L'église a été construite selon les plans de l'architecte Charles Brodeur particulièrement prolifique dans la région de l'Outaouais. Archives ONFR

OTTAWA – Il est temps de reconnaître le patrimoine historique de l’église Saint-Charles-Borromée. Et pourquoi pas avec des plaques commémoratives? C’est ce qui est ressorti d’une réflexion commune du Comité de la francophonie de l’Association communautaire de Vanier et du Réseau du patrimoine franco-ontarien (RPFO).

En entrevue avec ONFR, Diego Elizondo, expert en patrimoine franco-ontarien, déclare que « les organismes veulent unir leurs forces pour faire avancer ce dossier ».

Il y a dix ans a eu lieu le sauvetage in extremis de l’église Saint-Charles-Borromée, un lieu qui a marqué l’histoire du pays. Située entre la rue Barrette et l’avenue Beechwood dans le quartier de Vanier à Ottawa, elle est encore un exemple fort de résistance de la communauté franco-ontarienne.

L’église St-Charles de Vanier, en 1947. Crédit photo : BAnQ-Gatineau. Fonds Champlain Marcil. P174,S4,P125.

Érigée en 1908, l’église n’accueille plus de fidèle depuis 2010.

« Il y a eu une étude qui a été faite par l’archidiocèse d’Ottawa sur la situation financière et la fréquentation de plusieurs paroisses francophones à la fin des années 2000 », raconte Diego Elizondo.

Selon ce rapport, trois paroisses francophones de l’est de la ville devaient mettre la clé sous la porte. Notre-Dame-de-Lourdes-de-Cyrville, Saint-Charles-Boromée à Vanier et Sainte-Anne d’Ottawa, dans la Basse-Ville.

L’église St-Charles à Vanier dans ses premières années d’existence. Crédit photo : Muséoparc Vanier

Plus tard, le destin de ces trois bâtiments a été très différent. D’après l’expert en patrimoine, une autre communauté catholique chrétienne a pris possession de l’église Saint-Anne, qui sert encore aujourd’hui de lieu de culte. La même chose s’est produite pour Notre-Dame-de-Lourdes-de-Cyrville, reprise par la communauté catholique chinoise.

Des plaques historiques qui auraient dû déjà être là

Ce vendredi aura lieu une rencontre organisée par Johanne Leroux de l’Association communautaire de Vanier, et qui réunira plusieurs acteurs de la communauté, dont le président de l’Association des communautés francophones d’Ottawa (ACFO), le Réseau du patrimoine franco-ontarien (RPFO), la conseillère du quartier Stéphanie Plante, le muséoparc de Vanier ainsi que des représentants d’élus des différents paliers de gouvernement.

« Normalement, quand un bâtiment est désigné en vertu de la loi par la Ville, on y appose une plaque en bronze explicative », rappelle M. Elizondo. Mais dix ans après, aucune plaque. « L’espace est de plus en plus utilisé et il paraît que l’on attendait la fin du réaménagement à proximité. »

L’intérieur de l’église a subi de nombreuses rénovations, son caractère sacré n’est plus d’actualité dans son architecture interne. Crédit image : Mike Steinhauer, Vaniernow.ca (21 juillet 2012)

Diego Elizondo pense même qu’il serait judicieux de faire une demande de plaque provinciale, bleue et or, ainsi que fédérale de couleur rouge pour les lieux historiques du Canada.

À ce titre, Mauril Bélanger, député fédéral à l’époque, souhaitait lui aussi faire reconnaître l’importance patrimoniale de ce lieu. Malheureusement, il n’a pas eu le temps d’entamer les démarches, puisqu’il est décédé peu de temps après.

Un édifice protégé par la Loi

En 2010, « personne ne s’est manifesté pour offrir à Saint-Charles le même destin que les autres églises. Donc l’archidiocèse a voulu vendre ça au plus offrant. Il l’a mis sur le marché pour s’en débarrasser », estime M. Elizondo.

L’archidiocèse d’Ottawa n’en voulait plus, lui dépouillant aussitôt de son caractère sacré.

