
Services en français : une francophone éconduite dans un ServiceOntario

TORONTO – Entrée en début de matinée dans une agence ServiceOntario de North York, Isabelle Marceau en est ressortie en début d’après-midi après, dit-elle, avoir été induite en erreur par du personnel anglophone. Écœurée, elle a émis une plainte auprès du commissaire aux services en français.
Isabelle Marceau voulait simplement être servie en français, sa langue maternelle. Sa démarche administrative s’est transformée en cauchemar, ce mercredi, dans l’agence du 47, rue Sheppard.
Cette Franco-Torontoise s’y est rendue avec son fils afin d’obtenir un affidavit, une déclaration écrite sous serment souvent utilisée comme preuve au tribunal. En l’occurrence ici, il s’agissait de légaliser un changement de nom, une procédure standard précisément disponible dans cette agence garantissant l’accès à un commissaire assermenté et compétent en la matière.
Toronto étant une zone désignée en vertu de la Loi sur les services en français (LSF), toutes les antennes ServiceOntario sont tenues d’offrir des services en français proactivement, c’est-à-dire sans avoir à les demander. Mme Marceau a toutefois pris la peine d’expressément s’enregistrer pour être servie en français.
Arrivée à l’ouverture du bureau et accueillie par un bonjour à l’accueil, elle relate avoir pris place en salle d’attente munie du traditionnel ticket numéroté. Mais au bout de 30 minutes, réalisant que son tour avait sauté et que son numéro ne s’affichait plus sur les écrans digitaux, elle se serait manifestée auprès d’un employé chargé de clientèle pour tenter d’avoir des explications.
« Il nous a assuré que c’était une erreur, qu’il nous remettait tout de suite dans la file d’attente, et qu’on allait nous appeler », confie-t-elle, avant de déchanter. « Après une autre longue attente, j’ai été assaillie par le doute et mon fils, qui parle anglais, est allé demander à la réceptionniste (anglophone) qui nous a avoué que la seule personne qui parlait français était en vacances et qu’il n’y avait personne pour la remplacer. »
Angoisse, gêne, honte
À cette nouvelle, Mme Marceau est tombée des nues : « Ce qui m’a choquée, ce n’est pas qu’il n’y ait pas de services en français, mais qu’on nous ait menti en pleine face durant tout ce temps. Si mon fils n’était pas allé se renseigner, on y serait encore. En gros, ils attendaient qu’on se lasse et qu’on parte de nous-mêmes », interprète, déçue, la mère de famille, qui y voit une forme d’« intimidation ».
Elle témoigne alors avoir vécu une situation angoissante et ressenti un sentiment mêlé de gêne et de honte. « Une autre personne pouvant parler français était en pause. Nous sommes donc revenus un peu plus tard en demandant à ne plus faire la queue. On a parlé à des personnes très gentilles qui avaient l’air embêté de la situation. »
« Au final, on n’a pas eu vraiment le service demandé, car la personne qui traduisait les termes légaux n’était pas capable de les prononcer convenablement. On a signé un truc légal sans clairement le comprendre et on est parti », lâche la Torontoise.
« Si j’avais été seule, je n’aurais eu accès à rien, conclut celle qui vit en plus une situation de handicap. Il y a plein de francophones qui arrivent de plein de pays qui ne maitrisent pas l’anglais. C’est quoi cette loi? C’est n’importe quoi! »
Cette amère expérience vient s’ajouter à un premier incident intervenu l’été dernier. « On avait pris rendez-vous sur internet pour créer la carte Santé de mon fils, mais une fois sur place, personne ne parlait français. On nous avait carrément dit qu’il n’y avait pas de services en français », affirme-t-elle, se résignant alors à être servie en anglais dans l’agence à l’intersection des avenues Danforth et Coxwell, dans l’est de la Ville Reine.
Plainte auprès du commissaire aux services en français
Contacté par ONFR, le ministère des Services au public et aux entreprises et Approvisionnement, responsable de ServiceOntario affirme pourtant que « le mercredi 16 avril, un agent bilingue était sur place et a fourni des services en français sur demande. (…) Les centres ServiceOntario respectent la Loi sur les services en français. Au 47, avenue Sheppard, à Toronto, un bureau désigné bilingue, les services sont offerts en français et en anglais. »
Pour obtenir des services en français en Ontario, il suffit de se rendre dans un bureau du gouvernement situé dans une zone où les francophones représentent au moins 10 % de la population – ou à proximité d’une telle zone – ou encore dans une ville comptant au moins 5 000 résidents francophones : ces zones et villes sont qualifiées de régions désignées. La Ville de Toronto est entièrement désignée en ce sens, au regard de la loi.
Mme Marceau a décidé de ne pas en rester là et a émis une plainte auprès du Commissariat aux services en français de l’Ontario, garant de l’application de la loi.
« Quand on arrive enfin à avoir un service, on ne le comprend pas. On finit par demander en anglais. C’est triste. J’entends des exemples similaires autour de moi, pas seulement dans les ServiceOntario. Les francophones baissent les bras, se résignent, mais il faut en parler, ne serait-ce que pour donner l’exemple à nos jeunes. »
Cette plainte s’ajoute à d’autres qui ont entrainé plus tôt, au début du mois, une enquête visant à contrôler le respect de la LSF dans les agences ServiceOntario. Dans son dernier rapport annuel, le commissaire Bouchard indiquait que de 6 % des plaintes émanaient du ministère des Services au public (incluant ServiceOntario).