Trèva Cousineau, l’infatigable militante franco-ontarienne

Tréva Cousineau au Prix Bernard Grandmaître 2019. Crédit image: Stéphane Bédard

[LA RENCONTRE D’ONFR] 

OTTAWA – Le 16 mai prochain, l’Université d’Ottawa honorera une de ses anciennes étudiantes. La Franco-Ontarienne de Timmins, Trèva Cousineau, recevra le Prix du service communautaire soulignant son engagement bénévole exceptionnel au sein de sa communauté. Rencontre avec celle que l’on nomme le « bouclier pour la francophonie ».

« Vous allez recevoir un nouveau prix, cette fois de l’Université d’Ottawa. Que représentent tous ces prix que vous avez reçus au fil du temps?

Je les vois comme une reconnaissance, un honneur, un plaisir, mais aussi comme une incitation à continuer à rendre service à ma communauté. En même temps, je les accueille chaque fois avec humilité, car je sais qu’il y a beaucoup de bénévoles qui mériteraient ces prix bien plus que moi et qui ne sont pas honorés. Ce prix de l’Université d’Ottawa me touche particulièrement, car il vient de mon Alma mater.

Ce n’est pas la première fois qu’un prix récompense votre engagement. D’où vous vient cette volonté de vous impliquer?

J’ai été formée par les religieuses et j’ai appris que quand on reçoit beaucoup, on doit donner beaucoup en échange. J’ai beaucoup reçu et c’est d’ailleurs grâce à une bourse que j’ai pu étudier à l’Université d’Ottawa, car sinon mes parents n’en auraient pas eu les moyens. Et puis, j’aime participer, faire bouger les choses, relever les défis.

Au cours de votre parcours, vous avez démontré une passion pour le domaine de l’éducation. Vous avez notamment présidé le très important groupe consultatif sur la gestion de l’éducation en langue française qui a conduit à la gestion scolaire francophone. Quel souvenir en gardez-vous?

Celui d’une expérience très enrichissante qui m’a permis de rencontrer plein de gens à travers la province.

Est-ce que ça a été facile à faire accepter?

Au sein du groupe consultatif, tout à fait. Même s’il y avait des anglophones autour de la table, tous étaient conscients que c’était nécessaire. Et parmi les gens que nous avons rencontrés, nous n’avons jamais entendu d’opposition publique, même si certains soulignaient qu’il fallait prévoir un financement adéquat.

La militante Trèva Cousineau. Archives #ONFR+

Est-ce l’engagement qui vous a le plus marquée?

C’est sûr que quand je vois le résultat avec nos conseils scolaires francophones aujourd’hui, on pourrait le penser. Mais j’accorde aussi beaucoup d’importance au projet des Monuments de la francophonie sur lesquels j’ai travaillé avec le fondateur du projet, Alain Vachon.

Au départ, je n’étais pas trop sûr. Mais plus ça a pris forme, plus je me suis engagée. J’ai réussi à convaincre les Richelieu d’appuyer le projet. J’ai vu les six premiers monuments érigés, puis ai beaucoup travaillé sur celui de l’Université d’Ottawa dont je suis très fière.


« Les monuments sont importants, car c’est quelque chose qui reste et qui nous représente »


Et aujourd’hui, regardez où nous en sommes : l’an dernier, c’était Embrun, l’an prochain St-Albert… J’espère en voir un, un jour, à Timmins, car c’est la place pour un nouveau monument!

Du fait de cette expérience, quels conseils donneriez-vous aux militants du projet d’Université de l’Ontario français qui ont été refroidis par la décision du gouvernement de Doug Ford de suspendre le projet?

(Elle réfléchit) Je ne sais pas… J’avoue avoir été moi-même estomaquée par cette décision, sans aucune consultation ni dialogue… Je dirais qu’il faut continuer à mettre toute la pression possible pour faire comprendre à M. Ford que nous sommes mal traités par rapport au Québec qui a plusieurs universités pour sa communauté anglophone pourtant moins nombreuse que la nôtre et par rapport aux francophones du Manitoba, qui ont l’Université St-Boniface. Nous, nous avons l’Université d’Ottawa, qui est un château fort, mais c’est une institution bilingue. Et c’est nécessaire pour nous d’avoir un endroit à nous, pour nous et par nous.

