Michelle Stevens est directrice du Centre de santé communautaire de Timmins depuis quatre ans. Crédit image : Inès Rebei

TIMMINS – Deux jours après la première pelletée de terre du très attendu nouveau Centre de santé communautaire de Timmins (CSCT), l’euphorie est encore très présente pour sa directrice Michelle Stevens. Habituellement très discrète, cette Franco-Ontarienne se livre sur ses batailles pour l’organisme francophone, mais aussi celles qu’elle livre en coulisse, dans sa vie privée.

« Comment s’est passée la pelletée de terre du CSCT de ce jeudi?

Ça s’est très bien passé, malgré la météo avec des vents tellement forts qu’on avait de la misère à se garder les yeux ouverts. Plusieurs personnes se sont présentées, l’engagement était fort. Les gens étaient très heureux, l’ambiance était très positive.

De gauche à droite, George Pirie, ministre des Mines, Michelle Boileau, mairesse de Timmins, Nolan Quinn, adjoint parlementaire à la ministre de la Santé, Michelle Stevens et Karine Briand, présidente du conseil d’administration du CSCT lors de la pelletée de terre le 23 mai 2024. Gracieuseté

Sentez-vous qu’il s’agit d’un grand pas pour l’organisme?

Disons que c’était pas mal significatif. Même le vent fort, on a eu l’impression que c’était symbolique de tous les défis qu’on a eus à franchir jusque-là. J’étais très émue aussi. J’ai pensé lâcher prise à plusieurs reprises, surtout avec tout ce qui s’est passé en parallèle, dans ma vie personnelle. Heureusement, j’ai pu compter sur le soutien de ma famille et de mes collègues de travail qui ont toujours trouvé les bons mots. C’était un très long et difficile trajet de quasiment quatre ans pour moi, mais au bout du compte ça en valait la peine.

Quel est le plus difficile à gérer quand on est à la tête d’un Centre en transition comme le vôtre?

Je dirais le fait que j’ai dû mener le projet de construction tout de suite après mon embauche. Tout de suite, j’ai dû commencer les préparatifs pour les demandes de soumissions, les études, les évaluations. C’était aussi mon premier poste en tant que directrice générale d’un organisme, donc j’ai eu à préparer ce gros projet tout en apprenant mon nouveau rôle.

Michelle Stevens a reçu le Prix de la femme francophone de l’année en 2023 par l’ex-directrice du Centre culturel La Ronde, Lisa Bertrand (à droite) et du président du conseil d’administration, Stéphane Plante. Gracieuseté

Qu’est-ce qui vous a amenée, justement, à votre rôle au CSCT?

Je travaillais au Collège Boréal et je me suis fait approcher par des personnes du centre de santé pour m’aviser que le poste était affiché. C’était au tout début de la pandémie, et donc j’ai dit »non, pas du tout, merci’’. Ça ne m’intéressait pas de diriger une équipe de santé pendant la pandémie. Mais, après plusieurs jours de réflexion, j’ai décidé de postuler et j’ai eu le poste le 14 septembre 2020.

Selon vous, quel est le plus gros défi actuellement au niveau de la santé en français à Timmins?

Je dirais que ce serait de démystifier la définition de ce qu’est un francophone. J’ai eu l’occasion de siéger à un comité de liaison pour les services en français avec plusieurs partenaires clés. Ce qui arrive, c’est que les partenaires n’aiment pas nécessairement parler à haute voix ou s’exprimer en français, en raison du manque de confiance et du fait qu’il y a des attentes par rapport à la qualité du français avant de s’identifier comme étant francophone. Je voudrais vraiment démystifier tout ça et que les gens du Nord comprennent qu’on ne doit pas parler français parfaitement pour pouvoir s’identifier comme francophone.

Michelle Stevens et l’équipe du CSCT, le Jour des Franco-Ontariens en 2023. Gracieuseté

Sentez-vous un recul du français à Timmins, comme l’ont montré les données du dernier recensement?

Le pourcentage de francophones est plus élevé chez les baby-boomers ici, mais on a de plus en plus de nouveaux arrivants d’Afrique, par exemple, qui sont uniquement francophones et ont de grands besoins en santé. Alors je ne pourrais pas vraiment juger de s’il y a vraiment un recul sur le terrain, mais je crois qu’il y a eu un intérêt accru pour l’offre active de services en français.

Les organismes ont toujours encore peur de demander une désignation, parce qu’ils ont en tête que ça va créer plus de travail et mettre plus de barrières de recrutement du personnel. Ça serait important de les encourager plus en ce sens puisqu’on a quand même 43 % de la population qui est francophone dans le district de Cochrane.

Une mairesse francophone, une femme à la direction artistique de la Ronde, et vous au CSCT : sentez-vous que les femmes prennent plus leur place à Timmins?

Absolument, d’ailleurs j’ai travaillé avec la nouvelle mairesse au tout début de mes années au Collège Boréal. J’étais son mentor et sa superviseur, puis c’est elle qui a repris mon poste quand je suis allée au CSCT. On a tout de même été capable de vraiment se célébrer au long de notre parcours, et je suis très fière d’elle. Pour ce qui est de la femme, on a tout de même beaucoup de travail à faire dans le Nord de l’Ontario. C’est vraiment de faire valoir les compétences, car ça contribue beaucoup à l’équilibre des institutions.

