Un printemps de 1973 particulièrement agité en Ontario français

Manifestation lors du front commun franco-ontarien, où élèves, organismes et chefs de file de partout en province convergent devant les bureaux du conseil scolaire à Cornwall. On estime que la manifestation a attiré entre 1000 et 1500 personnes. Source : IDÉLLO/TFO.

CORNWALL – Après la première crise scolaire survenue à Sturgeon Falls en 1971 lors de laquelle les Franco-Ontariens ont lutté et obtenu gain de cause pour leur école secondaire publique « homogène » de langue française, une autre crise scolaire a éclaté, cette fois-ci dans l’Est de la province, dans la ville de Cornwall. C’était il y a 50 ans.

À Cornwall, la fin des années 1960 s’accompagne de changements profonds dans les institutions du monde de l’éducation. Le Collège de Cornwall, un des rares collèges classiques ayant existé en Ontario français, ferme ses portes. Les étudiants masculins de ce collège entièrement francophone et géré par la congrégation religieuse des Clercs de Saint-Viateur se tournent vers l’École secondaire Saint-Laurent, l’école bilingue de la ville, fondée en 1951.

On compte plus de 500 élèves francophones, dans une ville où on ne dénombre pas moins de cinq paroisses catholiques de langue française et tout autant d’écoles élémentaires de langue française. Bref, la francophonie au début des années 1970 à Cornwall est nombreuse. 

Dès 1969, les francophones de Cornwall demandent au conseil scolaire de Stormont-Dundas et Glengarry de transformer Saint-Laurent en une école uniquement de langue française. 

Le conseil scolaire accepte mais, un mois plus tard, offre plutôt un vieux couvent désaffecté pour loger l’école française. On arrive plutôt alors à une entente pour partager l’école Saint-Laurent. Une demi-victoire. 

 La crise scolaire prend rapidement un allure provinciale et fait la Une du journal Le Droit. Source : Le Droit, 4 juin 1973, p. 1. 

En septembre 1970, l’école fonctionne avec un système d’horaire à relais entre les rotations françaises et anglaises. Mais le conseil maintient un programme bilingue dans une autre école, nommée Général-Vanier. Cela a eu pour effet de diviser les inscriptions du côté francophone. 

Les limites des établissements scolaires bilingues qui divisent le bassin estudiantin émergent rapidement : plutôt qu’être regroupés dans des espaces homogènes par et pour eux, les francophones sont dilués dans de grands établissements scolaires bilingues où ils sont minoritaires. 

Devant cette situation difficilement viable à long terme, les élèves francophones de Cornwall forment « Le Groupe des Huit ». Ils se présentent devant les conseillers scolaires pour réclamer l’école secondaire à laquelle ils ont droit, distribuent des tracts et mobilisent la communauté de leur ville. 

700 élèves campent devant le siège social du conseil scolaire

Devant le refus et le mépris du conseil scolaire bilingue, une grève estudiantine est déclenchée le 14 mars 1973. Une foule de 700 élèves campe devant le siège social du conseil scolaire. 

« Nous la voulons et nous l’aurons! » scandent-ils en cœur. Rapidement, ce cri de ralliement inspirera la communauté francophone locale de l’Ontario. La Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO, qui sera fondée en 1975) le reprendra à son compte en la modifiant légèrement pour en faire sa devise : « On veut, on peut, on s’unit, on l’aura! »

Tout comme à Sturgeon Falls, les élèves francophones de Cornwall prennent soin de ne lutter que par des actions non violentes. Selon des témoignages, des membres du groupe terroriste marxiste-nationaliste québécois Front de libération du Québec (FLQ) auraient tenté de leur proposer leurs services, en vain. 

Les sit-ins sont parmi les moyens de pression les plus utilisés à Cornwall. Ici, 700 élèves dans le gymnase de l’école secondaire bilingue, le 28 mai 1973. Source : Le Droit 29 mai 1973, p. 1

En lieu et place de la violence, c’est de la désobéissance civile qui sert de moyen de pression aux francophones lors du débrayage. En plus de la grève, des sit-ins, de grands rassemblements et des réunions publiques sont organisés près de l’école, au conseil scolaire, ou à la salle Nativité de la paroisse doyenne et co-cathédrale du diocèse d’Alexandria-Cornwall. 

Le 30 mars, des grèves scolaires éclatent partout en Ontario alors que les élèves franco-ontariens manifestent publiquement leur appui à leurs confrères de Cornwall. Dans l’Est ontarien, les élèves de Plantagenet, Embrun, Rockland et Vankleek Hill boycottent leurs cours, tandis qu’à Ottawa un autobus nolisé avec à son bord des représentants des sept écoles secondaires de langue française de la capitale nationale fait le trajet jusqu’à la ville en crise. À la grandeur de la province, ce sont 4 000 élèves en grève.