Au cours de votre carrière, vous avez siégé sur de très nombreux conseils d’administration. Qu’est-ce que cette expérience vous a apportée?

C’est toujours très enrichissant et j’ai beaucoup appris, notamment à être plus tolérante et à accepter que, des fois, d’autres personnes ont de meilleures idées que moi. J’ai aussi souvent siégé sur des conseils d’administration où j’étais la seule francophone, à Timmins notamment.

J’ai dû expliquer qu’il y a des francophones en Ontario, ce que beaucoup ignoraient, et qu’il est important d’avoir des services en français. C’est plaisant de voir qu’on peut changer la perception des gens, même si des fois c’est plus difficile, comme lorsque je travaillais comme coordonnatrice aux services en français à Sault-Sainte-Marie. Là-bas, certains refusaient de comprendre.

Je pense que c’est le centre pour alcooliques et narcomanes à Timmins. Quand deux personnes m’ont approchée pour m’en occuper, c’était un monde inconnu pour moi et je n’y connaissais rien. C’est ce que je leur ai répondu. Et eux m’ont dit : « Tu nous connais, nous! » Je n’avais jamais réalisé qu’ils étaient alcooliques et ça m’a ouvert les yeux. Tous les employés là-bas étaient des alcooliques sobres. J’ai entendu les histoires affreuses qu’ils ont vécues pour s’en sortir. Ça m’a beaucoup marqué.

Le journaliste du quotidien Le Droit, Denis Gratton, vous a baptisée « Le bouclier pour la francophonie ». Que pensez-vous de ce surnom?

La première fois que j’ai vu ça dans le journal, je n’y croyais pas. Pour moi, notre bouclier, c’est Gisèle Lalonde! Mais depuis, j’en suis fière et il m’est arrivé de m’en servir dans certains dossiers. (Rires)

On dit souvent que vous êtes une militante infatigable. D’où vous vient toute cette énergie?

Je dois avoir de bons gènes! Ma mère est morte à 97 ans et elle vivait encore seule chez elle. J’ai 81 ans, et des fois, j’ai l’impression d’avoir plus d’énergie que mes filles de 50 ans! (Rires)

Je pense que ça vient aussi de mon style de vie. Même si j’ai élevé six enfants, je n’ai pas eu à beaucoup travailler pour un salaire. Mon mari m’a toujours supportée, même si des fois, il n’est pas content de me voir toujours partie! (Rires)

N’avez-vous jamais de moment de découragement?

Non, jamais, parce que je pense qu’il y a toujours quelque chose à faire. Il ne faut jamais baisser les bras.

Et puis, il y a toujours beaucoup de projets qui m’animent et m’encouragent. Mon engagement au MIFO [Mouvement d’implication francophone de l’Ontario] me passionne, par exemple. Le MIFO est tellement un beau projet, un vrai centre communautaire où la communauté francophone peut vivre et s’épanouir en français. Je suis fière d’y être associée et j’ai hâte de voir la construction d’un nouvel édifice pour nous permettre d’offrir encore plus à la communauté. 

Cela fait des années que vous vous impliquez dans la communauté franco-ontarienne. Quels conseils donneriez-vous aux plus jeunes militants?

Foncez! Engagez-vous! Il y a une telle satisfaction à voir bouger les choses, ça nous apporte beaucoup, ça nous fait grandir!

Vous êtes notamment présidente de l’organisme Dialogue Canada. L’un des dossiers que vous avez poussés ces dernières années était celui d’Ottawa bilingue. Êtes-vous satisfaite avec le projet de loi adopté en 2017, qui ne fait pas l’unanimité chez les francophones?

