Une Franco-Ontarienne d’origine congolaise menacée d’expulsion

L'Agence des services frontaliers du Canada a commis une erreur majeure avec les dossiers de ces demandeurs d'asile congolais, selon plusieurs avocats Crédit image: gracieuseté

[TÉMOIGNAGE]

TORONTO – Des dizaines de Congolais demandeurs d’asile ont été forcés de rencontrer, avec l’accord du gouvernement canadien, des représentants du pays qu’ils ont fui. Une mère de famille, franco-ontarienne d’adoption, était du nombre. Elle craint maintenant d’être renvoyée en République démocratique du Congo (RDC), où sa vie serait menacée.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

« Le Canada m’a convoqué à une rencontre dans ses bureaux. En arrivant, à ma grande surprise, on m’annonce que des agents congolais m’attendent pour me poser des questions et que je ne pourrai pas être accompagnée de mon avocat. J’ai paniqué, je pleurais », confie cette femme qui souhaite conserver l’anonymat par crainte de représailles.

Seule, elle se voit forcée d’aller à la rencontre de plusieurs agents congolais au sein même des bureaux de l’Agence des services frontaliers canadiens. « Quand j’ai demandé l’asile au Canada, il y a 20 ans, j’ai dit un tas de choses contre le Congo. Là, je me suis retrouvé devant des agents du pays qui m’ont posé une série de questions personnelles et les coordonnées de toute ma famille. Que va-t-il leur arriver? », poursuit-elle.

Elle n’est pas seule dans sa situation. Une trentaine d’autres Congolais ont été invités à une telle rencontre au cours des derniers jours, selon des informations obtenues de diverses sources par #ONfr.

Elle dit avoir quitté la RDC pour sauver sa vie et offrir un milieu de vie sécuritaire à ses enfants. « Je suis choquée de voir le Canada aider ces agents et donner mon dossier. Si je retourne au Congo, on va m’arrêter, peut-être me violer ou pire encore. J’ai peur », a-t-elle confié, lors d’un entretien avec #ONfr.

« Je suis ici depuis 20 ans. Mon pays ce n’est plus le Congo, c’est le Canada. Mes enfants sont canadiens. Va-t-on me mettre au bûcher et placer mes enfants à l’orphelinat pour des petits délits passés? »

Comme plusieurs des demandeurs d’asile rencontrés par les représentants du Congo, elle avoue avoir un dossier criminel. « J’ai fait du vol à l’étalage au Canada et de la petite fraude pour sauver mes enfants, dont un qui est handicapé mental. Ce n’est pas une excuse, mais je devais survivre à l’époque », admet-elle.

« J’aime l’Ontario. Il y a ici une place pour les francophones et à qui un monde de possibilités s’offre. Mes enfants aiment Toronto et je ne veux pas retourner en RDC. C’est ici, ma maison »

Elle affirme avoir cependant repris sa vie en main, retournant aux études et faisant du bénévolat. Elle se questionne sur les intentions du Canada et craint d’être renvoyée au Congo, même si le gouvernement canadien lui a récemment fait savoir que sa demande pour obtenir sa résidence permanente canadienne allait bon train.

Une « pratique inacceptable »

Me Aissa Nauthoo, directrice des Services d’aide juridique du Centre francophone de Toronto, dénonce « cette pratique inacceptable ». « Le gouvernement canadien reconnaît lui-même les conditions dangereuses au Congo et l’impunité avec laquelle les agents du gouvernement congolais commettent des actes de graves violations des droits de la personne. C’est une des raisons pour lesquelles il y a un moratoire sur les renvois vers ce pays depuis des années », souligne-t-elle.

Me Nauthoo ne comprend pas comment le gouvernement canadien peut communiquer avec des représentants du Congo des informations sensibles sur les demandeurs d’asile.

« Si les renseignements concernant leur demande d’asile sont divulgués, il n’y a aucun doute que ces personnes seront arrêtées, détenues et torturées par les autorités congolaises dès leur arrivée » – Me Aissa Nauthoo

À son avis, le partage des informations des demandeurs d’asile peut constituer une véritable « peine de mort pour ces personnes ». Si les citoyens concernés par l’action récente menée par l’Agence des services frontaliers ont bien souvent des dossiers criminels, cela ne signifie pas qu’ils ne devraient pas demeurer au pays, selon Me Nauthoo.

« Ces personnes font définitivement partie de la communauté francophone ontarienne. Pourquoi ne pas donner une chance à ces personnes de continuer à contribuer au plan économique, culturel et social au succès de la province? Les déporter mène souvent au déchirement des familles et à la séparation des pères ou des mères de leurs enfants », fait valoir Me Nauthoo, qui a aidé plusieurs ressortissants lors d’une action similaire de l’Agence des services frontaliers, en 2014.

Des avocats en immigration en colère

Un groupe d’avocats en droit de l’immigration a interpellé, le mardi 14 mars, le ministre fédéral de la Sécurité publique et de la Protection civile, Ralph Goodale. #ONfr a obtenu une copie de leur missive très critique à l’égard de l’Agence des services frontaliers. « L’Agence des services frontaliers du Canada a mis en péril la sécurité de ces ressortissants congolais mais aussi des membres de leur famille demeurés au pays », souligne le groupe d’avocats.

Ces derniers dénoncent le refus des autorités de les laisser accompagner leurs clients et d’avoir partagé les dossiers des ressortissants congolais. « Les autorités congolaises ont accès aux dossiers d’immigration de ces ressortissants congolais. Ces dossiers contiennent toute l’information sur ces personnes, les faits allégués au soutien de leur demande d’asile au Canada, les noms et coordonnées des membres de la famille au Canada ainsi qu’en RDC », ajoute le groupe d’avocats.

La position gouvernementale est contradictoire disent-ils : le Canada veut renvoyer des citoyens congolais suspectés de différents crimes, mais accueille une délégation congolaise représentant un régime reconnu comme corrompu et bafouant les droits de l’homme. « Monsieur le Ministre vous devez intervenir afin que pareille situation ne se reproduise plus », concluent-ils.

Réaction de l’Agence des services frontaliers du Canada

L’Agence des services frontaliers du Canada a refusé de dire pourquoi elle accueillait dans ses bureaux des représentants congolais et qu’elle leur partage des informations sensibles. « L’Agence n’a pas l’habitude de confirmer des réunions avec des représentants de gouvernements étrangers », a-t-elle indiqué dans une réponse laconique.

L’organisme fédéral n’a pas non plus voulu dire si elle considérait les Congolais visés par l’initiative comme dangereux pour la sécurité du pays. Elle précise cependant que la suspension des renvois vers le Congo exclu les personnes « interdites de territoire pour criminalité, sécurité, crime organisé et violations de droits humains ou internationaux » et que la « décision de renvoyer une personne du Canada n’est pas prise à la légère ».