Les habitants de Casselman refusent de boire l'eau potable de la municipalité. Archive ONFR

CASSELMAN – En juillet dernier, une concentration élevée de manganèse a été détectée dans l’approvisionnement en eau municipal du village, entraînant une coloration brune et une odeur inhabituelle. Malgré les affirmations de plusieurs scientifiques et de l’Agence ontarienne des eaux, qui assuraient que l’eau était sûre à la consommation, cet incident a suscité des inquiétudes parmi certains résidents quant à la potabilité de l’eau. Actuellement, une partie de la population du village a cessé de consommer l’eau, même si les niveaux de manganèse sont revenus à la normale depuis la fin de l’été.

Malgré tous les efforts déployés pour persuader les résidents de boire l’eau, que ce soient les rapports, les analyses chimiques, les tests et les affirmations catégoriques des scientifiques, la population de Casselman reste réticente. Même après avoir traversé des situations similaires en 2016 et 2019, c’est l’épisode de l’été dernier qui marque les esprits. En 2023, un taux historiquement élevé de manganèse dans l’eau (0,45 mg/L) vient renforcer les craintes profondément enracinées au sein de la communauté.

La confiance perdue semble difficile à rétablir malgré les garanties fournies par les experts.

«  On se souvient encore de la tragédie de Walkerton qui a coûté la vie à neuf personnes  », rappelle Danielle Chénier, une résidente de Casselman. Deux décennies après la découverte d’une bactérie dans l’eau du village de Walkerton en Ontario, plusieurs habitants ont également cessé de consommer l’eau, selon Radio-Canada.

«  Je buvais l’eau du village lorsque je me suis installée à Casselman en 2016, explique Rena Smith. Depuis que je vis ici, la qualité de l’eau se détériore et évidemment j’ai aussi arrêté d’en donner à mes animaux de compagnie.  »

La jeune femme a toujours eu pour habitude d’utiliser un filtre Brita pour son eau, mais cet été «  c’était tellement intense que le filtre ne fonctionnait plus et l’eau avait mauvais goût  », se souvient-elle.

Depuis le tumultueux mois de juillet, une poignée de résidents a rallié un groupe sur Facebook baptisé Casselman Water Quality qui a vu émerger quelques habitants mécontents. Sur cette plateforme, la colère s’est exprimée à travers de nombreuses photos dévoilant des éviers, baignoires et toilettes remplis d’une eau trouble, ainsi que des vêtements tachés par les séances de lessive. Ces publications font figure de tribunaux à ciel ouvert, exposant une population lassée de la situation.

Plusieurs habitants partagent leur expérience sur le groupe Facebook, « J’achète toujours l’eau. Je refuse d’utiliser l’eau de Casselman », pouvions-nous lire. Capture d’écran/ Facebook – Casselman Water Quality

Lorsque la situation est rentrée dans l’ordre à la fin de l’été, ONFR s’est penché sur les répercussions de cet épisode sur les habitants. Les plus volubiles ont rapidement avoué ne plus avoir confiance en l’eau du robinet. Mais quelles motivations incitent cette population à renoncer à l’eau courante? Quels investissements consentent-ils pour des alternatives? Nous avons interrogé ceux envisageant de quitter Casselman pour cette raison et ceux décidant d’attendre que la municipalité trouve une solution durable.

«  Si les nourrissons ne peuvent pas en boire, pourquoi en boirais-je?  » 

L’une des principales raisons suscitant l’inquiétude parmi les habitants remonte au premier communiqué émis par la municipalité en juillet dernier. La Ville informait que des niveaux anormalement élevés de manganèse avaient été détectés dans la Rivière de la Nation Sud, source d’approvisionnement en eau de la municipalité.

D’autres informations soulignaient la nécessité d’exempter les nourrissons de la consommation de cette eau.

«  Les nourrissons présentent un risque accru après une exposition à des niveaux élevés de manganèse dans l’eau potable en raison du développement rapide de leur cerveau, ils boivent davantage d’eau par rapport à leur poids corporel, ils absorbent plus de manganèse et sont moins capables de l’éliminer de leur corps par rapport aux enfants plus âgés et aux adultes  », élaborait la Ville de Casselman dans une une foire aux questions sur son site internet.