De gauche à droite, Michelle Boileau – alors agente de liaison, Mélanie Dufresne – cheffe des programmes post secondaires, Jennifer Daoust – travailleuse avec le programme de jeunes en emploi et Michelle Stevens – gestionnaire des programmes d’emploi et d’immigration au Collège Boréal en 2017. Gracieuseté

Comment est-ce que ça se traduit chez vous au CSCT?

À mon niveau, j’essaie d’avoir un bon mélange d’hommes et de femmes au centre de santé parce que je trouve que ça a quand même un poids par rapport à la dynamique de travail. Ce n’est vraiment pas facile de recruter des hommes dans le domaine de la santé qui ne soient pas médecins ou pharmaciens. Des hommes infirmières auxiliaires, on n’en a pas alors qu’il y a des besoins criants. J’ai seulement trois hommes ici au Centre de santé, deux à temps partiel et un à temps plein, pour 18 femmes. Au niveau de mon conseil d’administration, par contre, on a un équilibre parfait homme/femme et c’est une excellente chose.

Comment voyez-vous l’avenir du centre, qui a débuté ses services seulement en 2019, dans les 10 prochaines années?

La vision n’était pas vraiment claire quand j’ai commencé mon rôle. Mais plus j’avance, et plus je vois les lacunes en santé dans le Nord de l’Ontario. Je dirais donc de juste continuer à offrir la qualité de services, car on voit que nos efforts portent fruit. Quand je suis arrivée comme directrice générale, il y avait seulement 480 clients d’enregistrés et maintenant, on est au-delà de 1500, avec une liste d’attente.

L’objectif est aussi de sensibiliser la communauté sur l’importance de l’offre de services en soins dans la langue maternelle de choix. J’ai l’intention de vraiment d’appuyer la sensibilisation et de créer un processus de communication pour que la communauté soit plus ouverte à travailler avec le CSCT.

Michelle Stevens et des membres de son équipe reçoivent 5000$ de la part du Club Richelieu de Timmins. Gracieuseté

Est-ce quelque chose qui résonne avec votre histoire personnelle?

Je pense à quelque chose en particulier qui a eu un grand impact sur moi. En 2004, ma grand-mère a été diagnostiquée avec un cancer et je l’ai accompagnée à Sudbury alors qu’elle devait subir des traitements. Ma grand-mère est unilingue francophone, du Grand Nord de l’Ontario, et ce qui m’a vraiment frappée c’est que l’infirmière qui l’accompagnait dans son traitement n’était pas capable de lui expliquer en français les résultats de sa radio. Au lieu de lui trouver quelqu’un pour traduire, elle parlait plus lentement et plus fort en anglais dans l’espoir que ma grand-mère puisse mieux comprendre. C’est à ce moment-là que j’ai vu le travail à faire. Ça a été le deuxième événement qui a changé mon parcours.

Michelle Stevens avec sa grand-mère en 2005, après son diagnostic. Gracieuseté

Quel a été l’autre événement en question?

Le décès, en 2001, d’un très bon ami après que j’ai commencé à étudier en communication à l’Université d’Ottawa. Ça m’a fait réaliser à quel point la vie était trop courte et que je devais choisir un parcours académique qui me rendrait heureuse. Comme j’ai toujours aimé les langues et que j’étais très forte pour en apprendre, je me suis décidée à partir au Mexique pendant un semestre. Quand je suis revenue, j’ai changé mon baccalauréat pour avoir une concentration en espagnol. Ce choix-là, c’était aussi parce que j’avais dans l’idée de faire une carrière à l’international, dans les ambassades.

Mais finalement, vous êtes retournée vivre dans le Nord…

Oui. Après mes études, j’ai travaillé quelques années à Ottawa, mais j’ai réalisé que je voulais être proche de ma famille alors je suis revenue dans le Nord. J’ai commencé ma carrière au Collège Boréal à temps partiel et de manière contractuelle, j’enseignais alors des cours postsecondaires. J’avais aussi un contrat avec Industrie Canada pour appuyer les aînés avec des outils technologiques. Après plusieurs années, j’ai développé mes capacités en leadership et j’ai pu accepter, en 2015, un rôle comme gestionnaire des services d’immigration pour le Collège Boréal.

Michelle Stevens au Mexique avec des amies, la veille de son retour au Canada en 2002. Gracieuseté

De quoi êtes-vous la plus fière aujourd’hui?

Un de mes plus grands accomplissements est d’avoir été capable de faire face au diagnostic de cancer de ma fille aînée. Je suis fière de ne pas avoir lâché prise et d’avoir continué à mener la bataille pour la construction du nouveau site, tout en accompagnant régulièrement ma fille pour ses traitements à Toronto. Elle est maintenant en rémission, puis on est toujours en croissance au niveau du centre, donc c’est une double victoire. J’ai aussi pu acheter une maison pour que ma maman puisse emménager avec nous et qu’on l’accompagne dans son vieillissement.

Où peut-on vous voir en dehors du centre?

Je suis toujours dans les pistes, dans la nature avec mon chien en train de marcher tous les jours, toutes les fins de semaine. Et si je ne fais pas ça, je suis toujours à mon deuxième boulot : chauffeur de taxi pour les enfants! »


1981 : Naissance à Kapuskasing.

2000 : Commence des études à l’Université d’Ottawa.

2006 : Retourne vivre dans le Nord pour se rapprocher de sa famille.

2015 : Devient gestionnaire du programme en emploi et immigration au Collège Boréal.

2020 : Accède à la direction générale du Centre de santé communautaire de Timmins.

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.