SOS Montfort dans notre mémoire

SOS Montfort Gisèle Lalonde
la petite-fille de Gisèle Lalonde, Geneviève Lalonde-Gauthier, contemplant l'exposition temporaire du CRCCF sur SOS Montfort au vernissage, à Ottawa, le 22 septembre dernier. Crédit image: Diego Elizondo

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste de patrimoine Diego Elizondo.

[CHRONIQUE]

OTTAWA – Jusqu’au 9 décembre prochain le Centre de recherche sur les francophonies canadiennes (CRCCF) de l’Université d’Ottawa (qui s’appelait jusqu’à tout récemment le Centre de recherche de recherche en civilisation canadienne-française) tient une exposition temporaire intitulée SOS Montfort!

Ouverte gratuitement au grand public à l’aire d’exposition Françoise-et-Yvan-Lepage du Centre, elle revient sur les grands moments de la lutte légendaire franco-ontarienne pour sauver le seul hôpital universitaire de langue française en Ontario en présentant des notes manuscrites, diverses coupures de presse et d’artéfacts récemment acquis des archives de l’hôpital.

Si les frais saillants de la lutte équipe que livra la communauté franco-ontarienne avec à sa tête Gisèle Lalonde sont archiconnus, cette exposition permet de découvrir l’abondante documentation produite pour sauver d’une fermeture annoncée l’hôpital francophone (ouvert en 1953) de même que les retombées médiatiques de cette lutte historique qui était loin d’être gagnée d’avance. Un véritable combat de David contre Goliath qui s’est échelonné de 1997 à 2002.

On doit la recherche, la rédaction des textes et la conception de l’exposition au commissaire Ghislain Thibault, archiviste des systèmes au CRCCF.

Affiche du mouvement SOS Montfort. Crédit image : Diego Elizondo

Le mouvement SOS Montfort a rallié rapidement la communauté franco-ontarienne à sa cause et a eu des échos à travers le pays. Au terme de cinq années de rassemblements, de négociations, de lobbying et de batailles judiciaires, SOS Montfort obtiendra finalement gain de cause deux fois plutôt qu’une devant les tribunaux face au gouvernement de l’Ontario.

L’exposition propose de découvrir des photographies d’époque, des produits dérivés en appui à la cause de même qu’un surprenant hommage en 2008 d’élèves du Collège catholique Franco-Ouest à Gisèle Lalonde, figure de proue du mouvement.

Le vernissage a eu lieu la veille du colloque annuel du CRCCF ayant spécialement pour thème cette année « Le moment Montfort dans la francophonie canadienne, 25 ans plus tard ». Les actes de colloque paraîtront l’année prochaine, pour le 70e anniversaire de la fondation de l’hôpital.

Montfort et nous

Outre le flagrant sentiment d’injustice qui ébranla la communauté franco-ontarienne devant l’épée de Damoclès qui plainait au-dessus de l’un de ses précieux acquis, si SOS Montfort a trouvé un écho aussi populaire dans la communauté, cela peut en partie s’expliquer aussi par les liens identitaires profonds qui unissent l’hôpital et les Franco-Ontariens.

En effet, dans une entrevue accordée en 2016 à Denis Gratton du quotidien Le Droit, l’expert-conseil en patrimoine, auteur et chercheur Jean Yves Pelletier (qui a travaillé pendant trois dans les archives historiques de Montfort) expliquait que l’hôpital a toujours été un véritable lieu de socialisation de la communauté, bien plus qu’un simple bâtiment de brique et de mortier.

« J’ai très bien compris ce qu’on voulait dire quand on parlait de la famille Montfort. Entre 1950 et les années 1990, on comptait à peu près toujours le même nombre d’employés. Et ces gens restaient là pendant des décennies », évoquait M. Pelletier.

Et de poursuivre : « Il s’agissait souvent des gens de la même famille. Des oncles, des fils, des tantes, des neveux et le reste. Tout le monde se connaissait. Et les Sœurs [Filles de la Sagesse, fondatrices de l’hôpital] connaissaient les enfants d’Eastview (Vanier) puisqu’elles enseignaient dans les écoles de cette ville. Donc elles donnaient les emplois d’été à l’hôpital à certains de ces étudiants. Et certains d’entre eux sont restés à Montfort toute leur vie. Pour ces gens, Montfort était leur vie sociale. L’hôpital était toute leur vie. »

Affiches visibles dans l’exposition. Crédit image : Diego Elizondo

À titre d’exemple, l’épouse de l’architecte et cofondateur de l’hôpital (le Franco-Ontarien Jean-Serge Le Fort) fonda l’association des auxiliaires/bénévoles de l’hôpital (ancêtre de l’actuelle Fondation de l’hôpital). C’est d’ailleurs en misant sur l’importance sociologique de l’hôpital pour la minorité linguistique de langue officielle que le professeur Roger Bernard prépara son affidavit à la demande et à l’intention des juristes défendant Montfort devant les tribunaux, avec l’avocat Ronald Caza en tête.

