Phil Rivière, youtubeur militant et pourfendeur de l’insécurité linguistique
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
ORLÉANS – Phil Rivière est le youtubeur derrière la chaîne AppelezMoiPhil. Depuis plusieurs années, il propose du contenu varié sur les francophonies canadiennes. Fier Franco-Ontarien, il lutte à sa façon pour promouvoir l’Ontario français. Un de ses objectifs : prouver à Denise Bombardier que les francophones hors Québec n’ont pas disparu. Membre du collectif Le Réveil, il est le récipiendaire du Prix Huguette-Parent, décerné par le Réseau du patrimoine franco-ontarien (RPFO) en février dernier.
« En 2011, à l’âge de 10 ans, vous avez créé votre chaîne YouTube AppelezMoiPhil, dans laquelle vous parlez des luttes franco-ontariennes et de la francophonie canadienne. Comment est venue l’idée de supporter la cause franco-ontarienne à un si jeune âge?
Même si je suis né au Québec, j’ai grandi ici, en Ontario. Je ne suis pas quelqu’un d’investi dans la culture québécoise et ça s’explique parce que, ce qui m’entourait pendant mon adolescence, c’est l’Ontario. C’est vraiment ma maison, là où j’ai créé ma culture d’aujourd’hui. C’est là où je me suis fait le plus d’amis aussi. Je me suis construit ici, en tant que jeune francophone.
Alors, quand j’ai eu 10 ans, effectivement, nous avons quitté le Québec pour Kingston en Ontario. Mon père est militaire, plusieurs membres de ma famille ont été dans l’armée. Je ne savais pas ce qui se passait. J’avais peur de perdre mes amis. Puis là, c’était comme un gros choc linguistique, avec le fait que tout le monde autour de moi parle en anglais. Quand l’école a commencé en septembre, on m’a envoyé dans une école francophone et en fait, je ne m’étais jamais senti aussi inclus. Avant ça, je me suis toujours senti exclu. Je pense que c’est ça qui a initié mon intérêt.
L’accueil que j’ai eu, représente tellement l’essence de la communauté franco ontarienne. Dès mon enfance, j’ai compris les combats autour de moi et je m’y suis intéressé. Je m’identifie comme Franco-Ontarien. Prendre part à lutte me paraissait déjà évident.
La plateforme YouTube AppellezMoiPhil a-t-elle toujours eu cette vocation?
Au départ, ce n’était pas vraiment sérieux. Je faisais du gaming, des animations, des vidéos un peu bêtes, mais, à un moment donné, j’ai eu envie de faire des vidéos sur des enjeux qui me tenaient plus à cœur. J’ai commencé avec « Quelles différences entre la France et le Canada? », « C’est comment être francophone dans une province anglophone? ». En 2021, j’ai publié une vidéo sur les francophones hors Québec et ça a complétement explosé : 84 000 vues!
Aujourd’hui, en quoi est-ce crucial pour vous de faire la promotion de la culture franco-ontarienne, dans vos contenus et dans la manière dont vous le faites?
C’est très important pour moi parce que ça me choque encore. Je vis à Orléans, là où les anglophones ont essayé d’enlever l’accent (Rires). Il y a deux jours, je suis allé dans une clinique à Orléans, et ils n’ont même pas été capables de me servir en français. C’est une insulte pour moi. Ce sont de petites affaires de la vie de tous les jours qui me poussent à me battre. Ce n’est pas facile d’être francophone en Ontario. En parler sur ma chaîne, c’est aussi une façon de briser le plafond de verre.
Si je veux parler de la francophonie en contexte minoritaire, c’est parce que je suis poussé par les injustices du système et par un gouvernement qui vient nous couper des services en utilisant l’excuse du manque de fonds. Ce n’est d’ailleurs pas une bonne excuse selon moi.
Quelle vision ont les anglophones des francophones, selon vous?
Je crois que certains anglophones pensent que parler français, c’est une joke. Je pense qu’ils ne sont absolument pas éduqués au fait français. Je ne veux pas généraliser, mais de mon expérience, les jeunes anglophones qui sont plus ouverts aux causes sociales, vont quand même dire : « Speak English, it’s more simple », comme si ma partie francophone n’était pas nécessaire, parce que je vis dans une province anglophone.
Quelle est la personnalité franco-ontarienne qui vous inspire le plus?
Vous allez me voir venir, mais c’est Gisèle Lalonde. Premièrement, parce que je suis fier d’avoir étudié à l’École secondaire Gisèle Lalonde. Plusieurs fois, je l’ai vue. Elle est venue à l’école nous parler de sa vie. J’ai entendu son nom tellement de fois. J’ai découvert à quel point c’était une femme forte, et comment notre génération a besoin de gens comme elle. J’espère que personne ne va l’oublier parce que c’est une femme dont l’impact est intemporel. Je crois vraiment qu’on en parlera encore dans 30 ou 40 ans. Tant que l’Hôpital Montfort sera debout, on parlera de Gisèle Lalonde.
Elle représente tout ce qu’il y a de plus franco-ontarien : l’esprit, la résilience, le fait de ne jamais abandonner. Il y a eu les luttes avec les sœurs Desloges, le Règlement dix-sept, mais pour notre génération, Gisèle Lalonde, c’est elle qui a pavé le chemin.
Dans votre nouveau docu-série Donner sa langue au chat, vous demandez à vos invités : « Est-ce que la francophonie hors Québec est viable? ». Que diriez-vous justement?