Les habitants de Casselman ont partagé de nombreuses photos de leurs baignoires et toilettes pendant l’épisode du manganèse cet été. Source : Facebook / Casselman Water Quality

Dans une entrevue accordée à ONFR, une citoyenne partage ses préoccupations liées à la qualité de l’eau. Danielle Chénier évoque le moment où le Dr Paul Roumeliotis, médecin hygiéniste du bureau de santé de l’est de l’Ontario (BSEO), recommandait de ne pas donner cette eau aux nourrissons et jeunes enfants. Pour elle, cette restriction soulève des questions sur la sécurité de l’eau.

«  Si les enfants ne peuvent pas en boire, les adultes ou les personnes âgées devraient être autorisés à le faire?  » se demande-t-elle.

La municipalité explique que selon Santé Canada, l’eau potable dont la teneur en manganèse est égale ou inférieure à 0,12 mg/l est considérée comme sécuritaire à la consommation. 

D’autres études suggéraient que pour les adultes et les enfants, «  boire de l’eau ayant une teneur en manganèse supérieure à 1 mg/l pendant plus de 10 jours pouvait présenter un danger pour la santé  ». Les taux ont dépassé 1 mg/l, le 17 juillet, puis ostensiblement au-dessus de 0,12 mg/l, le reste du temps. 

À cette époque, la mairesse Geneviève Lajoie se rappelle avoir initié des dialogues avec la communauté.

«  J’ai encouragé les résidents à venir me rencontrer pour discuter, explique-t-elle lors d’une entrevue. J’ai essayé de répondre autant que possible à leurs questions.  »

Geneviève Lajoie est la mairesse de Casselman, en entrevue avec ONFR, elle s’est dit comprendre la frustration des habitants. Aujourd’hui, elle recherche une autre source d’approvisonnement pour la municipalité. Crédit image : Stéphane Bédard

D’après elle, il était extrêmement important de mettre l’accent sur la communication, et «  c’est ainsi que l’on m’a recommandé le chimiste Bill Dallala, qui a produit un rapport remarquable et qui a trouvé des solutions pour nous ».

La mairesse de Casselman, Geneviève Lajoie a l’intention de prendre en compte les recommandations des experts. Cependant, elle déclare être activement à la recherche d’autres sources d’eau pour la ville. Un plan de faisabilité devrait être envoyé à la municipalité autour de la nouvelle année. 

Une patience largement éprouvée

Du côté des habitants, Caroline Thompson est radicale sur la question.

«  Pour ma part, c’est terminé je ne bois plus l’eau telle qu’elle sort du robinet. J’ai investi des milliers de dollars dans plusieurs systèmes de filtration et d’adoucissement.  »

«  Cela a commencé dès la première année où nous avons emménagé à Casselman, en 2018, mais cette année, c’était tellement grave, qu’une partie de mon équipement n’était même pas suffisant  », explique la résidente. 

Caroline Thompson vit à Casselman. Depuis son arrivée dans le village, elle a investi dans un système de filtration. D’après elle, les informations restent nébuleuses autour de la gestion de l’eau à Casselman. Gracieuseté

Pour Mme Thompson, le manganèse n’est pas parti, et il ne partira pas. «  Il reviendra cet été. Prenez-moi au mot  », s’exclame-t-elle. 

«  On pourrait avoir un évènement comme à Walkerton, parce que le manganèse est insidieux. Ce n’est pas comme l’E.Coli qui vous tue rapidement. Le manganèse vous affecte au niveau neurologique.  »

Même son de cloche pour Rena Smith, qui se rappelle allègrement son été 2023. «  C’était l’un des pires étés depuis que je suis installée ici.  »

«  L’eau était d’une couleur jaune brunâtre, ce qui rendait même la douche désagréable, et les bains étaient exclus  », se souvient-elle, avant de reprendre : «  Il est très déplaisant et triste de payer un loyer aussi élevé à Casselman, la facture d’eau oscille entre 230 et 300 pour trois mois.  »

Pour Mlle Smith, «  la municipalité affirme que l’eau est sûre, mais sérieusement, comment peut-elle être jaune/marron et être sûre à consommer?  »

Le manganèse se retrouve dans la rivière Nation Sud. Crédit image : Stéphane Bédard

De son côté, Danielle Chénier ne boit plus l’eau. C’est exclusivement celle en bouteille offerte par la banque alimentaire qui lui sert aujourd’hui. Elle explique que «  d’autres habitants vont remplir leurs bouteilles d’eau chez des amis ou de la famille en dehors de Casselman ».

