Vers une ère post-associative
[CHRONIQUE]
J’ai lu dernièrement un texte qui me colle au cerveau. Dans son texte paru sur Astheure sur le désengagement de la jeunesse et les médias en francophonie, Daniel Boutin parle d’une ère « post-associative et post-revendicatrice » pour la jeunesse francophone d’aujourd’hui. Je n’arrête pas de penser à ses mots depuis.
CÉLESTE GODIN
Chroniqueuse invitée
@haligeenne
Le constat de M. Boutin frappe directement dans le mythe de la portée de nos efforts en francophonie associative. Si nos produits ne sont pas pertinents pour les utilisateurs que l’on se dit être en train de représenter, travaillons-nous dans le vide?
Nous travaillons fort pour le maintien de nos « espaces francophones », mais je peine à les trouver de façon concrète dans mon propre vécu quotidien. L’école francophone que j’ai fréquentée était un espace où toute la socialisation était en anglais, et où oser parler en français était l’équivalent d’un suicide au niveau de la hiérarchie sociale scolaire. Si j’ai eu le privilège d’avoir beaucoup de spectacles et d’activités culturelles dans cet espace, il est clair que ce n’est pas à l’école qu’on écoute de la musique « pour de vrai ». Et n’importe quel spectacle choisi par l’école devient suspect de par sa nature.
Si nous sommes passés maîtres dans la création d’associations officielles pour des causes francophones, je suis loin d’être la seule à faire le constat que ces groupes sont souvent loin des citoyens et du quotidien francophone.
La bureaucratie, qui a été créée dans un temps où la francophonie cherchait une légitimité aux yeux du gouvernement, est celle qui aujourd’hui nous empêche d’évoluer et de s’adapter au monde qui nous entoure.
Une réalité incomprise
Il me suffit de me rappeler qu’alors que mon Snapchat évolue de jour en jour pour me garder intéressée, mon journal francophone provincial est encore seulement disponible en format abonnement papier. La déconnexion entre nos produits francophones et les individus qu’ils visent croît à la même vitesse exponentielle que la culture et la technologie évoluent.
Si vous avez des doutes, proposez une initiative complètement nouvelle et innovatrice à votre prochaine réunion, et voyez si vous pouvez la faire vivre avant que l’idée soit démodée. S’ajoute à ces défis, le fait que les gens qui travaillent pour ces institutions sont loin du francophone moyen qui travaille en anglais et vit en anglais dans sa communauté. C’est difficile de créer pour servir une réalité qu’on comprend mal.
Quant aux revendications actuelles, ce sont des causes compliquées et peu rassembleuses, et certainement pas la façon de recruter de nouvelles personnes. Ce n’est pas avec des causes devant la Cour suprême du Canada qu’on va vendre la francophonie aux autres. Simplement dit, ça manque de cool.
Nous parlons en anglais à la maison. C’est le produit de l’exogamie massive qu’on n’a pas vraiment apprivoisée. Certes, certains réussissent à avoir une part francophone importante à la maison, mais je ne vais surprendre personne en indiquant que l’exogamie dont j’ai été témoin est plus conciliatrice que revendicatrice. On parle la langue que tous peuvent comprendre, l’anglais.
Anyways, comment est-ce qu’on dit à quelqu’un qu’on aime qu’il ne respecte pas nos besoins en français, alors que nous-mêmes ne consommons presque rien dans cette langue?
Responsabilité individuelle
Donc, il revient à nous, individuellement, de se trouver une francophonie tangible dans tout ça.
C’est simple, il suffit de consommer de la culture et des médias en français, n’est-ce pas? Un autre constat de Daniel Boutin explique peut-être le blocage à ce niveau-là : un francophone engagé sent qu’il « doit » consommer les médias francophones. Mais on ne le fait pas, parce que l’offre ne correspond pas du tout à ce que l’on consomme en anglais.
S’ajoute aussi notre sentiment d’infériorité par rapport aux cultures francophones dominantes. Ne pas comprendre une blague en anglais peut s’expliquer parce qu’on n’a pas compris la référence. Mais ne pas comprendre une blague en français nous fait sentir qu’on n’est pas assez francophone pour la comprendre. Le francophone moyen, post-associatif, post-revendicatif, post-médias de grand marché, post-« pour la cause », reste perdu dans le discours.
Admettre qu’on ne se voit pas dans les produits offerts, c’est admettre qu’on n’est pas à la hauteur d’une francophonie envers laquelle nous avons déjà beaucoup de culpabilité. Nous vivons des vies entières perdues entre l’offre et la demande.
Et pourtant, nous n’avons jamais eu autant d’outils et de moyens pour vivre plus en français. Et nous avons l’avantage d’être dans une ère où le contenu créé par des citoyens peut avoir une grande portée, sans être filtré par la bureaucratie francophone.
Nous, citoyens, utilisateurs web, personnes branchées, avons le pouvoir de développer du contenu francophone, et je souhaite voir le jour où nous prendrons le dessus.
Céleste Godin est une écrivaine et militante acadienne de la Nouvelle-Écosse.
Note : Les opinions exprimées dans les chroniques publiées sur #ONfr n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.