C’est sûr que si vous regardez mes vidéos et ma série, vous allez voir qu’il y a une grande vitalité. Mais, je vais vous dire que, si vous me connaissez, vous savez que j’ai un immense espoir pour cette francophonie. J’essaie de rendre la francophonie un peu plus fun pour les jeunes, pour tout le monde, de partout dans le monde. J’essaie de faire en sorte qu’à l’avenir, elle soit viable. Avec mes vidéos, je veux que les jeunes osent parler français.
Les jeunes sont sur Youtube, TikTok, Instagram… En créant du contenu en français là-dessus, mon but est de donner une viabilité à cette langue.
D’ailleurs, en parlant de cette docu-série, y a-t-il réellement tant de choses à dire sur la francophonie canadienne?
La francophonie canadienne, hors Québec, c’est tellement gros comme sujet. Et puis, il y a tellement d’enjeux différents qu’on pourrait faire des centaines de documentaires. On a choisi de parler de quatre enjeux principaux. Le premier chapitre, ce sont nos combats à travers les années. Dans le deuxième épisode, on parle des relations entre les francophones hors Québec et les autres groupes linguistiques au Canada, anglophones et Québécois. Nous, les Franco-Ontariens, on n’est pas mal pris dans un sandwich entre deux peuples ou deux voisins, entre les anglophones qui n’ont pas trop de sympathie pour nous et les Québécois qui ne nous soutiennent pas.
Le troisième chapitre est extrêmement important, puisqu’on parle d’insécurité linguistique et d’assimilation. Je pense que c’est le plus gros enjeu auquel on fait face en tant que francophones, surtout les jeunes qui ont tellement peur de parler français. Le dernier chapitre est tourné vers l’avenir, la francophonie de demain.
Vous parlez d’insécurité linguistique… Est-ce que vous-même avez ressenti cette insécurité dans votre parcours?
J’écris beaucoup de mes pensées là-dessus. L’insécurité linguistique, je l’ai souvent vécue, surtout en étant un jeune. Mon français a beaucoup changé depuis que j’ai quitté le Québec. J’ai grandi dans un français plutôt québécois, mais en déménageant ici, mon français a évolué pour devenir plus ontarien. Quand je retournais au Québec voir ma famille, les gens me disaient : « C’est bizarre cet accent. Tu viens d’où? », ou bien des commentaires désobligeants et ça me rendait inconfortable. Quand je retournais au Québec, je ne me sentais vraiment pas à l’aise de parler ma langue.
Comment réagissiez-vous alors?
Ça fait vraiment mal au cœur, parce que c’est ma langue maternelle. J’osais penser que les gens seraient inclusifs, mais apparemment, ce n’est pas le cas dans la société d’aujourd’hui. Ça m’a vraiment beaucoup fait de mal. Je pense que c’est une expérience que beaucoup de gens ont vécue. Ça m’a mené malheureusement dans un trou noir d’assimilation. Je suis passé pas loin de perdre ma langue. Honnêtement, entre 2017 et 2019, je suis arrivé à un point où mon insécurité m’a vraiment détruit. En participant aux Jeux franco-ontariens de la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO) en 2019, j’ai repris confiance.
On a perdu du monde : beaucoup de personnes ne parlent plus français. Les statistiques le montrent, c’est grave. À la place de perdre des francophones, je veux en créer. Je veux créer un climat de sécurité, pas d’insécurité, mais de sécurité linguistique.
Les boogeyman de l’Ontario français aujourd’hui, ce sont l’insécurité linguistique et l’assimilation, les deux ensembles.
Vous êtes assez transparent à propos de vous et de votre trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Est-ce important de discuter de ce trouble ou même de santé mentale avec votre auditoire?
La santé mentale, c’est quelque chose qui affecte beaucoup ma vie. J’ai traversé quelques difficultés. Dépression, anxiété. Ça n’a pas été facile. Je pense que le fait d’être gay, ça n’a pas été facile. Ce n’est pas un secret, mais en septembre 2018, j’ai fait une tentative de suicide. Là encore, ça m’a bouleversé quand Louis-Philippe Dion de TFO, avec qui j’ai eu travaillé, s’est enlevé la vie.
Après avoir survécu à cette tentative, je veux juste que les gens y pensent à deux fois avant.
C’est sûr qu’à terme, je voudrais raconter mon parcours. C’est quand même un message important à passer. Ma mission, au-delà de la francophonie, c’est juste de déstigmatiser des sujets qui font peur aux gens, comme l’homosexualité. Je veux tellement changer ça, peu importe de quelle manière. Je voudrais aussi normaliser le fait d’être neurodivergent. J’ai encore beaucoup de choses à faire. Ce n’est pas fini. Je pense qu’en ayant ma plateforme, j’ai le pouvoir de faire ça. Un jour, je pense que je vais être à l’aise, que je vais être capable de parler de santé mentale.
Il y a des belles choses qui s’en viennent sur ma chaîne et à l’extérieur. »
LES DATES-CLÉS DE PHIL RIVIÈRE :
2001 : Naissance à Val-Bélair, au Québec
2011 : Arrive en Ontario et crée sa chaîne YouTube
2021 : Rejoint Le Réveil comme employé et créateur de contenu
2021 : Début du docu-série Donner sa langue au chat
2023 : Finaliste de la catégorie Jeune Leader des Prix Bernard Grandmaître de l’ACFO
2023 : Lauréat du Prix Huguette-Parent du RPFO
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.