L’enchâssement des droits constitutionnels toujours attendu
[CHRONIQUE]
En décembre dernier, la première ministre, Kathleen Wynne, a défendu la décision de son gouvernement de refuser d’entreprendre des démarches afin de faire enchâsser les droits des Franco-Ontariens dans la Constitution canadienne de manière similaire aux francophones et Acadiens du Nouveau-Brunswick qui ont obtenu pareille protection en 1993.
MARC-ANDRÉ GAGNON
Chroniqueur invité
@marca_gagnon
Selon elle, la Loi sur les services en français suffit à la tâche de protéger cette population. Alors que l’on célèbre cette semaine le 30e anniversaire de son adoption par l’Assemblée législative, de nombreux intervenants ont fait entendre leur voix pour appeler à sa révision. D’autres choisissent d’évoquer des faits ou des anecdotes à propos de ce jalon important de l’histoire récente de l’Ontario français.
Au nombre des diverses interprétations mises de l’avant ces derniers jours, je retiens celle de l’ancien premier ministre David Peterson (1985-1990). L’homme rappelle le contexte tendu à une époque où la question constitutionnelle et l’avenir du Québec étaient au cœur de la vie politique.
Il craignait pour l’unité nationale et cherchait à envoyer des signaux positifs à son homologue Robert Bourassa qui s’apprêtait à entamer des discussions avec le fédéral. L’objectif consistait à ramener le Québec dans le giron canadien « dans l’honneur et l’enthousiasme » après l’épisode du rapatriement constitutionnel de 1982. Selon cette interprétation, la Loi 8 n’était qu’une arme utile pour miner le mouvement nationaliste québécois.
Bien que cette explication est valable et a le mérite de replacer l’évènement dans son contexte immédiat, elle atténue (voire occulte) l’importance du militantisme de la communauté franco-ontarienne en faveur d’une telle politique.
Entre 1977 et 1986, l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO), aujourd’hui l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), a multiplié les représentations afin de faire reconnaître le français comme langue officielle et d’enchâsser les droits de la minorité linguistique dans la Constitution canadienne.
Le but était de mettre fin à la politique du « va comme j’te pousse » selon l’expression du président de l’ACFO Serge Plouffe, faisant ici référence au manque de cohésion des politiques touchant les francophones.
Durant la campagne électorale de 1985, le principal groupe de pression de l’Ontario français se montrait favorable à l’adoption d’une politique globale. Celle-ci devait comprendre deux volets : une loi sur les services et une protection de nature constitutionnelle.
Contexte favorable
La défaite de l’éphémère gouvernement de Frank Miller par une coalition des partis d’opposition en juin 1985 a mis fin au long règne des conservateurs au niveau provincial. Le contexte semblait désormais ouvrir la voie au bilinguisme institutionnel. Le gouvernement optait néanmoins en mai 1986 pour un projet de loi sans offrir d’autres garanties au plan constitutionnel.
Durant les débats, on le présentait comme l’aboutissement logique des luttes franco-ontariennes pour tenter d’obtenir de la province la reconnaissance du droit à recevoir des services en français. La protection constitutionnelle devait venir plus tard, car les députés préféraient uniquement s’attarder au projet de loi.
Bernard Grandmaître, le principal architecte de la politique linguistique, était sceptique qu’un tel enchâssement puisse se faire à court et moyen terme. Le gouvernement eut alors beau jeu de présenter la Loi 8 comme un tremplin vers le bilinguisme institutionnel. Cet argument convint la communauté franco-ontarienne d’accepter le compromis.
Même sans reconnaissance constitutionnelle, son adoption constituait une victoire pour l’Ontario français. Toutefois, l’ACFO était consciente que la mesure comporte des risques. Une loi du parlement peut être modifiée ou abrogée. Elle peut être sujette à la politique partisane.
Trente ans plus tard, l’enchâssement des droits constitutionnels se fait toujours attendre. Les gouvernements successifs n’ont pas donné suite logique à la Loi sur les services en français. Ce qui était jadis une condition nécessaire à la réalisation d’une politique linguistique globale pour les Franco-Ontariens est devenu un vœu pieux.
Heureusement, l’AFO a repris le bâton du pèlerin à la faveur de résolutions adoptées en 2012 et 2014. Cet anniversaire nous rappelle l’importance de mener à terme cette entreprise inachevée.
Marc-André Gagnon est doctorant en histoire à l’Université de Guelph.
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