Le sociologue Bernard a mis le meilleur du fruit de toutes ses années de recherches sur la communauté franco-ontarienne dans son affidavit présenté sous serment à la Cour de l’Ontario (Division générale), le 7 juillet 1998 : « Montfort est une institution qui incarne et évoque la présence française en Ontario. Montfort est un porte-étendard pour les Franco-Ontariens, un symbole de la force et de la vitalité franco-ontarienne », disait-il dans son témoignage.

« Le dynamisme et la force d’une communauté dépendent en grande partie de la vitalité de ses institutions, plus particulièrement de la complétude de son réseau qui doit, autant que possible, s’appliquer à tous les aspects de la vie de la communauté pour que les membres puissent entretenir des relations sociales qui favorisent le développement de leurs liens de solidarité et de leurs sentiments d’appartenance. »

L’affidavit original de Bernard est présenté dans le cadre de l’exposition du CRCCF.

Affidavit sous serment original en faveur de la sauvegarde de l’Hôpital Montfort du sociologue et professeur Roger Bernard déposé devant la Cour. Crédit image : Diego Elizondo

Montfort dans la mémoire

Une des très grandes forces des chefs de file de SOS Montfort était d’avoir compris dès le début le caractère historique de leur combat et de le rattacher rapidement dans la trame narrative de l’histoire franco-ontarienne. Gisèle Lalonde et Michel Gratton (son neveu et bras droit) avaient un sens aigu de l’histoire.

Pour s’assurer que la lutte qu’ils menaient puisse continuer d’inspirer, une série de commémorations sous différentes formes ont été faites depuis bientôt 25 ans. Alors même que le combat avait toujours cours, les premières commémorations de la lutte de SOS Montfort furent… patrimoniales!

En effet, par le truchement de la toponymie, le 20 mars 1998 la rue qui mène à l’Hôpital Montfort est rebaptisée « Avenue du 22 mars » pour marquer le premier anniversaire du Grand Ralliement du 22 mars 1997.

Quelques jours plus tard à peine, le 27 mars 1998, la Cité collégiale nomma sa cafétéria « Place du 22 mars ».

La rue qui mène à l’Hôpital Montfort rebaptisée « Avenue du 22 mars » pour marquer le premier anniversaire du Grand Ralliement du 22 mars 1997. Crédit image : Diego Elizondo

Le 12 novembre 2003, Michel Gratton lance son livre intitulé Montfort : la lutte d’un peuple. Publié aux éditions du CFORP (institution franco-ontarienne fondée par sa tante, Gisèle Lalonde), M. Gratton livre un pavé de 808 pages avec pour réel souci de laisser en détail un récit historique aussi précis que possible pour la postérité.

En mars 2004, la Médaille du 22 mars fut créée. Tirée à 22 exemplaires, elle est remise aux personnes ayant fait preuve de fierté, de persévérance et de ténacité, trois qualités essentielles à la réussite de l’Hôpital Montfort. Trois médailles du 22 mars furent remises à Gisèle Lalonde, Michelle de Courville Nicol et au sénateur Jean-Robert Gauthier (à titre posthume) en 2012. Mauril Bélanger la recevra en 2016 et la congrégation religieuse catholique des Filles de la Sagesse en 2017.

Le 31 mars 2007, plus d’une centaine d’employés, de médecins et de francophones se rassemblent pour célébrer le dixième anniversaire du grand ralliement à l’École secondaire publique Gisèle-Lalonde. Le 9 juin 2009, une magnifique murale géante commémorant le mouvement SOS Montfort est dévoilée sur la promenade Vanier, près de l’avenue McArthur, à Ottawa.

Mettant en scène les principaux chefs de file de SOS Montfort (Gisèle Lalonde, Michel Gratton, Ronald Caza, Michelle de Courville Nicol et Gérald Savoie), cette murale de l’artiste Marie-Hélène Lajoie a malheureusement eu une vie trop courte lorsqu’elle fut retirée pour restauration en 2017 avant d’être mise au rancart définitivement en 2019.

Pour le quinzième anniversaire, en 2012, une soirée de reconnaissance est organisée au Centre des arts Shenkman à Orléans par la Fondation de l’hôpital. La même année, le maire d’Ottawa, Jim Watson, proclame le 22 mars, la Journée de la solidarité franco-ontarienne.

Enfin, le 22 mars 2017, l’Hôpital Montfort organisa une grande fête pour souligner les 20 ans du grand ralliement en présence de plusieurs artistes, sur le même lieu que celui du 22 mars 1997, au parc Lansdowne à Ottawa, où s’étaient réunies 10 000 personnes.

Quant à elle, l’exposition du CRCCF arrive à un moment où coïncide deux anniversaires en lien avec SOS Montfort. D’abord, avec le 25e anniversaire du Grand Ralliement historique.

Ensuite, avec le 20e anniversaire de la victoire totale de la cause Montfort devant les tribunaux. Elle est aussi présentée par une triste ironie du sort l’année du décès de Gisèle Lalonde, présidente du mouvement, sans qui la victoire n’aurait sans aucun doute pas été possible.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.