Rencontres

Yasmine Joheir, une force motrice de la francophonie de Windsor-Essex

Directrice générale du Centre communautaire francophone de Windsor-Essex-Kent (CCFWEK) et présidente de l’ACFO-Windsor-Essex-Chatham-Kent (ACFO-WECK), elle a fait du rayonnement de la communauté francophone de la région sa mission. Nomade dans l’âme, entre le Sénégal, le Liban et la France, ses pays d’attache, c’est à Windsor qu’elle décide de poser ses valises 20 ans plus tôt. Elle mise aujourd’hui sur l’action communautaire et l’immigration francophone pour défendre les acquis d’une communauté parfois sous-estimée, mais plus que jamais vivante et vibrante.

« Vous avez de fortes attaches avec plusieurs pays. Parlez-nous de votre héritage culturel…

Mes deux parents sont libanais. Mon père a grandi dans un village du Sénégal, et ma mère avait déménagé à Dakar. Ils ont eu huit filles, dont moi. C’est en 1996 que nous avons visité le Liban pour la première fois, mon père voulant que nous nous rapprochions de notre culture.

J’ai fait mes études en sciences de l’éducation entre le Liban et Strasbourg en France, avant de déménager à Windsor dès 2006 où j’ai rejoint une de mes sœurs, soit presque 20 ans plus tôt.

Notre langue prédominante à la maison a toujours été le français, mais on en parle en général quatre : le français, l’anglais, l’arabe et le wolof, un dialecte sénégalais.

J’ai le Sénégal à cœur, l’endroit où j’ai grandi, qui représente mes amis d’enfance, mon école, etc. Je tiens aussi énormément au Liban, qui constitue mes origines culturelles, et même la France dont je me suis imprégnée de l’art de vivre ‘baguette et fromage’. Mais depuis que je suis ici, je suis devenue une fière Canadienne, j’adore ma communauté. J’y ai notamment fondé ma famille.

Vous avez évolué dans différents milieux, notamment communautaires et institutionnels. Pourriez-vous retracer votre parcours professionnel ?

J’ai d’abord été mentor pour femmes isolées au sein d’un organisme anglophone, avant de partir pour Ottawa enseigner le français à des employés gouvernementaux pendant un an. À Windsor, j’ai commencé en tant qu’adjointe administrative au Collège Boréal, puis gestionnaire de tous leurs programmes d’immigration pendant dix ans.

Dès 2015, j’ai rejoint le Conseil scolaire Viamonde, et ce pour neuf ans. Je m’occupais beaucoup des dossiers d’immigration, un de mes fils conducteurs. Le communautaire et l’immigration francophone, c’est de là où je viens, c’est ma passion.

Yasmine Joheir à son bureau du Centre communautaire francophone de Windsor-Essex-Kent (CCFWEK), au 720 avenue Ouellette à Windsor. Photo : Sandra Padovani/ONFR

Qu’est-ce qui vous a amenée à vous établir dans la région windsoroise ?

Je suis restée parce que j’adore Windsor. C’est une petite ville au sein de laquelle on peut faire une différence. Tout le monde se connait, les partenaires communautaires et les autres agences francophones travaillent très bien avec nous et entre eux.

Le CCFWEK vient de fêter ses 35 ans. Comment était la francophonie de la région quand vous êtes arrivée et comment est-elle aujourd’hui ?

Le CCFWEK a été fondé en 1990. 22 membres fondateurs francophones avaient repris et racheté une bâtisse qui était un ancien centre polonais inutilisé, avec la somme de 500 000 dollars en dons. Place Concorde était née, abritant le CCFWEK qui le gérait, et des locataires : le Conseil scolaire francophone Providence, l’ACFO-WECK, Réseau-Femmes, etc. Il y avait également des salles de banquet, un bar Oasis pour les francophones.

En 2006, la francophonie restait encore timide, mais beaucoup de chemin a été fait depuis. En tant que partenaires communautaires, on revendique nos droits. En 2009, nous avons créé la première table de concertation à Windsor, et le sous-comité en immigration francophone.  Les services d’immigration pour nouveaux arrivants se sont beaucoup développés.

Andrew Dowie, député de Windsor-Tecumseh, avec Yasmine Joheir, après la cérémonie de lever de drapeau franco-ontarien, le 25 septembre dernier. Photo : Sandra Padovani/ONFR

Vous avez pris la direction du centre communautaire francophone en octobre 2023. Avec quel état d’esprit avez-vous repris le flambeau de Didier Marotte et avec quels objectifs ?

