Xénia Gould est née à Shediac le 20 août 1994. Crédit image: Anne-France Noël

MONTRÉAL – De Shediac à Montréal, en passant par Sackville et Moncton, la poète interdisciplinaire Xénia Gould se démarque par son incarnation des identités queer et acadienne.

« Quand vous êtes arrivée dans l’espace public, il n’y avait pas beaucoup de modèles queers en Acadie. Comment c’était d’évoluer dans ce monde homogène?

J’ai grandi à Shediac, au Nouveau-Brunswick. Je cherchais à m’épanouir dans une communauté où je pouvais rencontrer d’autres personnes comme moi. J’ai été étudié à Mount Allison, une université anglophone à Sackville, entre autres parce que des amis me l’avaient vendue comme le gay Disneyland.

J’ai adoré mon expérience, mais je n’y ai pas trouvé ce que je cherchais. C’était difficile d’être moi-même en anglais. Je manquais de points de repère.

J’ai déménagé à Moncton en 2017. De retour au chiac, à ma communauté acadienne, j’ai découvert mon identité queer, non-binaire, trans. C’est en créant avec mon dialecte que j’ai réalisé que, pour moi, être queer est directement attaché à cette communauté.

La queerness et l’acadienneté sont au centre de l’oeuvre de Xénia Gould. Crédit image : Annie-France Noël

C’est en regardant cette culture-là sans me trouver dedans que j’ai commencé à m’intéresser à la création d’œuvres queers. C’est ironique, car il y a tellement d’artistes gais, lesbiennes, bisexuels et même trans qui ont façonné la culture acadienne. Mais ça ne faisait pas partie de leurs propos. Il fallait revendiquer notre langue et notre culture. Ils ne mettaient pas l’accent sur leur identité sexuelle ou de genre. Moi, je présentais toutes mes œuvres sous la lentille acadienne et queer.

Sentiez-vous une responsabilité à être une des premières à le faire?

Les artistes qui sont passés avant moi ont forgé ce parcours. Mais c’est certain que j’avais un personnage humoristique, Jass-Sainte, auquel les personnes acadiennes s’étaient attachées. C’était une vlogueuse chasseuse de moose, jeune entrepreneure, boss girl des bois qui vivait en ville pour la première fois.

J’imagine que je m’étais donné la responsabilité d’être une voix. Il y avait tellement de jeunes qui venaient me parler qu’il y avait une petite pression. Avec du recul, je suis vraiment reconnaissante d’avoir eu cette plateforme-là.

Il n’y avait pas beaucoup de créateurs de contenu locaux à cette époque…

C’était du monde des grands centres, majoritairement en anglais. Je le faisais en chiac. C’était nouveau.

Comment l’art de la drag est-il arrivé dans tout ça?

Jass-Sainte était une bénédiction, mais aussi une malédiction. C’était vraiment beau, car j’allais dans les petites villes et il y avait de jeunes queers qui venaient me voir avec leurs parents. Les mères me suivaient sur Facebook et les jeunes, sur Instagram. Les pères arrivaient les bras croisés, l’air dubitatif. À la fin, ces hommes-là, je les avais fait rire.

Je n’abordais jamais les sujets queers. Ça passait dans la subtilité, en donnant une représentation à des gens comme moi. Mais c’était tellement absurde que des messages pouvaient passer à des gens qui n’auraient pas été ouverts si j’étais arrivée en criant gay rights.

Xénia Gould est aussi connue sur les réseaux sociaux comme Chiquita mére, son personnage de drag. Gracieuseté

Mais de tout tourner à l’autodérision, ça m’a rattrapée. Je ne vivais pas mon identité queer avec fierté, je la vivais en m’en moquant. Je me sentais prise.

Le premier ministre Blain Higgs a fermé une des seules cliniques qui aidait les personnes trans au Nouveau-Brunswick. Avec Jass-Sainte, je ne pouvais pas parler de ces choses-là. Ça me frustrait tellement que ma santé mentale a écopé. J’avais des pensées suicidaires, des dépressions, beaucoup de problèmes. J’ai annulé beaucoup de contrats parce que l’idée d’aller faire Jass-Sainte me torturait. Perdre ses droits, ce n’est pas drôle.

