NOS HISTOIRES, NOTRE HISTOIRE ÉPISODE 5
1991 n’a pas été une année facile pour les employés de la Spruce Falls et pour la petite communauté de Kapuskasing, qui vit aux dépens de cette usine de pâtes et papiers.
On est alors en pleine récession et le prix du papier journal s’effondre.
L’usine va fermer. Près de 1 000 emplois sont en jeu.
Les résidents de Kapuskasing sont furieux : ils descendent dans la rue et bloquent la route 11, la Transcanadienne. Ils iront jusqu’à installer leurs tentes sur la pelouse de Queen’s Park à Toronto pour alerter les médias et le gouvernement en place.
Il faut sauver Kapuskasing !
GILLES BISSON :
Il y avait une énorme pression
qui avait été mise sur le
gouvernement. Le centre de ce
comté, c’est cette usine. Et si
on perdait l’usine de la manière
que c’était pour être, ça aurait
été une cause économique énorme.
ARTHUR PROULX :
La ville serait devenue une
ville fantôme. La ville existe à
cause que Spruce Falls est ici.
ONFR+ Société
Rachat de la papetière Spruce Falls 1991
En studio, SÉBASTIEN PIERROZ, journaliste, s’adresse au public de l’émission.
SÉBASTIEN PIERROZ :
De nombreuses villes
canadiennes survivent encore
grâce à l’industrie du papier.
Les résidents de Kapuskasing en
savent quelque chose. En 1991,
une récession frappe le Canada
et les États-Unis de plein
fouet. Pendant cette même
période, les propriétaires
américains de la Spruce Falls,
Kimberly-Clark et The Times,
doivent investir massivement
pour moderniser l’usine.
Les propriétaires lancent
un ultimatum au gouvernement
néodémocrate à Queen’s Park :
« Achetez le barrage
électrique rattaché à
l’usine ou on ira de l’avant
avec un plan de restructuration
qui mettra à pied jusqu’à
80 % des employés. »
Le premier ministre Bob Rae
refuse dans un premier temps
l’offre de la Kimberly-Clark
jugée trop onéreuse. C’est
l’entreprise québécoise Tembec
qui vole à la rescousse
de la communauté en rachetant
une partie de l’entreprise.
L’autre partie sera acquise
par les employés eux-mêmes et
par les résidents de Kapuskasing
disposés à acheter les actions
de la compagnie. Le plan
de sauvetage est amorcé.
Une vidéo d’archives de DARWIN SMITH, PDG de Kimberly-Clark, est présentée.
DARWIN SMITH :
Propos traduits de l’anglais
Bonjour.
Je suis Darwin Smith,
PDG de la société Kimberly-Clark,
l’un des deux actionnaires
de la compagnie d’électricité
et de papier Spruce Falls.
L’autre est le New York Times.
Merci de me donner l’opportunité de vous parler de quelque chose de très important
pour nous tous : le futur de Spruce Falls.
La vidéo d’archives se termine. L’usine de Spruce Falls est présentée. Devant l’usine, SÉBASTIEN PIERROZ interviewe GILLES BISSON, député provincial du NPD.
SÉBASTIEN PIERROZ :
Nous sommes devant l’usine
de Spruce Falls 25 ans
après les événements.
Vous étiez jeune député.
Qu’est-ce que ça représentait
pour vous ces événements ?
GILLES BISSON :
Bien, écoute, c’était une…
Comment dire ? Un baptême
avec le feu. On s’est
retrouvés premièrement élus.
J’avais 32 ans. On se trouvait
être gouvernement pour la
première fois, un gouvernement
NPD en Ontario. Et en 1991,
Darwin Smith, qui appartenait
déjà ici, c’était à
Kimberly-Clark, qui était pour
transformer l’usine en quelque
chose où serait restée peut-être
une couple de 100 personnes
qui auraient travaillé.
SÉBASTIEN PIERROZ interviewe ARTHUR PROULX, ancien représentant syndical. Ce dernier observe l’usine.
SÉBASTIEN PIERROZ : Narrateur
Vous, vous étiez employé.
Est-ce que votre père
était aussi employé,
vos enfants aussi ?
ARTHUR PROULX : Narrateur
Oui, oui, oui.
SÉBASTIEN PIERROZ : Narrateur
Est-ce que c’était
une vocation familiale
de travailler à Spruce Falls ?
ARTHUR PROULX : Narrateur
Il n’y avait pas beaucoup
d’autres emplois à Kapuskasing
à part qu’à Spruce Falls.
Devant l’usine, GILLES BISSON est de nouveau interviewé.
GILLES BISSON :
Le centre de ce comté, c’est
cette usine. Et si on perdait
l’usine de la manière que
c’était pour être, ça aurait
été une cause économique
énorme qui aurait vraiment
affecté la communauté.
