement économique de Dubreuilville.

Selon les agentes de développement du canton, Chantale Croft, à gauche, et Shelley Casey, l’arrivée des travailleurs s’est faite de manière très soudaine avec la nouvelle mine comparé à la première. Crédit image : Inès Rebei

Épicerie, restaurant et espaces communs : ce n’est plus 576 habitants qui circulent dans la bourgade, mais le double. La file d’attente est donc longue, à certaines heures, à l’épicerie locale.

« On s’était habitués à notre tranquillité », déclare quant à elle Shelley Casey, également agente de développement au canton. Contrairement aux horaires du moulin à scie, les horaires de travail de la mine sont parfois difficiles pour les habitants.

Elle ajoute constater la présence importante de camions blancs avec des drapeaux blancs qui sont stationnés devant les commerces du canton aux alentours de 18h quand les ouvriers finissent leur travail à la mine.

Les habitants souhaitent sociabiliser davantage avec les ouvriers selon la municipalité. Crédit image : Inès Rebei

Loin de là l’époque où tout le monde se reconnaissait dans la salle à manger du seul restaurant du village et où chaque nouveau visage attirait la curiosité, selon les agentes. Néanmoins, la chaleur humaine qui caractérise la population de cette bourgade, isolée dans la forêt Boréale, apaise la situation.

« On est une petite communauté accueillante, mais c’est plus difficile avec tout ce monde-là », ajoute Mme Casey.

Un bon dialogue avec les mines

Un autre enjeu concerne l’aspect environnemental et sécuritaire du village. Dans les deux mines, les camps d’habitation, situés en grande partie dans les limites du village, sont assujettis à des règles assez strictes.

Pour les travailleurs logeant dans ces habitations, il n’est pas permis d’y boire de l’alcool et un couvre-feu y est établi aux alentours de 22h. En conséquence, après une longue journée de dur labeur, certains travailleurs choisissent d’aller consommer de l’alcool et finissent par jeter leurs déchets dans la forêt.

« C’est un problème constant », constate Mme Croft, qui indique que la situation s’est améliorée dernièrement.

Le canton a organisé récemment une journée communautaire pour ramasser les déchets et confirme que les deux mines y ont participé. Une formule à succès que Dubreuilville dit vouloir reproduire deux fois par an.

Les travailleurs qui logent temporairement à Dubreuilville sont originaires de Sault Ste. Marie, Sudbury ou même Toronto. Crédit image : Inès Rebei

De son côté, le conseiller municipal Luc Lévesque craint des dépassements au niveau de la conduite de certains employés, en raison d’accidents mineurs qui ont causé des dommages sur un mur de l’une des deux écoles de la collectivité.

Par ailleurs, le nouveau site d’enfouissement de la municipalité qui devait être comblé en 50 ans le sera maintenant en 20 ans à cause de la nouvelle mine dont les déchets sont importants.

Santé, sécurité, environnement : les deux mines sont sensibilisées, indique-t-on toutefois au canton qui assure avoir eu avec eux des discussions sur les enjeux à long terme reliés aux deux mines.

« Ils répondent, ils sont à l’écoute pour régler tous les problèmes qui peuvent arriver », rassure de son côté Mme Casey.  

Manque de logements

Dans les deux mines, il reste encore à recruter de la main-d’œuvre pour alimenter les sites, mais qui dit recrutement dit logement. Une campagne de recrutement qui soulève des doutes sur la capacité du petit canton de pouvoir héberger ces nouveaux employés.

« On a beau essayer de les attirer autant qu’on peut si on n’a pas de logements pour les héberger, ça ne sert à rien de faire toute cette propagande-là », se désole Chantale Croft.

L’objectif, le rêve aussi, est de retenir ces travailleurs dans la collectivité du Nord qui a des besoins dans plusieurs secteurs d’activités.

Le canton ne compte que quelques appartements, destinés à loger les aînés. Crédit image : Inès Rebei

« On a besoin de travailleurs pour les mines, mais on en a aussi besoin pour les services », juge Mme Croft qui cite en exemple la garderie de la commune.

« On n’a pas juste besoin des travailleurs, mais aussi des familles, de remplir nos écoles », estime de son côté Mme Casey qui regrette les coûts excessivement élevés pour construire dans le canton.

Pourtant, des terrains existent, mais encore faut-il les bâtir : « On a 12 terrains prêts à bâtir, mais personne ne fait rien, c’est sûr que ça va dormir encore 10 ans et c’est le payeur de taxe qui va en souffrir », raconte Mme Casey.

Un effort a été fait au seul hôtel du village, le Relais Magpie, appartenant à l’entrepreneur Patrice Dubreuil, qui a ajouté des unités modulaires externes pouvant héberger 30 employés.

Le propriétaire de la mine Alamos, l’Américain, Austin Hemphill, qui habite à Dubreuilville, s’implique dans la cause en proposant une généreuse compensation financière pour les employés qui souhaitent s’établir dans le canton.

M. Hemphill, estime qu’il n’y a pas de concurrence entre les deux mines et se réjouit de l’apport de Magino pour le village. Crédit image : Inès Rebei

Et c’est un incitatif de 50 000 $ en cinq ans que propose la mine pour un employé désirant acheter ou bâtir une maison, distribuée par tranche de 10 000 $. Un geste qui se veut aussi pour réduire les dépenses de transport et logement de chaque employé mobile, estimées à 2 000 $ par mois.

La mine Magino n’a jamais donné suite à nos demandes d’entrevues, les informations au sujet de la mine Magino ont été recueillies auprès de la municipalité.

Avec la collaboration de Jacques-Normand Sauvé.

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