La drag est arrivée quand mes amis et moi sortions dans un bar gai en portant du maquillage et des talons hauts. Il y avait des drag queens d’autres villes qui venaient faire des spectacles. On s’est dit : pourquoi pas nous?

Mon objectif était de brouiller les codes de genres. J’avais ma barbe, du maquillage qui ne ressemblait pas toujours à une femme ou à un homme. C’était artistique, flyé. Je pouvais faire des choses que je ne pouvais pas faire avec Jass-Sainte, qui était suivie par beaucoup de jeunes. Je ne voulais pas me rendre à une place qui n’aurait pas été appropriée. Mais moi, comme artiste, je voulais aller là.

La drag a apporté la poésie, qui a apporté du militantisme. C’est venu guérir quelque chose.

Pourquoi avez-vous déménagé à Montréal?

Quand j’étais un homme queer, j’étais accueilli dans la communauté acadienne. J’étais un vent de fraîcheur et une boîte à cocher. L’Acadie était prête.

Mais quand j’ai commencé à m’identifier comme personne non-binaire, qui utilise le pronom iel, il y a eu une résistance, pour plusieurs raisons. Le yelle existait déjà en chiac, mais c’était associé au féminin. Certains trouvaient étrange que iel et yelle existent. Pourtant, il y a plein de mots en français qui ont une double signification.

Il y avait cette résistance transphobe à l’inclusion qui est partout dans la francophonie. Avec les gens des médias, j’avais abordé gentiment le fait que j’étais mégenrée… En 2021, j’ai gagné le prix Découverte de l’année aux Éloizes. Il y avait une performance diffusée à Radio-Canada. J’avais mon pronom écrit sur le torse. Le lendemain, j’étais encore mégenrée en ondes. À ce point-ci, c’est transphobe.

Chiquita mére est suivie par 28 900 personnes sur Instagram et 46 700 sur Tiktok. Gracieusté

J’ai fait un burn-out. C’était vraiment difficile de sentir que j’avais encore ma place. J’étais devenue très politique, très fâchée. J’avais le droit de l’être, mais ce n’est pas qui je suis.

Je voulais déménager dans une communauté où être non-binaire n’était pas l’objet de débats. Mais ça m’a pris deux ans pour trouver ma communauté.

Il y a une transition aussi. Je viens de changer de nom. Je me permets de vivre ça sans penser à mon acadienneté, pour la première fois.

La thérapie hormonale, c’est comme vivre une deuxième adolescence. Et c’est vraiment un privilège de la vivre en tant qu’adulte. J’ai un vécu, des outils, une compréhension des systèmes en place.

Je me fais parfois siffler dans la rue. Je peux reconnaître que ça, c’est moi qui fais face au patriarcat d’une façon dont j’ai toujours été témoin.

Et c’est un privilège énorme de pouvoir vivre à 29 ans ma girlhood, comme je l’appelle. J’essaie de ne pas le vivre dans le jugement, de ne pas essayer de le définir.

Comment c’est, de changer de nom en étant une personnalité publique?

C’est vraiment tannant! J’aurais aimé, en 2017, pouvoir dire : voici mon nouveau nom, je suis une personne transféminine non-binaire, voici qui je suis. Mais ce n’est pas comme ça que la vie fonctionne. Elle nous présente des défis. Et je ne crois pas que la vie devient meilleure. Je crois que c’est nous qui devenons meilleurs.

La vie ne va pas changer. La vie va être belle et mauvaise. La vie va être affreuse et spectaculaire, pour toujours. C’est nous qui développons des outils. Mais ça vient avec des ressources, du privilège, du soutien.

