Un médecin-hygiéniste en chef unilingue en Ontario, « un manquement à la Loi »
TORONTO – En 2018, sa nomination à titre de médecin-hygiéniste en chef de l’Ontario n’avait guère fait les gros titres. Propulsé sous les projecteurs par la pandémie, David Williams est aujourd’hui un visage familier des Ontariens. À tel point que le bilinguisme de son poste devient un enjeu.
L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) vient tout de juste d’adresser neuf recommandations au gouvernement. En guise de sixième des neuf suggestions publiées dans le rapport Les droits linguistiques au provincial en temps de crise – La place du français en Ontario, l’organisme porte-parole des Franco-Ontariens se penche sur les capacités linguistiques du médecin-hygiéniste en chef. Car M. Williams ne parle pas français.
« Que le gouvernement de l’Ontario précise la désignation du poste de médecin hygiéniste en chef de l’Ontario sous la Loi sur les services en français ou dans la législation appropriée, et qu’un haut gestionnaire de cette équipe soit disponible pour répondre en français lors de ses conférences de presse », peut-on lire à la septième page du document.
En entrevue pour ONFR+, le président Carol Jolin précise le point de vue de l’organisme.
« C’est devenu un poste important pendant la pandémie. Avant, on n’en entendait pas parler, mais les médecins-hygiénistes sont devenus maintenant des vedettes de la télévision. Ce n’est pas une question de culture simplement, mais aussi de sécurité. Qu’est-ce qui se passe si une personne ne comprend pas les consignes en anglais? »
Malgré plus de 600 000 francophones sur son territoire, l’Ontario ne possède pas de médecin-hygiéniste en chef bilingue à la différence de l’Île-du-Prince-Édouard. Avec seulement un peu plus de 4 000 francophones, la province peut se targuer d’être la seule hors Québec, avec le Nouveau-Brunswick, à avoir une responsable de la santé publique bilingue en la personne d’Heather Morrison.
Conscient du possible obstacle au recrutement que représenterait le bilinguisme du médecin-hygiéniste en chef, l’AFO demande plutôt « avoir quelqu’un capable de répondre dans les deux langues officielles » autour de M. Williams.
« On s’est fait dire par la commissaire aux services en français, Kelly Burke, que le poste est assujetti à la Loi sur les services en français. »
Le rôle de la Loi sur les services en français
François Larocque connaît bien le dossier. Pour le professeur à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en droits et enjeux linguistiques, la conclusion est similaire à Mme Burke.
« Le poste se rapporte à la législature. C’est donc un manquement à Loi d’avoir des communications uniquement en anglais. »
Et de poursuivre : « L’article 5 de la Loi sur les services en français s’applique aux officiers de la législature, et ceux-ci agissent dans l’intérêt public. »
Ce même article 5 précise que « chacun a droit à l’emploi du français, conformément à la présente loi, pour communiquer avec le siège ou l’administration centrale d’un organisme gouvernemental ou d’une institution de la Législature et pour en recevoir les services ».
Comment comprendre dès lors ce flou sur l’interprétation de la Loi? « Le poste lui-même a été modifié à quelques époques, peut-être est-ce là une explication. »
Pour M. Larocque, d’autres postes devraient dans ces conditions trouver un titulaire bilingue. À commencer par celui d’ombudsman actuellement occupé par le francophone Paul Dubé. Le hic, c’est que rien ne semble à priori protéger ce statut bilingue.
« Ça vaudrait la peine d’inclure dans une Loi sur les services en français modernisée que le poste doit être bilingue. »
Reste que la Loi sur les services en français ne s’applique pas à la trentaine de bureaux de santé locaux. La plupart offrent des services et des communications unilingues, et leur médecin-hygiéniste en chef ne parle pas français. Une petite exception : le Bureau de santé de l’est de l’Ontario où les communiqués tout comme les conférences de presse de Paul Roumeliotis sont donnés dans les deux langues officielles.
« Des conseils scolaires ont dû prendre sur eux pour assurer la traduction en français des messages des bureaux de santé », déplore Carol Jolin.
Réaction de Caroline Mulroney
ONFR+ a interrogé la ministre aux Affaires francophones, Caroline Mulroney, sur le rapport de l’AFO et plus spécifiquement sur la recommandation du bilinguisme pour le médecin-hygiéniste en chef.
« Notre gouvernement comprend que l’accès aux services en français est un enjeu fondamental pour la communauté francophone. J’ai mandaté les membres de mon Comité consultatif afin qu’ils me conseillent sur le processus à suivre pour moderniser la Loi sur les services en français. (…) Notre objectif est de revoir la Loi sur les services en français d’ici la fin de notre mandat. »
Caroline Mulroney reconnaît que la pandémie « risque d’avoir un impact sur le calendrier législatif ainsi que sur l’échéancier de travail » fixé par le gouvernement.