La crise prend de l’ampleur et attire l’attention médiatique et celle du pouvoir provincial, à Toronto. Pour régler le conflit, le premier ministre Bill Davis choisit d’envoyer des médiateurs, dont Thomas Symons, au grand dam des conseillers scolaires anglophones qui prédisent une victoire des francophones.

M. Symons est le même qui a rédigé son rapport éponyme l’année précédente, en 1972, et qui a mis fin à la crise scolaire de Sturgeon Falls, en faveur des francophones.

Manifestation devant les bureaux du conseil scolaire de Stormont, Dundas et Glengarry School Board. Source : Le Droit 13 juin 1973, p. 3

Déposé en 1972, le rapport final de la commission Symons avait poussé le gouvernement progressiste-conservateur à adopter les lois 180 et 181 qui créent la Commission des langues de l’Ontario pour permettre de porter en appel les décisions des conseils scolaires défavorables à la minorité linguistique francophone.

Dans la foulée, le gouvernement ontarien avait nommé le Franco-Ontarien Laurier Carrière sous-ministre adjoint au ministère de l’Éducation. Ces décisions avaient été perçues alors comme une avancée dans l’histoire franco-ontarienne de l’éducation. 

Néanmoins la crise scolaire de Cornwall, qui survient un an après, démontre que ce n’est pas encore suffisant pour que la communauté franco-ontarienne jouisse pleinement de ses droits scolaires. Ce qui devait n’être une crise unique à Sturgeon Falls s’est répété deux ans plus tard. Deux régions différentes de l’Ontario français, mais avec les mêmes défis et un plafond de verre qui freinaient le développement de la communauté qui voyait ses droits ne pas être respectés.

Gain de cause et naissance de La Citadelle

Le 12 juin 1973, au terme de nombreuses manifestations, le conseil scolaire accepte enfin de transformer l’école Saint-Laurent en une école française. Au terme d’une consultation, elle prend le nom « La Citadelle », ce qui rappelle la ville de Québec et en référence au roman éponyme de l’écrivain français Antoine de St-Exupéry.

Transformer l’école secondaire bilingue en une école de langue française plutôt qu’attendre la construction d’un bâtiment neuf était l’option favorisée par la directrice du volet francophone de l’École, la militante franco-ontarienne Jeannine Séguin en raison de la position géographique centrale de l’établissement scolaire et de sa proximité avec les écoles nourricières. Les élèves anglophones déménagèrent leurs pénates dans une nouvelle école construite sur mesure. 

Néanmoins, après toute cette agitation, le conseil scolaire cherche des coupables. Il dresse une liste noire avec les noms de cinq personnes, dont la directrice Jeannine Séguin. Si cette dernière ne sera finalement pas inquiétée, d’autres auront moins de chance. 

À la fin de la grève et en guise de représailles, le conseil scolaire décide de congédier deux enseignants francophones qu’il accuse d’avoir incité les élèves à manifester : Jacques Boyer (l’enseignant responsable et superviseur du conseil étudiant) et Paul Besozzi. Cette décision provoque un tollé aussi bien au sein de la communauté que chez le syndicat franco-ontarien des enseignants, l’AEFO. 

 L’École secondaire La Citadelle a ouvert ses portes en 1973 et a été inaugurée en 1975. Source : IDÉLLO/TFO. 

Une grande manifestation est organisée à Cornwall le 12 juin devant le conseil scolaire bilingue. Les Franco-Ontariens réclament justice pour les deux enseignants congédiés. Sous le vocable d’un « front commun franco-ontarien », les dirigeants des diverses associations franco-ontariennes tels qu’Omer Deslauriers (président de l’ACFO provinciale) et Jean-Marc Cantin (vice-président de l’AEFO) convergent avec des francophones de partout en province à Cornwall. Ils rencontreront les élus du conseil scolaire mais se buteront à un mur.

C’est donc à fort prix que l’École secondaire La Citadelle devient alors la première école secondaire publique de langue française dans les Comtés unis de Stormont, Dundas et Glengarry, prête pour la rentrée de 1973. 

Dans les comtés unis de Prescott-Russell voisins, la première école secondaire publique de langue française ouvre ses portes la même année alors que l’École secondaire de Rockland (une école bilingue ouverte depuis 1961 et dont les plans ont été dessinés par l’architecte franco-ontarien d’Ottawa Roger Thibault) se francise en temps pour la rentrée scolaire de 1973 en prenant le nom de « L’Escale ».

Contrairement à Cornwall, ce passage d’école bilingue à l’école de langue française se déroule sans crise.