Tiemoko Ouatra, de la Côte d’Ivoire à la tête de l’ACFO Témiskaming

Le directeur général de l'ACFO Temiskaming, Tiemoko Ouatra. Gracieuseté

[LA RENCONTRE D’ONFR+]

TÉMISKAMING – Depuis quelques mois, l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO) Témiskaming a un nouveau visage. Tiemoko Ouatra, un diplômé de l’Université de Hearst, a succédé à Jean-Claude Carrière, en poste depuis 2002 et parti à la retraite. Pour M. Ouatra, sa principale mission à la barre de l’organisme est d’intéresser plus de jeunes à la francophonie. Rencontre avec le tout nouvel habitant de New Liskeard.

« Vous êtes née en Côte d’Ivoire. Qu’est-ce qui vous a amené au Canada?

J’ai étudié à l’Université de Hearst où j’ai fait un baccalauréat en administration des affaires. Les études étaient ma première motivation et ensuite cette envie de m’ouvrir à d’autres cultures et de rencontrer d’autres personnes. Je pense que c’est ce mélange qui m’a donné envie de sortir de chez moi.

Justement, quelle place occupe le français en Côte d’Ivoire?

On a eu notre indépendance en 1960, mais on était une colonie française avant… Même s’il y a des cultures avec leurs dialectes, c’est le français qui prédomine. C’est cette langue qui permet de nous comprendre, peu importe d’où l’on vient.

Quelle première image aviez-vous de la francophonie canadienne avant d’arriver au pays?

Je pensais que le Canada était anglophone, mais en poussant mes recherches, je me suis rendu compte que non. Je me suis aussi rendu compte que la francophonie était beaucoup plus forte au Québec. Je n’étais pas vraiment surpris de voir que quelque part il y avait une certaine inégalité autour de la francophonie, car une fois qu’on est au Québec, on se rend compte que la francophonie est vraiment forte, mais pas autant dans les autres provinces.

Une fois sur place dans le pays, avez-vous été surpris de voir qu’il y avait une différence entre l’anglais et le français?

Lors de mon premier contact à l’aéroport de Toronto, j’ai vu que c’était vraiment difficile d’avoir des services en français. C’était vraiment un casse-tête et ça se voyait dès que je suis arrivée. Dès lors, il y avait de petits problèmes qui étaient là au niveau de la langue, mais subconsciemment, ce ne sont pas des choses que j’ai réalisées sur le coup.

Tiemoko Ouatra est à la tête de l’organisme depuis juin dernier. Gracieuseté

Mais vous avez choisi Hearst, une ville paradoxalement à majorité francophone, comment avez-vous vécu à travers cette « exception »?

J’étais un peu surpris de voir en Ontario une ville qui était à près de 90 % francophone. En même temps, je venais là pour étudier et je savais que l’université offrait des services dans la langue française… Ce n’était pas un hasard, car j’avais prévu de rester au Canada. Je n’ai pas cette envie là de retourner en Côte d’Ivoire, car j’ai passé une bonne partie de ma vie là-bas.

Quelle est votre vision de la francophonie nord-ontarienne?

Pour être honnête, je ne m’attendais pas à voir autant de francophones dans le Nord de l’Ontario quand je suis arrivé. En même temps, je n’étais pas surpris de voir des francophones, car je venais étudier en français. J’ai eu la chance d’assister à énormément de mouvements francophones quand j’étais étudiant. Je voyais des gens qui militaient vraiment pour la cause. D’un point de vue historique aussi, le peu de connaissance que j’ai eu à apprendre de la francophonie me fait dire que c’est une bonne cause… Je ne peux pas comprendre ou je ne conçois pas qu’on peut discriminer sur la base de la langue. Je ne comprends pas cette logique-là.

Pourquoi avoir décidé de prendre les responsabilités de directeur général?