La ville de Kapuskasing est présentée.
Près de chemins de fer, SÉBASTIEN PIERROZ interviewe ARTHUR PROULX.
SÉBASTIEN PIERROZ :
Parlez-nous un peu
de ces événements en 1991.
Comment ils ont été vécus ?
ARTHUR PROULX :
On était après négocier un
contrat d’union. Puis c’est venu
que la compagnie voulait pas
négocier. Ils voulaient vendre.
C’est de même que ça a commencé.
Des images d’archives des travailleurs de l’usine de Spruce Falls se succèdent.
SÉBASTIEN PIERROZ :
Est-ce que vous vous souvenez
de ce jour où vous avez dû
annoncer aux ouvriers que la
proposition de Kimberly-Clark
n’était pas acceptée
par le gouvernement ?
Comment ils avaient réagi ?
Des images d’archives des manifestations à Spruce Falls se succèdent.
GILLES BISSON :
Bien, c’était très difficile.
Premièrement, nous autres,
on était toujours intéressés
à trouver une solution.
Une vidéo d’archives d’un JEUNE GILLES BISSON interviewé par un journaliste lors d’une manifestation est présentée.
JEUNE GILLES BISSON :
And all the players
have been working hard
to bring a solution…
La vidéo d’archives se termine.
GILLES BISSON :
Il y avait une énorme pression
qui avait été mise sur le
gouvernement et le propriétaire,
monsieur Smith, qui appartenait
à Kimberly-Clark, a décidé de
prendre avantage et de demander
plus que nous autres,
on était préparés à payer.
Donc, il a fallu refroidir
les négociations pour arriver
à une entente qui ferait du
bon sens sur le plus long terme.
Donc, c’était pas une
bonne nouvelle. Il a fallu
annoncer à la communauté
qu’on était pour refuser
la demande de Kimberly-Clark.
Des photos d’archives des manifestations à Spruce Falls se succèdent.
Près de l’usine, ARTHUR PROULX est à nouveau interviewé.
ARTHUR PROULX :
On était beaucoup déçus.
Ça faisait déjà plusieurs mois
qu’on essayait d’avoir des
arrangements puis tout ça.
Mais quand finalement, on a eu
la nouvelle que le gouvernement
ne voulait pas l’acheter, on a
fermé la Route 11 ici pour,
en d’autres mots, forcer
le gouvernement à faire quelque
chose. Ils voyaient qu’on était
sérieux là. C’est ça qui
les a réveillés pour dire :
« Écoute. Il faut faire quelque
chose pour Kapuskasing. »
Des images d’archives de manifestants campant près de Queen’s Park se succèdent.
GILLES BISSON : Narrateur
Il y a eu des manifestations
à Queen’s Park où le monde
a amené leur roulotte à
Queen’s Park puis sont demeurés
sur la pelouse de Queen’s Park
pour un bon bout de temps
pour mettre des pressions
sur le gouvernement.
De retour aux chemins de fer où SÉBASTIEN PIERROZ interviewe ARTHUR PROULX.
SÉBASTIEN PIERROZ :
On se souvient que
la compagnie a été rachetée
par Tembec, mais les employés,
finalement propriétaires
de la compagnie à 51 %.
Est-ce que vous étiez votre
propre patron finalement ?
ARTHUR PROULX :
Non. La compagnie était gérée
encore comme elle l’était avant.
Il y a bien du monde qui était
pas content. Ils voulaient pas
avoir les mêmes gérants
qu’on avait, on va dire, là.
Mais Tembec appartenait à 49 %,
pas les actions majoritaires,
mais l’arrangement était
que c’était eux autres
qui géraient la compagnie.
Devant l’usine, GILLES BISSON est interviewé de nouveau.
GILLES BISSON :
Les travailleurs, eux autres,
ils savent bien comment gérer
l’usine. Aucune question sur
ce point-là. Mais tu avais
besoin de quelqu’un qui pouvait
faire la gérance sur les marchés
national et nord-américain
pour être capables de vendre
nos produits. Et c’est pour ça
qu’on voulait avoir quelqu’un
comme Tembec dans le portrait.
Une vidéo d’archives des manifestions à Queen’s Park est présentée.
SÉBASTIEN PIERROZ :
Votre chef, c’était Bob Rae.
Comment étaient les relations
avec votre chef sachant
qu’il vous envoyait
un peu au casse-pipe ?
Excusez-moi l’expression.
GILLES BISSON :
Écoute. C’était pas une
décision que moi, j’ai aimée
dans le temps. Au tout début, il
était réticent d’aller dans la
direction que les travailleurs
appartiendraient à l’usine.
C’était pas quelque chose
qui était naturel pour lui.