L’ancienne église St-Charles de Vanier est mise en valeur lors d’une visite guidée de l’expert-conseil en patrimoine, Jean-Yves Pelletier, le 1ᵉʳ octobre 2022. Crédit photo : Diego Elizondo

Loin d’être surprenant, « il y a eu une levée de boucliers pour les défenseurs du patrimoine franco-ontarien ».

Des acteurs du patrimoine et quelques fidèles se sont battus pour sauver l’église d’une probable démolition, finalement rachetée pour 4 millions de dollars par un promoteur de Toronto. Les citoyens avaient alors exigé que le bâtiment soit désigné selon la Loi ontarienne sur le patrimoine. L’archidiocèse d’Ottawa avait été étrangement silencieux suite aux requêtes de la communauté.

Diego Elizondo se rappelle que Mathieu Fleury, conseiller municipal à l’époque, faisait partie des défenseurs du patrimoine. « Ils ont monté un bon argumentaire et la Ville d’Ottawa a accordé la désignation de patrimoine à l’église Saint-Charles-Boromée. »

« Ça a été accordé malgré que l’archidiocèse s’y opposait », ajoute-t-il.

Cependant, la désignation protège l’enveloppe du bâtiment, mais pas son usage. Depuis octobre 2013, l’édifice est préservé en vertu de la loi, mais l’intérieur qui a subi de nombreuses rénovations ne l’est pas, offrant à ce bâtiment le champ des possibles.  

Aujourd’hui, plusieurs condominiums gravitent autour, mais l’édifice reste bien droit au milieu de cette grandeur.

Bien qu’elle n’ait pas un usage précis, l’église accueille de plus en plus d’événements communautaires en son sein comme sur son parvis. Le 13 septembre dernier, Céleste Lévis et JOLY se produisaient sur les marches de l’édifice dans un événement organisé par la zone d’amélioration commerciale de Vanier (ZAC Vanier).

Une valeur historique et patrimoniale

Lieu de rassemblement de la société secrète de l’Ordre de Jacques Cartier, l’église Saint-Charles-Boromée est un bâtiment bien connu.

En octobre 1926, un groupe de 17 fonctionnaires fédéraux se sont réunis dans le sous-sol. Albert Ménard, un ingénieur civil et le curé de la paroisse François-Xavier Barrette pour créer l’Ordre de Jacques Cartier, une organisation secrète locale répondant au nom de code « la Patente ».

Leur but : établir des mécanismes d’entraide entre les fonctionnaires francophones pour accéder plus facilement aux échelons supérieurs de la fonction publique canadienne dominée par des anglophones.

« Cette société a été active jusqu’en 1965. C’était un produit des Franco-Ontariens, et qui a eu un énorme rayonnement partout dans la francophonie canadienne et au-delà », relate M. Elizondo.

Neuf fondateurs de l’Ordre de Jacques Cartier réunis lors du 25ᵉ anniversaire de l’Ordre, de g. à d. : à l’avant, Adélard Chartrand, Émile Lavoie, F.-X. Barrette, Esdras Terrien et Louis-Joseph Châtelain; à l’arrière, Oscar Barrette, Philippe Dubois, Achille Pelletier et Charles Gautier, Ottawa, 28 septembre 1952 / Champlain Marcil, Le Droit. Crédit photo : Université d’Ottawa, CRCCF, Fonds Ordre de Jacques Cartier(C3), Ph3-3/12B.

« La société secrète utilisait son influence pour pousser le bilinguisme à la fonction publique fédérale. »

« Bilinguiser le Canada avant que ça devienne la loi sur les langues officielles », reprend l’expert.

« Il y a tout ce travail de fait en amont, lancé et instigué par des francophones canadiens sous l’Ordre de Jacques Cartier. »

En effet, cet organisme a grandi de façon très importante, ayant eu jusqu’à 98 commanderies à l’échelle pancanadienne. Ils auraient réussi à contrôler, à influencer et infiltrer une grande partie des organisations sociales, politiques et économiques du pays.