Sortir de la crise à l’Université Laurentienne
[ANALYSE]
SUDBURY – Le 1er février, une double déflagration secouait l’Ontario français. D’une, la démission du recteur l’Université de l’Ontario français (UOF), André Roy, quelques jours après les révélations des difficultés du recrutement d’étudiants. De l’autre, les difficultés financières de l’Université Laurentienne. Si la première depuis a vu le nombre de demandes d’admission augmenter, l’institution sudburoise poursuit une descente dont on ne voit pas le bout.
Depuis deux mois, les mauvaises nouvelles se succèdent. D’abord en décembre, avec l’annonce d’un déficit abyssal de 10,6 millions de dollars, puis début février, le commencement d’une procédure de restructuration sous supervision judiciaire en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). Dans la foulée, les premières conclusions du conseiller spécial du gouvernement Ford dans le dossier ont estimé des déficits accumulés… depuis 2014.
En attendant le 1er mai, date butoir pour la fin de la restructuration, la tension monte, tant les coupes semblent devenir inévitables. Quel effet prendront-elles? Quels programmes seront visés? Les étudiants francophones sur le campus verront-ils leurs programmes – déjà moins fréquentés -, sacrifiés?
L’Université Laurentienne a pourtant une triple valeur pour les francophones.
Historique d’une part. Sa création en 1960, dans la vague d’expansion du milieu universitaire, suscite alors de nouveaux espoirs vite douchés cependant par un bilinguisme profondément dysfonctionnel. Une iniquité qui nourrit six décennies de revendications.
Éducative ensuite, car avec plus d’un millier d’étudiants francophones, le campus forme chaque année des professionnels bilingues dans une région en proie à une démographie en berne.
Symbolique surtout, car il s’agit d’un point d’ancrage culturel important, et le point de départ du Théâtre du Nouvel-Ontario, du groupe CANO, ou encore la maison d’édition Prise de parole.
Des défis structurels de longue date
Comment en est-on arrivé là? Au-delà de la dette, l’Université Laurentienne possède des défis structurels qui ont relativement épargné l’Université d’Ottawa, de Toronto, ou encore Queen’s. Dans une région en perte de vitesse démographique, et injustement méconnue à l’internationale, se démarquer demeure un véritable défi.
Avec la situation inédite de la COVID-19, cette tâche s’est amplifiée pour cibler cette nouvelle « clientèle virtuelle », éparpillée derrière des écrans, et non sur un territoire géographique délimité.
Pour preuve, les inscriptions pour 2020-2021 ont baissé de 2,5 % alors que celles-ci sont restées stables pour l’Université d’Ottawa, et ont même décollé à l’Université de Toronto. Une situation intenable contre laquelle La Laurentienne, du fait de son isolement géographique et son réseau d’anciens étudiants plus restreint, n’a pas obtenu le soutien escompté.
Des solutions possibles
Pour sortir de l’ornière, les solutions existent. Financière tout d’abord. Le gouvernement Ford aurait la possibilité de sortir le chéquier, mais à « seulement » un an et demi d’une élection, et dans un contexte pandémique, l’hypothèse s’avère peu plausible. Judiciaire ensuite : la Loi sur les services en français pourrait théoriquement protéger les programmes d’éventuelles coupures. C’est du moins l’interprétation du professeur François Larocque.
Enfin, les déboires de La Laurentienne ont relancé l’idée de fédérer les programmes en français de l’université avec éventuellement ceux de l’UOF, ou bien l’Université de Sudbury.
En dépit de son identité bilingue, mais marquée par une domination anglophone, le campus reste intimement lié à l’histoire franco-ontarienne. Ne pas tendre la main à l’Université Laurentienne, c’est ignorer la spécificité francophone de l’institution.
Se battre pour de nouveaux droits, et de nouvelles institutions francophones ne doit jamais tenir pour acquis les piliers de l’histoire déjà présents. L’UOF a le temps de se racheter. La Laurentienne, en proie à une crise immédiate, n’a pas cet avantage.
Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 27 février.