Lectures de passages de son recueil Des fleurs comme moi au Festival de la fierté de Sherbrooke. Crédit image : Amélie Marcil

J’ai traversé l’enfer. Agressions physiques, macro-agressions, idées suicidaires, dépressions… ça fait du bien d’enfin avoir confiance que, quand ça va être moins stable, je vais être capable de passer à travers. Quand j’étais à Moncton, il y a des jours où je ne savais vraiment pas si j’allais me rendre à 30 ans.

D’où vient ce nom, Xénia?

À Montréal, alors que je rencontrais de nouvelles personnes, je trouvais très étrange d’utiliser mon ancien nom.

Mon père est libanais et je voulais aller chercher cet héritage dans mon nom. J’ai trouvé Zayna, qui veut dire beauté et grâce, en arabe. De là, je suis tombée sur Xénia. J’ai joué avec ce nom pendant deux ans sur mon finsta, un compte Instagram plus personnel et moins filtré.

Des amis m’ont proposé de m’appeler Xénia pour une soirée. Je leur ai aussi dit que j’aimais le diminutif Xe (prononcé Zee). À un moment donné, on faisait de la bicyclette et je n’avais pas vu qu’il y avait quelqu’un derrière nous. Mon amie a crié : « Xe! Tasse-toi! » C’était parfait. La semaine d’après, j’ai fait les changements sur mes réseaux sociaux.

Quel est votre rapport à la langue aujourd’hui?

Ce qui m’a fait tomber en amour avec le chiac, c’était que je pouvais parler de façon non genrée. Par exemple : Je suis right happy de te voir!

Il y a des moments où ça ne fonctionne pas, le chiac n’est pas un bouche-trou pour tous les problèmes de l’écriture inclusive. Mais il y avait un petit bout d’utopie qui m’a permis de me trouver dans mon identité de genre sans que ça devienne à propos de la langue française.

Je maîtrise le chiac. Je maîtrise l’anglais. Mais le français, je ne le maîtrise pas dans son institutionnalisation, dans le bon français, qui est un construit social de toute façon.

Extrait du recueil de poésie Des fleurs comme moi. Crédit image : Rachel Crustin

Le pronom iel dans la langue normative me fait sentir aliénée, même si je l’utilise. Pendant plusieurs années, c’était vraiment une de mes luttes. Mais ma relation aux pronoms a évolué. Je ne peux pas contrôler où les autres sont rendus dans leur éducation sur les personnes trans.

J’utilise maintenant les pronoms iel et elle. J’ai commencé à utiliser elle dans les derniers mois. Maintenant que je vis ma girlhood, qui est un énorme privilège, je ne vais pas laisser quelqu’un qui me mégenre me l’enlever. Mais je remarque ceux qui la respectent, et ceux qui ne la respectent pas.

Je lutte plutôt pour qu’on ait accès à la thérapie hormonale, à des soins médicaux, à ne pas se faire tuer, à pouvoir travailler sans avoir peur de se faire renvoyer.

Ce n’est pas pour dire que les gens ne devraient plus faire d’efforts. Pour les pronoms des autres, je vais toujours corriger. Mais moi, je suis à un moment de ma vie où je n’y accorde plus d’importance. Ça va changer, c’est sûr, à mesure que ma transition évolue.

Vous avez joué dans Laitue matinal.e, de Lionel Lehouillier. Toute l’équipe faisait partie de la communauté LGBTQ+. Qu’est-ce que ça changeait d’avoir cet espace de création?

C’était vraiment beau. Ça serait bien qu’il y a plus d’artistes queers dans la francophonie canadienne, surtout en théâtre. Ça a donné lieu à des conversations super riches, des choses qui ne sont pas possibles quand il y a des gens cishétéros dans la salle parce que, des fois, tu dois commencer par expliquer la base.

Parlez-nous de votre recueil de poésie, Des fleurs comme moi?

J’y décortique le traumatisme de mon enfance et le commencement de ma queerness à Moncton. C’est autant de réaliser que mon enfance était dérangée que de me donner le droit de m’aimer. C’était une expérience puissante de rendre tout ça tangible.