Avoir une femme à la tête du CCFWEK, qui en plus est issue de l’immigration, était nouveau pour le centre. Didier Marotte avait mis Windsor sur la map, mais mon objectif ultime c’est de pouvoir montrer ce dont on est capables à tous niveaux gouvernementaux.

Dès 2023, j’ai voulu que l’on soit partout, mon mot d’ordre à l’équipe. Il n’y a pas un comité organisateur duquel on ne fait pas partie, pas un évènement anglophone ou francophone auquel on ne prend pas part. J’ai également créé une nouvelle planification stratégique pour établir et donner un mandat clair au CCFWEK.

Comment le centre communautaire francophone fonctionne-t-il en synergie avec le Carrefour communautaire francophone ?

Le Carrefour francophone abrite les deux conseils scolaires de la région, l’ACFO, le journal Le Rempart, nos bureaux du CCFWEK, une consultante en immigration agréée par l’IRCC, l’Université d’Ottawa, et d’autres associations locataires. On est de plus en plus à l’étroit. D’ailleurs, un de nos projets serait de s’agrandir et de créer un vrai petit quartier francophone dans le futur sur l’avenue Ouellette où nous sommes situés.

Le Carrefour, qui n’est pas une entité morale, a été créé en 2020 par le CCFWEK. Il y a une distinction à faire entre le CCFWEK et Services communautaires, qui est l’entité qui gère le Carrefour francophone, les locataires francophones, etc.

Le nouveau monument de la francophonie se trouve au bord de la rivière Détroit. Le canot vert et blanc, œuvre de l’artiste local Danny Maltais, symbolise l’histoire et la résilience des francophones durant plus de trois siècles dans la région. Photo : Sandra Padovani/ONFR

Le monument inauguré en présence d’Andrew Dowie, député de Windsor-Tecumseh (au centre), Gisèle Dionne, ancienne directrice générale de l’ACFO WECK (à droite), et, à sa droite Yasmine Joheir. Photo : gracieuseté ACFO-WECK

Photo : Sandra Padovani/ONFR

En 2024, nous avons été choisis par l’AFO pour une planification stratégique régionale, nous avons ainsi un comité de pilotage.

J’ai demandé un financement de Patrimoine Canada, pour que, dans les cinq ans à venir, Carrefour communautaire francophone devienne une entité morale, un quartier francophone avec un côté communautaire avec le CCFWEK, un côté politique avec l’ACFO, dont c’est le mandat, et ainsi amalgamer les conseils d’administration pour harmoniser et mutualiser nos services.

D’où viennent les francophones de la région du sud-ouest ?

Il y a des Franco-Ontariens et des Québécois d’origine, mais c’est une population qui tend à être vieillissante. La francophonie est ici diversifiée, en provenance du Moyen-Orient, d’Afrique. Le coût de la vie, plus abordable que dans les grands centres urbains, a beaucoup encouragé les gens à venir s’y installer. L’enjeu n’est pas tant dans l’attraction de la Ville de Windsor, mais dans la rétention des jeunes. Il faudra selon moi y travailler à l’avenir.

Où la communauté francophone se retrouve-t-elle ici à Windsor ?

Le CCFWEK et le Carrefour communautaire francophone, sont des centres névralgiques de la francophonie, mais on programme de nombreuses activités tout au long de l’année, notamment sur la culture canadienne, pour que les nouveaux arrivants comprennent ce qu’est être canadien.

Nous organisons le French Part’eh autour du 25 septembre, Jour des Franco-Ontariens, mais également le festival de la Saint-Jean, le festival de la Poutine, le grand partage, qui est une campagne de collecte de dons, deux « cordes à linge » par année, des collecte et vente de vêtements de seconde main qui peuvent attirer jusqu’à 500 personnes par jour au centre. »

1981 : Naissance à Dakar au Sénégal

2006 : Arrivée à Windsor, un tournant décisif de son parcours

Entre 2012 et 2014 : Naissance de ses deux garçons

2023 : Elle devient directrice générale du Centre communautaire francophone de Windsor-Essex-Kent (CCFWEK)

25 septembre : Jour des Franco-Ontariens, date édifiante dont elle a compris l’importance en arrivant à Windsor.