C’est une des raisons
que je pense ça nous a donné
des problèmes au début.
Mais éventuellement, avec
la communauté, les travailleurs,
les syndicats, tout le monde,
s’organisaient ensemble et
mettaient les pressions sur le
gouvernement. Finalement, monsieur Rae
a compris : « Écoute. Il faut
faire quelque chose. Tu peux pas
allouer à une compagnie
telle que ça à fermer
au milieu du nord de l’Ontario
ici à Kapuskasing. »
Une vidéo d’archives de BOB RAE en conférence de presse est présentée.
BOB RAE :
Vous êtes
non seulement un exemple
pour tout le monde, mais
vous êtes la conscience
du nord et la conscience
de Kapuskasing. Merci beaucoup.
Les manifestants acclament BOB RAE, puis la vidéo d’archives se termine.
Près des chemins de fer, SÉBASTIEN PIERROZ interviewe de nouveau ARTHUR PROULX.
SÉBASTIEN PIERROZ :
Il y a eu un avant et un après
1991. Qu’est-ce qui a changé
vraiment pour les employés ?
ARTHUR PROULX :
En 1991, c’est que les employés,
on a perdu beaucoup. On a perdu
des vacances, on a perdu
des plans médicaux, des plans
dentaires, tous les plans
qu’on avait avant. On a perdu
du salaire aussi. Ça a été une
période de sacrifices, mais les
employés avaient tous pas mal
dit qu’il y avait pas grand
choix. Il fallait faire ça pour
que la compagnie puisse opérer.
SÉBASTIEN PIERROZ :
Est-ce que vous vous dites
pas : On aurait dû être
plus durs, plus combatifs
pour obtenir la gérance
de notre entreprise ?
Des travailleurs s’affairant dans l’usine sont présentés.
ARTHUR PROULX :
Non parce que c’était compris
que, lui, il nous donnait
la compagnie. Mais ça prenait
de l’argent pour l’opérer. C’est
pour ça que tous les employés
ont été demandés d’acheter un
certain montant d’actions pour
avoir de l’argent pour l’opérer.
Devant l’usine, GILLES BISSON est à nouveau interviewé.
GILLES BISSON :
Ils ont vendu cinq ans plus
tard. Moi, j’étais un peu triste
avec ça. J’aurais aimé mieux
que les travailleurs la gardent,
mais écoute, s’ils avaient gardé
l’usine, je pense qu’à
long terme, ça aurait été
peut-être meilleur. Mais
il leur a été offert de l’argent
extraordinaire comparé à ce
qu’ils ont payé pour les parts
de Tembec au tout début.
Des images de Kapuskasing se succèdent.
ARTHUR PROULX : Narrateur
On était gagnants parce que
ce qui est arrivé, c’est que
ça a aidé beaucoup aux employés.
Ça a eu un influx de beaucoup
d’argent pour le monde de
Kapuskasing puis des employés.
GILLES BISSON :
Le monde a payé leurs dettes,
ils ont payé leurs maisons.
Ils ont acheté des véhicules.
Ça a fait rouler l’économie
de Kap pour un bon bout.
SÉBASTIEN PIERROZ :
Est-ce que cette décision,
finalement, reflétait
les valeurs du NPD ?
Des vidéos d’archives des manifestants se succèdent.
GILLES BISSON :
S’il y avait eu un autre
gouvernement en 1991 en place,
je ne pense pas qu’on serait
arrivés à l’entente qu’on a eue.
Et c’était une solution
apportée pour un gouvernement
qui était prosyndicaliste,
qui avait la confiance en
les travailleurs et l’endroit,
le monde de la région,
d’arriver à une solution.
Donc, pour nous autres,
la manière que tu organises
une économie, c’est une manière
de regarder de quoi qui est
possible et d’essayer
différents modèles
tels qu’on a faits ici.
SÉBASTIEN PIERROZ :
Est-ce qu’on peut dire
que Kapuskasing aurait pu
devenir une ville fantôme
si Spruce Falls avait fermé ?
ARTHUR PROULX :
Oh, définitivement. La ville
serait devenue une ville
fantôme. La ville existe à cause
que Spruce Falls est ici.
En studio, SÉBASTIEN PIERROZ s’adresse au public de l’émission.
SÉBASTIEN PIERROZ :
Quelques années plus tard,
la Tembec rachète aux employés
et aux citoyens qui le désirent
leurs actions dans la compagnie,
et ce, jusqu’à 18 fois le prix
initial. Une bonne affaire pour
la population de Kapuskasing.
Mais les temps ont changé.
Aujourd’hui, l’usine ne compte
plus qu’environ 500 employés
et l’industrie du papier journal
poursuit son inexorable déclin.
Générique de fermeture