Je l’ai récemment relu en préparation de la version audio, prévue pour 2024. C’est incroyable… Il y a des choses que j’ai écrites à propos de moi-même dont je n’étais pas consciente. Je me dis que mon enfant intérieur, qui était en train de guérir, savait que des choses s’en venaient.

Xénia Gould au Salon du livre de Montréal, le 25 novembre 2023. Crédit image : Sébastien Pierroz

Et c’est drôle de voir comment je suis complètement ailleurs maintenant. J’essaie aujourd’hui d’écrire d’une façon qui n’est plus attachée à l’identité queer ou acadienne. Quoi que tout ce que j’écris is about that.

J’essaie maintenant de juste montrer ce que je vis, pas d’expliquer pourquoi c’est correct. Des fleurs comme moi, c’est un témoin de qui j’ai été.

Est-ce que c’est un enjeu de voir le livre avec votre ancien nom?

Non. Ça va être réimprimé avec mon nouveau nom. Ça va faire une édition limitée, ça pourra valoir cher plus tard! (rires).

Vous connaissez sûrement ce jeu que je vais nommer poliment : marie, passe la nuit ou laisse tomber! Je vous pose la question avec le théâtre, la drag et la poésie.

Je marie la poésie. Je passe une nuit avec la drag. Et je laisse tomber le théâtre.

Parce que je pense que l’institutionnalisation du théâtre fait que c’est difficile de se sentir légitime si tu n’es pas associée avec une compagnie. Tandis que la poésie, tout le monde peut en faire. La poésie est une relation à long terme, qui fera partie de moi pour le meilleur et pour le pire. Et la drag, c’est all about pleasure!

Lundi dernier, la journée du souvenir trans terminait la semaine de sensibilisation aux personnes transgenres. Pourquoi c’est important?

Si on ne sait pas qu’on existe et qu’on a existé, on ne brise pas le schéma qui est de découvrir qu’on existe. La grande tragédie, c’est de savoir qu’il y a encore des gens qui grandissent sans savoir que ce qu’ils ressentent existe.

Xénia Gould aime jouer avec les codes de genre. Gracieuseté

Si on ne se souvient pas, les choses vont se reproduire. Il faut être honnêtes à propos de la violence. Et les personnes trans ont le pouvoir de libérer tout le monde. On dit : et si tu avais le droit de retourner à ce que tu voulais en tant qu’enfant, ado ou jeune adulte? D’être la version de toi-même que la vie t’a interdite? Et si tu avais le droit de modifier ton corps, de changer ton style, et si tu pouvais être tout ce que tu veux?

Les personnes trans déstabilisent cette dichotomie homme-femme et les rôles qui viennent avec. Ça aide tout le monde.

Quels sont vos autres projets? Risque-t-on de vous voir en Ontario?

Oui, mais ce n’est pas sorti encore. Je peux dire que je travaille sur mon prochain manuscrit, sur mon livre audio et sur ma première installation interdisciplinaire.

Allez-vous continuer la drag?

Chiquita mére (son personnage de drag) a été la maman, la matante, la sage dont j’avais besoin pour me trouver dans ma transféminité. Elle m’a permis de vivre ça sans tabous, dans le plaisir. Je vais continuer, mais pour des projets spécifiques au lieu de faire partie du milieu en général. Je suis prête à me lancer dans des projets où je ne suis pas limitée à des performances dans des bars.

Quand ce que je fais devient trop codifié, ça m’angoisse. Et comme poète interdisciplinaire, je peux faire ce que je veux. »


1994 : Naissance à Shédiac, au Nouveau-Brunswick

2010 : Assiste à un spectacle de Lady Gaga pour la première fois

2017 : Déménagement à Moncton.

2019 :  Animation de la Fête nationale des Acadiens au Congrès mondial acadien (CMA) et animation et organisation du Drag Ball acadien

2021 : Remporte le prix de Découverte de l’année aux Éloizes, un gala pour les artistes acadiens

2021 : Voyage au Liban avec la Commission internationale du théâtre francophone (CITF)

2022 : Première prise d’hormones au bord de la rivière Petitcodiac

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.