Suzette Hafner, inlassable bénévole de la francophonie de Waterloo
[LA RENCONTRE D’ONFR]
CAMBRIDGE – Ancienne présidente de l’Association des francophones de Kitchener-Waterloo (AFKW), Suzette Hafner est une des voix de la région de Waterloo. À 80 ans, cette ex-enseignante de français qui siège aujourd’hui au conseil d’administration de l’Entité 2 nous décrit les particularités de sa communauté, immergée dans un océan anglophone, aux portes du Sud-Ouest ontarien.
« Comment êtes-vous arrivée dans la région de Waterloo?
J’ai déménagé ici pour être proche de mon fils établi dans la région. Venant de Montréal, je voulais continuer à vivre en français. Alors une des premières choses que j’ai faites a été de contacter l’AFKW et de participer au club de lecture qui existe toujours. De fil en aiguille, je me suis impliquée de plus en plus.
Que retenez-vous de vos quatre années à titre de présidente de l’AFKW?
On a essayé durant ces années-là de faire connaître et rayonner cette francophonie. Il y avait des activités qui demeurent encore aujourd’hui comme la fête de Noël et la Franco-Fête, mais je crois que ce qui est à souligner c’est la membriété qui a augmenté durant cette période. L’AFKW est devenue une association reconnue, particulièrement dans le domaine culturel. Nos activités ont rassemblé un public nombreux et ont eu beaucoup de succès. Il y avait au niveau culturel un certain essor bâti des partenariats avec d’autres organismes et les gens étaient prêts à se déplacer jusqu’à Elora pour voir une exposition.
Votre époux Joseph-Ambroise Desrosiers était aussi un contributeur de ces événements culturels, notamment en qualité de conteur…
Joseph était fantastique, un conteur né! Il était originaire de Sainte-Geneviève, un petit village francophone du Manitoba. Quand il était jeune, il avait joué dans des pièces là-bas.. Il connaissait par cœur Les Mots de Victor Hugo qu’il était capable de réciter avec les gestes.
Vous succédiez il y a dix ans, en 2013, à Yves Beretta, un pilier de la francophonie locale disparu subitement. Vous a-t-il inspirée dans votre mandat?
Il m’avait dit : « Toi, tu vas être présidente », alors que je venais tout juste d’entrer dans l’association. Et c’est arrivé! Yves était tellement impliqué… Il connaissait beaucoup de monde et ne comptait pas ses heures. Il pouvait m’envoyer des courriels à 1h du matin et je ne répondais pas avant à 5h (rires).
Quels sont les principaux repères communautaires pour les francophones de Kitchener et Waterloo?
On a le Festival du cinéma, la Franco-Fête chaque mois de juin, le club de lecture, le club de marche… Ce sont des activités rassembleuses et régulières qui attirent toujours. Les francophones de la région ont aussi (depuis 2020) une deuxième école secondaire : l’École David Saint-Jacques située à Kitchener (qui s’ajoute à l’École secondaire catholique Père-René-de-Galinée, ainsi qu’aux écoles élémentaires catholiques Cardinal-Léger (Kitchener), Mère-Élisabeth-Bruyère (Waterloo) et Saint-Noël-Chabanel).
Dans un contexte de difficulté à assurer la relève dans les organismes, les écoles franco-ontariennes locales font-elles figurent de solution?
C’est très important qu’il y ait des écoles. Elles tiennent le fleuron de la langue dans la région. Maintenant, là encore, il faut être réaliste, en ce sens que, souvent, quand les enfants sortent de la classe et retournent chez eux, ils ne parlent pas français. Le manque d’activités culturelles extrascolaires accentue cet aspect. Tout est en anglais, que ce soit la musique ou autre. Il y a aussi les écoles d’immersion qui fonctionnent un peu parce que des parents allophones croient à la connaissance de base en français. C’est un appoint qu’il ne faut pas sous-estimer.
Waterloo, Kitcherner et Cambridge sont des villes très proches et très différentes à la fois. Comment mobilise-t-on la francophonie dans une région aussi diverse?
Ce n’est pas évident car ce sont des populations différentes entre Waterloo l’intellectuelle avec son université, Cambridge la manufacturière avec ses industries et, entre les deux, Kitchener la technologique avec toutes ses entreprises. Le défi de la francophonie ici, c’est le même défi que celui de ces trois villes qui ne se connectent pas beaucoup entre elles. L’unité des francophones et de leurs intérêts est donc difficile au niveau sociologique.
Plus de 5 000 résidents ont le français pour langue maternelle et plus de 36 000 déclarent être bilingues, selon le dernier recensement. Cela représente 1% de francophones natifs et 5% de bilingues.
Ça a diminué un peu partout au pays. Il y a quelques années, ici, on disait « On est 10 000 il faut se parler ». C’était un slogan qui démontrait déjà notre envie d’échanger malgré la diversité de la région.
