S’afficher en français : le défi des entrepreneurs francophones de Temiskaming Shores
[VIRÉES D’ÉTÉ]
TEMISKAMING SHORES – Entamée en 2021, la marche vers la relance économique dans le Timiskaming ontarien semble déjà porter fruit. Le défi, celui que connaît tout entrepreneur francophone en milieu minoritaire, et le rêve aussi, demeure de pouvoir s’afficher davantage en français.
Temiskaming Shores n’a pas été épargnée par la pandémie, pourtant ici, celle-ci a généré un élan, celui de se réinventer tout en célébrant son identité francophone. Porté par une jeune femme dynamique, Jacinthe Rivard, le projet Leadership entrepreneurial pour les francophones (LEF) a été lancé il y a deux ans pour répondre à un besoin dans le district du Timiskaming.
Financé par FedNor, dans le cadre de l’Initiative de développement économique (IDE), celui-ci est déjà dans sa deuxième phase après avoir exploré trois volets lors de la première, à savoir les ressources communautaires, la promotion, et la formation. Pour sa deuxième phase, l’organisme a reçu 185 821 $, soit plus de 71 000 $ que pour la première.
Sur le site web de l’organisme, les entreprises bénéficiant de l’initiative sont à l’image de cette relance : jeunes et innovatrices. Parmi celles-ci, un certain nombre sont nées, elles aussi, après la pandémie.
Un nom anglophone
Sur l’une des avenues principales de l’ex-ville de New Liskaerd, on peut découvrir la Northern Apothecary, charmante boutique de produits artisanaux et de bien-être fabriqués au Canada.
Propulsée il y a moins d’un an, la boutique est tenue par deux amis francophones, Kayla Aubin et Matthew Larose.
Les jeunes amis nous expliquent avoir décidé de choisir le nom de leur enseigne en anglais pour attirer davantage de clientèle, un choix que l’écrasante majorité de la ville a choisi de faire.
Un peu plus loin de là se trouve une autre enseigne dont la réputation n’est plus à faire, Once is not enough, une boutique de vêtement usagés, appartenant à une fière féministe francophone bien connue de la région, Joline Rivard.
Pour cette dernière, s’afficher en français est plus difficile qu’à ses débuts, il y a une dizaine d’années, pour une tout autre raison : la pénurie de main-d’œuvre francophone. « J’ai plus de difficulté à dire que je suis une entreprise bilingue, car ce n’est plus vraiment le cas », lance-t-elle.
Elle nous explique qu’il y a huit à dix ans, les employés étaient francophones : « Je m’affichais beaucoup plus comme francophone parce que quand je ne suis pas ici, il y avait au moins une personne qui pouvait répondre aux clients en français ».
De quatre employés à temps plein, la boutique n’en emploie aujourd’hui qu’une seule qui est unilingue anglophone. Joline Rivard regrette aussi d’avoir dû retirer des affiches « services en français ».
Selon Jacinthe Rivard, le défi des entrepreneurs franco-ontariens de la région est de vouloir plaire aux deux communautés. Celle-ci relève aussi qu’il est même difficile pour les entrepreneurs francophones de se reconnaître entre eux, et cite l’exemple de Joline Rivard qui, grâce au travail du LEF, a appris que les propriétaires de la Northern Apothecary sont francophones.
« S’ils veulent s’afficher comme bilingues, c’est deux fois plus de travail », ajoute-t-elle.
Des démarches francophones
Bien qu’elle l’ait forcé à changer de local, la pandémie a apporté du bon aussi pour Joline Rivard qui nous confie avoir laissé de côté les projets de longue haleine depuis trop longtemps et a décidé de se concentrer depuis plus d’un an et demi sur le développement de sa boutique.
Entre autres, Joline Rivard s’est tournée vers le LEF pour s’atteler à une lourde tâche : celle de traduire entièrement son site web en français. La traduction est terminée, il ne reste plus qu’à aller transférer chaque texte dans son encadré, quand ce sera possible, nous assure-t-elle.
« Je travaille beaucoup avec Jacinthe et je trouve que mon français s’est amélioré », note-t-elle en évoquant les activités de réseautage organisées par l’organisme.
