« L’héritage » en francophonie de Justin Trudeau en jeu dans les prochains mois
OTTAWA – C’est jour de rentrée parlementaire à Ottawa et celle-ci devrait constituer la fondation des prochains mois qui risquent d’être fort occupés avec un projet de loi et diverses stratégies en langues officielles pouvant influencer l’avenir du français au Canada pour plusieurs décennies. Ce test pour les libéraux jettera les bases de ce qui constituera peut-être l’héritage de Justin Trudeau pour les francophones, selon des politologues.
Il y a d’abord la Loi sur les langues officielles, demandée depuis plusieurs années par les communautés et organismes francophones. L’actuel projet de loi C-13 reprend le chemin de l’étude, article par article, cette semaine et pourrait se conclure dès la mi-mars.
Cette loi, qui n’a pas été changée depuis 1985, pourrait bien guider les 50 prochaines années pour la francophonie. À plus court terme, aussi en mars, il y a la sortie du Plan d’action sur les langues officielles, qui guide les politiques du gouvernement pendant cinq ans en termes de francophonie. Le tout coïncide avec le dépôt du budget de la ministre des Finances Chrystia Freeland, possiblement vers la fin mars.
Les actions posées prochainement sont une question de survie des francophones, avertit Liane Roy, présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA). « Si on manque nos cibles, c’est le déclin de la francophonie qui nous attend. Nos communautés auront de plus en plus de la difficulté à fonctionner en français et offrir des services. »
Pour la politologue Linda Cardinal, la portée des gestes posés dans les prochains mois aura un impact intemporel pour le premier ministre. « On sait que les libéraux sont dans leur troisième mandat et, on n’en sait pas trop, peut-être pour un quatrième. Donc pour M. Trudeau, c’est un héritage qu’il pourrait léguer dans le cadre de ses différents mandats », analyse la spécialiste de la francophonie canadienne.
Le gouvernement a actuellement les mains sur le volant pour au minimum réduire le déclin du français au Canada, observe Rémi Léger, professeur en sciences politiques à l’Université Simon Fraser. « C’est l’occasion parfaite avec la Loi et le Plan d’action pour les libéraux de mettre leur vision de l’avant », affirme-t-il, estimant qu’ils devront toutefois changer le cap de leurs actions du passé.
« À mon sens, les libéraux avancent en tâtonnant. Ils avancent d’un pas, c’est bien reçu. Ils continuent donc deux pas. Ensuite, ils prennent un pas et ensuite ils reculent de deux… Ce qu’on sait des libéraux depuis qu’ils sont au pouvoir, c’est qu’ils n’ont pas une vision claire pour la francophonie canadienne », dit-il précisant qu’il s’agit d’une stratégie à double tranchant.
Une loi qui traîne
Promise depuis 2018, la nouvelle Loi sur les langues officielles fait du surplace depuis plusieurs mois. Les libéraux avaient promis de la déposer dans les 100 premiers jours et de l’adopter en 2022, mais elle se retrouve aujourd’hui avec un échéancier amenant en mars et c’est un des dossiers qui pressent sur les banquettes libérales.
Tout juste avant les fêtes, plusieurs députés anglo-québécois sont sortis contre C-13. Ils exigeaient que des mentions à la Loi 96, la Charte de la langue française au Québec, soient retirées du projet de loi, alors que les partis de l’opposition estiment que cette charte devrait s’appliquer aux entreprises privées de charte fédérale au Québec. D’un autre côté, les députés libéraux francophones du comité poussent depuis plusieurs mois pour accélérer son adoption.
« Il y a des différences qui sont irréconciliables », tranche le politologue Rémi Léger. « Il y a des choix politiques qui vont devoir être faits. Soit que l’on continue de reconnaître l’égalité des deux langues ou qu’on reconnaît la fragilité du français et qu’on s’engage à en faire plus. Pour l’instant, ça semble être d’appuyer le français mais évidemment, il y a des députés qui aimeraient que le premier ministre fasse le choix inverse. C’est un choix politique qui incombe à Justin Trudeau et son équipe. »
Selon nos informations, une des possibilités sur la table serait que le gouvernement Legault appuie publiquement le projet de loi C-13, si jamais le dossier venait à traîner. En retour, Ottawa adopterait dans sa loi certaines des demandes de Québec – formulées en juin dernier – comme l’application de la Charte de la langue française.
« Le plus beau des cadeaux qui pourrait se produire pour la francophonie canadienne, c’est si le gouvernement du Québec appuyait la Loi sur les langues officielles », estime Mme Cardinal.
Immigration francophone
Le dossier de l’immigration francophone devrait être également une partie phare du prochain Plan d’action. Les démographes et la FCFA estiment que le Canada devra tripler son nombre d’immigrants francophones hors Québec l’an prochain avant d’aller à 20 % de tous les immigrants canadiens chaque année en 2036. Sinon, le déclin du français pourrait bien se poursuivre pour le Canada. Le ministre Sean Fraser juge qu’il s’agit d’une question de cohésion sociale.
« Dans cinq ans, après le prochain Plan d’action, ça va aller vite. Si le déclin n’est pas stoppé, ça va aller vite qu’on va voir le déclin du français dévastateur partout dans nos communautés », signale de son côté Liane Roy.
Cette dernière demande à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) de rapidement mettre en place une stratégie en immigration francophone et d’augmenter sa promotion dans les pays francophones du monde comme en Afrique.