Deux associations francophones cohabitent dans cette région : l’AFKW et le Centre francophone de Cambridge. Comment expliquer cette richesse associative dans un bassin francophone relativement restreint?
Le Centre francophone de Cambridge est un centre familial qui a commencé il y a très longtemps dans un poulailler! Des familles venues du bas de fleuve chercher du travail dans les industries de Cambridge et Hamilton. L’AFKW s’est affirmé plus tard avec l’expansion universitaire et l’arrivée de professeurs francophones.
Vous siégez à la Table interagence de Waterloo-Welligton-Guelph, une jeune structure créée en 2020 qui mobilise les différentes associations francophones de la région. Quelle est sa vocation?
Un de nos objectifs a été d’identifier et de rencontrer des étudiants francophones, afin de les encourager à rester dans la région. C’est un petit accomplissement mais il faut dire que, au cours de la dernière année, on a plus de difficulté à rejoindre les gens autour de la table. La collaboration et les projets communs ne sont pas évidents entre Waterloo, Wellington et Gueph. Et la table n’a pas d’argent car ce n’est pas une association, ce qui rend d’autant plus difficile la mise sur pied d’activités.
Pourquoi vous engagez-vous au sein du conseil d’administration de l’Entité 2 de planification de services de santé en français?
La santé est un de ces combats communs importants dans la région. Chaque francophone devrait avoir accès à un médecin qui parle francophone. C’est loin d’être évident. C’est pour cela qu’on compte sur les jeunes qui entrent à l’université. La santé peut vraiment être un thème fédérateur mais encore faut-il des personnes prêtes à s’impliquer, notamment au sein de la Table interagence. Espérons un nouveau souffle en cette rentrée de septembre. Avec l’Entité 2, on essaye aussi d’établir des lits (de soins de longue durée) pour les francophones à Cambridge. Le complexe Fairview (à Cambridge) est par exemple ouvert à un tel projet, que ce soit en termes de lits ou de personnel médical.
Avant de déménager à Waterloo, vous avez beaucoup voyagé du Québec à l’Ontario…
Je suis née à Montréal où j’ai fait mes études. J’ai été professeur là-bas, avant de déménager à Toronto avec mon mari. J’y ai poursuivi l’enseignement à la commission de la fonction publique au gouvernement fédéral pour enseigner le français en langue seconde aux députés.
Vous avez ensuite déménagé à Simcoe, Borden puis Ottawa, où là aussi l’enseignement vous a rattrapée?
À Borden, je suis devenue superviseure dans l’enseignement du français aux militaires, puis conseillère pédagogique et finalement directrice régionale pour toutes les bases en Ontario. Avant d’arriver à la retraite, à Ottawa, j’étais directrice en charge du programme de formation linguistique et de testing à la Défense nationale.
ONFR a révélé en mars dernier l’envers du décor de la formation des enseignants de français pour les fonctionnaires. Comment jugez-vous la détérioration de cet enseignement?
À l’époque, nous avions nos textes qu’on avait élaborés avec des spécialistes de l’Université d’Ottawa et tous les profs que nous engagions avaient comme base un diplôme d’un certain niveau. On voyait déjà, quand j’ai quitté, que des superviseurs à l’interne trouvaient que la formation des professeurs laissait parfois à désirer. Quand les écoles privées ont commencé, il y a eu un peu de tout, voire un laissé-allé. Ce n’est déjà pas évident d’enseigner a des gens dont ce n’est parfois pas le choix. Quand ils sont dans un poste étiqueté bilingue, ça prend des profs compétents et motivés pour leur apprendre la langue. Voir ce glissement, ça n’améliore pas l’image de la fonction publique en général et ça n’aboutit pas à un personnel véritablement bilingue.
Hamilton a obtenu son drapeau franco-ontarien permanent sur le fronton de l’hôtel de ville l’année dernière. Pourquoi pas Kitchener, Cambridge et Waterloo?
Oui, j’aimerais ça. Pourquoi pas, il y a quand même une communauté francophone ici et je pense que ça serait une fierté qu’elle soit reconnue par les instances de l’hôtel de ville. Certaines villes démontrent plus ou moins d’ouverture à la francophonie. À Waterloo, autant que je sache, je ne sens pas beaucoup d’effort, contrairement à Kitchener où le maire n’a jamais refusé d’accueillir une présentation ou un spectacle dans le hall de l’hôtel de ville. À Cambridge aussi, une ouverture est là.
LES DATES-CLÉS DE SUZETTE HAFNER
- 1943 : Naissance à Montréal
- 1973 : Entre dans la fonction publique fédérale
- 2010 : S’installe à Waterloo
- 2013 : Devient présidente de l’AFKW
- 2019 : Intègre le conseil d’administration de l’Entité 2
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.