D’après un sondage ONFR, une partie du village a cessé de consommer l’eau. 172 personnes ont répondu à la question suivante : «  Buvez-vous toujours l’eau du village?  »

45 % des participants au sondage admettent ne plus boire l’eau et 24 % ne cuisinent plus avec selon ce sondage dans le groupe Facebook. Capture d’écran.

Une nouvelle source d’eau devra être la solution 

Marc Demers continue de consommer l’eau locale. Il estime «  que la municipalité fait de son mieux sans que ça coûte des milliers de dollars aux citoyens de Casselman  ».

«  Le groupe Facebook a vite tourné en tribune de critiques, principalement dirigées contre la nouvelle mairesse  », a-t-il constaté. 

L’eau de la municipalité a été brunâtre et odorante durant les mois de juin à septembre 2023, certains habitants ont constaté une turbité dans l’eau même en octobre. Crédit image : Julie Guindon

«  Un jour, Mme Lajoie a posté un commentaire sur la page, déclarant : « Si vous avez des idées sur la manière de résoudre le problème, je serais très intéressée de vous rencontrer », raconte Marc Demers. »

Par la suite, le résident a organisé une entrevue avec la mairesse pour évaluer sa réelle ouverture aux suggestions.

« Je lui ai recommandé un homme avec qui j’avais travaillé, Bill Dallala, un expert éminent dans le domaine de la chimie de l’eau. Ma suggestion a été sérieusement considérée, et M. Dallala a inspecté l’usine avant de proposer une solution à notre problème à court terme, en attendant que nous puissions trouver une source d’eau permanente. »

M. Demers reconnaît que la résolution de ce problème traîne en longueur. Il comprend également que certains citoyens envisagent des actions en justice. Cependant, il estime que ce n’est pas la solution appropriée et préfère placer sa confiance envers la municipalité. Selon lui, le Dr Roumeliotis, qui a affirmé la potabilité de l’eau, est une personne digne de confiance.

« De par son statut, il ne mettrait pas sa réputation et sa profession en péril et ne ferait surement pas de fausses déclarations. »

Si M. Demers préfère attendre que la municipalité trouve une solution, ce n’est pas le cas de tout le monde. Rena Smith, elle, veut partir. 

« Ce n’est pas juste de vivre dans une ville où l’eau n’est pas propre », dit-elle. 

Cet été, la banque alimentaire est venue en aide aux habitants en leur livrant des bouteilles d’eau. Crédit image : Stephenie LaMaina

« Notre facture d’eau s’alourdit, en plus de la location du réservoir d’eau. L’achat d’un pack d’eau est devenu une dépense considérable, passant d’un à cinq dollars par pack », déclare-t-elle.

Quant à Mme Thompson, elle trouve la situation profondément préoccupante. « J’ai exprimé mon désaccord et soulevé la question de nos factures d’eau lors de la réunion municipale. Pourquoi nous facturez-vous une fortune alors que vous ne fournissez pas une eau, à mon avis, sûre à boire? »

Malgré cette situation, Caroline Thompson ne prévoit pas de quitter Casselman.

« C’est chez moi, j’ai choisi de vivre ici », affirme-t-elle. « Je vais me battre pour rester, sauf si ma santé commence à se détériorer. Il y a des gens ici qui ne peuvent pas se permettre de déménager non plus. Je pourrais déménager, bien sûr. Je pourrais vendre ma maison, aller ailleurs, mais je ne veux pas le faire. J’aime Casselman, j’aime les gens, j’aime la ville, je ne veux pas que quelque chose comme ça m’empêche d’aller de l’avant. »

Ainsi, les habitants font preuve de patience, bien que l’inquiétude d’un nouvel épisode plane au-dessus d’eux. « Avec le réchauffement planétaire, il est inévitable que de tels épisodes se reproduisent », affirme Danielle Chénier.