(Elle réfléchit) Non, car ce n’est pas ce que nous voulions. Nous sommes reconnaissants du projet de loi de Mme Des Rosiers [la députée libérale Nathalie Des Rosiers, à l’origine du projet de loi]. C’est un pas dans la bonne direction. Mais ce que nous voulions, c’était la reconnaissance de l’égalité réelle des deux langues officielles à Ottawa.

Ça m’a fait un peu de peine que certains me disent que j’étais vendue, car j’insistais là-dessus alors que d’autres militaient pour ne parler que des francophones, mais c’était notre objectif avec Dialogue Canada. Et aujourd’hui, je n’ai pas l’impression que le projet de loi nous a donné plus de services bilingues à Ottawa.

Quelle devrait être la prochaine étape?

Il faut continuer pour faire du bilinguisme une culture à Ottawa, aussi bien chez les élus que chez les décideurs et employés de la ville. Ça doit devenir un automatisme.

Vous avez été l’adjointe exécutive de l’ancienne députée libérale Claudette Boyer. En 2011, on vous a prêté des intentions politiques au sein du Parti progressiste-conservateur. Est-ce vrai?

Oui, j’avais même été à Toronto pour une grande réunion du parti. J’avais demandé au chef de l’époque, Tim Hudak, si le parti était prêt à respecter la Loi sur les services en français et à améliorer les services. Il m’avait promis que oui.

Mais quand je suis revenue chez moi et que je devais aller vendre des cartes de membres, celles que j’avais reçues n’étaient qu’en anglais. J’ai donc envoyé une traduction, mais on ne m’a rien renvoyé ensuite. Et quand la plateforme du parti est sortie, la traduction en français, disponible comme dans bien d’autres langues, était affreuse. Là encore, j’ai proposé de la traduire. Mais le parti ne voulait pas tout réimprimer.

Je me suis alors dit que si un parti n’était même pas capable de traduire ses cartes de membres, comment pourrait-il respecter la Loi sur les services en français! Je me suis donc retirée.


« J’aimerais parler avec M. Ford »


Pourquoi avoir choisi le Parti PC, alors que vous aviez travaillé pour une élue libérale?

Quand j’ai travaillé avec Claudette, je suis allée travailler pour une amie. Au départ, ça devait juste être temporaire. Elle venait d’être exclue du Parti libéral et avait perdu toute son équipe. Puis progressivement, de deux semaines, c’est devenu deux ans! J’en veux beaucoup à l’ancien premier ministre Dalton McGuinty d’avoir exclu Claudette, car c’était une personne très dévouée à son comté.

Quand elle m’a approchée, elle savait très bien que j’étais conservatrice. Avant de quitter Timmins, je devais d’ailleurs me présenter aux élections provinciales pour le Parti progressiste-conservateur. Si je ne l’ai pas fait, c’est simplement parce que mon mari a accepté un poste à Sudbury. Dans le Nord, tout le monde autour de nous était conservateur au provincial et libéral au fédéral.

Compte tenu de cette expérience, quel regard portez-vous aujourd’hui sur le Parti progressiste-conservateur et le gouvernement de Doug Ford?

Le Parti progressiste-conservateur d’aujourd’hui me déçoit, notamment ses décisions en matière d’éducation et de francophonie. J’aimerais parler avec M. Ford. Je pense que je pourrais lui faire comprendre notre contribution, le fait que nous sommes un peuple à part égal avec les anglophones et que nous méritons de la considération.

Cela dit, j’ai tout à fait confiance en l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario et en Carol Jolin, son président, pour démontrer au gouvernement que nous méritons nos droits. »


LES DATES-CLÉS DE TRÈVA COUSINEAU

1937 : Naissance à Timmins

1959 : Baccalauréat ès. Sciences à l’Université d’Ottawa

1990 : Présidente du groupe consultatif sur la gestion de l’éducation en langue française

1997 : Présidente de l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO provinciale)

2001 : Admise à l’ordre de la Pléiade

2006 : Figure sur la liste des 100 personnalités ou modèles franco-ontariens passés et présents

2018 : Prix d’excellence de l’Ontario pour les personnes âgées

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.