Pour moi, être en Ontario en plus de travailler dans la francophonie est parfait parce que la plupart des emplois qui sont recherchés dans le Nord de l’Ontario requièrent d’être anglophone ou parfaitement bilingue pour occuper le poste. Pour moi, avoir cette opportunité de travailler en français en Ontario est le mélange parfait.

Quels sont les dossiers importants?

L’enjeu que je peux voir est comment intéresser plus les jeunes à la francophonie. De mon observation et des contacts que je me suis faits, c’est vraiment un dossier pas nécessairement à résoudre, car ce n’est pas un problème majeur, mais c’est à améliorer pour attirer plus les jeunes vers la francophonie.

Quels seraient les moyens pour vous pour attirer les jeunes francophones du Témiskaming?

Il y a des moyens pour pouvoir attirer les jeunes vers la francophonie. Je pense que le problème part du plus bas âge parce qu’on se retrouve dans une communauté où toutes les activités qui sont intéressantes sont en anglais, donc le jeune est plus porté à parler en anglais et ça devient compliqué de parler en français. Être francophone, c’est à l’école, à la maison et à la télé. Des solutions seraient de faire comprendre aux jeunes que la francophonie n’est pas une corvée et, de deux, que c’est une bonne opportunité pour être bilingue. Il faut aussi mettre des activités en place pour les intéresser à la francophonie.

Tiemoko Ouatra veut donner la priorité à la jeunesse. Gracieuseté

Y a-t-il d’autres enjeux qui requièrent une amélioration selon vous dans le Témiskaming?

Il y a un souci avec les soins de longue durée. Les francophones attendent plus longtemps pour obtenir des services. Au niveau de l’éducation, beaucoup a été fait avec les écoles en français, mais je pense que c’est surtout l’offre de services en français dans les médias et les réseaux sociaux. Il y a par exemple des propriétaires d’entreprise qui sont francophones, mais qui préfèrent mettre leurs annonces en anglais, car ça touche plus de personnes. Ici à l’ACFO, on travaille avec l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) pour résoudre cela. On veut inciter les entreprises à offrir des services en français.

Comment voyez-vous la réalité du Témiskaming, considérant sa proximité avec le Québec?

Je trouve ça excellent pour être honnête qu’on soit à moins d’une heure du Québec. On peut avoir cette immersion du français en provenance du Québec. Les Québécois et les Ontariens, ça reste des Canadiens.

L’un des problèmes qui frappent Témiskaming et d’autres villes du Nord de l’Ontario est l’exode des jeunes francophones vers les grands centres urbains. Comment percevez-vous cette réalité?

D’abord, je pense qu’il n’y a pas suffisamment d’activités pour retenir les jeunes. De deux, l’offre de service en français n’est pas spécialement mise de l’avant, car quelqu’un qui vient d’une communauté comme le Témiskaming n’est pas forcément au courant qu’il y a une population francophone qui se trouve dans la ville. Regagner les jeunes passerait peut-être par remettre des prix à ceux qui parlent le français et qui sont bilingues. Ça montrerait qu’on les valorise et ça développerait ainsi le sentiment d’appartenance.

Quels sont vos objectifs à long terme pour l’organisme?

On veut insérer plus de services en français. Par exemple, pour quelqu’un qui vient dans la communauté et qui souhaite apprendre le français et qui ne peut pas s’inscrire à l’école, on pense aider ces gens-là et les initier petit à petit au français. Au niveau de la francophonie, il y a des choses qui vont arriver… On ne peut pas dire que la francophonie est présente à 100 % au niveau du Témiskaming mais il y a de beaux efforts qui ont été faits par mon prédécesseur Jean-Claude Carrière, mais il y a beaucoup à faire pour l’avenir. »


LES DATES-CLÉS DE TIEMOKO OUATRA

1995 : Naissance en Côte d’Ivoire

2015 : Arrivée au Canada

2020 : Obtient son diplôme de l’Université de Hearst

2021 : Nommé directeur général de l’ACFO Témiskaming

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