Il s’agit de soirées de développement professionnel, de réseautage ou encore de formation à destination des entrepreneurs francophones, mais de manière informelle, la clé du succès selon Jacinthe Rivard.
« C’est fait dans la légèreté, ce n’est pas fait dans un esprit pédagogique », précise-t-elle.
En plus des services d’expertise offerts aux entrepreneurs, des rencontres sont organisées avec des jeunes afin de les sensibiliser au métier : « C’est bon pour l’entrepreneur, parce que c’est rare qu’il voie des jeunes surtout dans une petite communauté comme la nôtre. »
Et de continuer : « C’est l’fun qu’on se retrouve tous les entrepreneurs francophones ensemble, on dirait qu’on a la même mentalité. »
Une initiative qui plaît dans la communauté francophone, laquelle réclamait ce genre d’occasion depuis un moment selon Jacinthe Rivard.
« Juste de vivre ma francophonie, je deviens émotionnelle », lâche Joline Rivard, la larme à l’œil avant de continuer : « On n’a pas d’occasion de socialiser en français, c’est tellement rafraîchissant! »
Une importante clientèle québécoise
Situés stratégiquement à une vingtaine de minutes de la frontière avec la belle province, il n’est pas étonnant pour nos commerçants de recevoir de la visite des voisins québécois.
Un atout commercial qui renforce aussi le sentiment d’appartenance à une identité francophone avec les près de 16 000 personnes vivant dans la région de Témiscamingue, au Québec.
« Chaque fin de semaine, environ 40 % des plaques d’immatriculation des grands parcs de stationnement des détaillants peuvent être du Québec », note James Franks, agent de développement économique de la ville de Temiskaming Shores.
Celui-ci ajoute que la plupart des touristes québécois visitent la collectivité pour y magasiner, par manque de ressources de l’autre côté de la frontière, même dans une ville aussi grande que Rouyn-Noranda.
Et d’ajouter : « La plupart magasinent ici chaque semaine, car nous avons de grands magasins comme Walmart et Canadian Tire, ainsi que de grands détaillants d’aliments comme Your Independent Grocer et Food Basics. »
« Je dirais que 10 % de mes ventes viennent du Québec, mais que 40 % viennent des francophones si ce n’est plus, car elles ne me parlent pas toujours en français », avance pour sa part Mme Rivard qui se dit chanceuse de compter sur cette clientèle plutôt fidèle depuis ses débuts.
Du côté de la Northern Apothecary, les propriétaires ont commencé à traduire leur publication sur les réseaux sociaux afin d’attirer l’attention des unilingues francophones des voisins de Ville-Marie notamment.
« Les magasins nous le disent, les Québécois aiment être servis en français », constate quant à elle Jacinthe Rivard.
Moins de réticente au français
Pour la plupart des acteurs rencontrés, le mouvement d’opposition à la langue de Molière a plutôt disparu, signe d’une plus grande ouverture d’une population de plus en plus bilingue dans la région.
« Il n’y a pas vraiment de frontière maintenant, c’est plus unifié », remarque Matthew Aubin de la Northern Apothecary qui ajoute que le fait que des populations du sud de la province aient migré vers le Nord a rendu le bilinguisme plus prononcé dans la région, en plus d’ajouter des dialectes qui viennent de l’international.
Joline Rivard constate une plus grande inclusivité notamment dans les écoles de la région, mais que celle-ci favorise également l’assimilation, qui voit l’anglais dévorer un peu plus le français dans les écoles d’immersion française.
Son employée unilingue anglophone se dit ouverte à apprendre la langue de Molière et des démarches ont été entreprises pour que celle-ci puisse commencer des cours à la rentrée auprès du Centre de formation pour adultes.
Jacinthe Rivard confie ne pas recevoir de commentaires négatifs de la part des commerces et avoir le sentiment qu’avec la nouvelle génération, les choses ont évolué positivement. « La majorité est envieuse et aimerait être bilingue », conclut-elle.
Tout au long de l’été, Virées d’été vous emmène dans des villages et recoins inattendus de la francophonie ontarienne. Une série à découvrir sur notre site web et nos réseaux sociaux.
Avec la collaboration Jacques-Normand Sauvé.