Scandales sexuels en RDC : les Congolais de l’Ontario choqués
Les réactions sont vives dans la diaspora congolaise en Ontario, au moment où la Commission européenne vient de retirer temporairement son investissement de près de 30 millions de dollars à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en République démocratique du Congo (RDC). Le motif? L’implication de plusieurs employés de l’organisation dans des cas d’abus sexuels dans le pays.
La commission a affirmé qu’elle ne tolèrera pas des allégations d’exploitation, d’abus sexuels ou toute forme d’inconduite de la part des membres et organisations partenaires financées par les fonds européens.
« Nous attendons de tous nos partenaires qu’ils disposent de garanties solides pour prévenir de tels incidents inacceptables et qu’ils agissent de manière décisive dans de telles situations », a déclaré Balazs Ujvari, porte-parole de la Commission européenne.
Pour Nancy Mwinda, chargée des relations publiques pour la Communauté congolaise de Hamilton, la pression mise sur l’OMS par la Commission européenne est un pas avant, mais ce n’est pas suffisant.
« Toutes les petites actions de réparation ne sont pas suffisantes face à l’ampleur des dégâts qui ont été commis. Il faudrait mettre plus d’actions en place au vu de l’immensité de leur structure. Les personnes qui ont commis ces actes doivent être jugées à la hauteur des crimes commis », explique-t-elle.
Cette opinion est partagée par Maisha Buuma, professeur adjoint à l’École de counseling de l’Université Saint-Paul. Selon cet expert qui a étudié la question des abus sexuels en Afrique subsaharienne, ces restrictions sont ponctuelles et ne sont pas à la hauteur des atrocités commises.
« Les meilleures sanctions devraient être posées dans le but de la justice. Les auteurs de ces actes doivent être portés devant les tribunaux et la communauté internationale a des appareils pour faire cela. Oui, on peut punir en suspendant des fonds, mais qu’est-ce qui se passe avec les personnes qui ont commis les crimes? » se demande M. Buuma.
Pour le professeur, il est important de miser sur une justice réparatrice qui met le bien-être de la victime au centre du processus judiciaire. Loin de juste inclure des sanctions sur le plan financier, il faudrait que des changements structurels soient mis en place au sein de l’organisme, pour une meilleure formation du personnel face à la vulnérabilité de certaines communautés.
Plus d’une vingtaine d’employés de l’OMS impliquée
Selon le rapport d’enquête de l’OMS publié le 28 septembre, il est reconnu que 21 employés de l’organisation, parmi les 83 présumés agresseurs, ont commis des exactions contre plus d’une vingtaine de femmes lors de la crise épidémiologique d’Ebola en RDC, entre 2018 et 2020.
Les conclusions du rapport d’enquête montrent que la plupart des membres du personnel impliqués ont un sentiment d’impunité aux vues des actes qui leur sont reprochés. De même, la situation a contribué à accroître la vulnérabilité des « victimes présumées », qui n’ont pas reçu d’assistance.
« Je suis désolé pour ce qui vous a été infligé par des employés de l’OMS, qui auraient dû vous servir et vous protéger. Cela n’aurait jamais dû vous arriver. C’est inexcusable », a déclaré le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesusa, directeur de l’OMS.
Il assure porter « la responsabilité ultime pour le comportement des gens que nous employons » et les « manquements » de l’organisation pour empêcher ces actes.
Pour Jean Ilembu, vice-président de la communauté congolaise de Toronto, les excuses ne sont pas suffisantes. Il faudrait que l’on répare les victimes pour le préjudice moral et physique qu’elles ont subi.
« Cela ne doit pas juste s’arrêter à demander pardon, il faut aussi compenser les victimes. Il faudrait que l’on punisse aussi les gens qui font ce genre d’actes. Nous ne pouvons pas accepter ou appuyer ce genre d’actes », explique-t-il. « Au niveau de la diaspora, personne ne cautionne ce genre d’acte. »
Selon lui, ces employés n’auraient jamais commis ces actes dans leurs pays d’origine, car ils sont familiers des répercussions juridiques que cela peut avoir, mais ces derniers pensent jouir d’une certaine impunité en Afrique.
L’impact sur la diaspora congolaise
Selon Maisha Buuma, la diaspora congolaise s’informe toujours sur la situation dans le pays. Plusieurs membres de la diaspora ont encore de la famille et certains membres de la communauté ont même des proches qui ont été impliqués dans la situation.
La situation à Beni (zone la plus touchée par les cas d’abus sexuels en RDC) renforce la méfiance de la diaspora sur les intentions de l’OMS sur le territoire. Ces dernières se demandent si l’organisation est réellement là pour assurer le bien-être de la population ou s’il y a d’autres motifs cachés.
« Sur le plan international, la situation cause une dévalorisation de l’image de la femme congolaise. Cette dernière est perçue comme une femme facile que l’on peut abuser moralement, physiquement et même financièrement. On la voit comme une femme sans résilience alors que c’est faux. Nous sommes résilientes et nous sommes fortes », déplore Nancy Mwinda.
D’après elle, l’OMS devrait créer des structures sécuritaires pour tout le monde. En raison de la vulnérabilité géopolitique du pays, les femmes congolaises sont sujettes à plus de violences ce qui les met dans un état d’alerte perpétuel. En créant des structures pour la prévention et la sensibilisation des femmes, pour les aider à reconnaître les signes précurseurs d’une potentielle agression.
« Tenant compte du contexte du pays, il faudrait concevoir des politiques de préparation du personnel. Il faudrait investir dans une formation qui tient compte du contexte social du pays dans lequel le personnel sera affecté et rendre les ressources accessibles », ajoute le professeur Buuma.
Il estime que l’OMS a tout intérêt à collaborer avec les organismes locaux qui travaillent avec la communauté, en vue de mieux outiller son personnel et prévenir ce genre d’exactions à long terme.