Agathe Breton-Plouffe, la pionnière de Red Lake

Agathe Breton-Plouffe œuvre au sein de l'Association francophone de Red Lake depuis sa création en 2014. Gracieuseté

[LA RENCONTRE D’ONFR+]

RED LAKE – Infatigable militante du Nord-Ouest, Agathe Breton-Plouffe contribue à la francophonie minoritaire de Red Lake où elle est installée depuis 13 ans. Celle qui est aux commandes de l’Association francophone de Red Lake a permis au carnaval d’hiver de la ville de renaître de ses cendres et compte instaurer d’autres initiatives pour mieux intégrer les 4,4 % de francophones de la ville.

« Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance à Mattice?

À Mattice, c’était très français. Il y avait quelques familles qui parlaient anglais et je me rappelle que je ne parlais pas anglais. Quand j’étais en 2e ou 3e année, il y avait une fille qui voulait jouer à la cachette avec moi, mais je ne comprenais pas le terme en anglais donc on ne se comprenait pas. C’était une réalité très différente de Red Lake. Après ça, notre famille a déménagé à Kapuskasing, puis Timmins où j’ai fréquenté l’École secondaire Thériault. Ça a été une belle expérience, mais je trouvais ça étonnant que sur 1500 élèves seuls 50 parlent le français.

Quel a été votre premier contact avec le milieu communautaire?

C’est quand j’ai commencé à travailler pour la station de radio de Hearst CINNFM comme assistante. On était chargés de faire des prélèvements de fonds, car c’était ce qui était essentiel pour sa survie. C’était vraiment intéressant de voir les idées créatives et rassembleuses, qui faisaient se rejoindre différents organismes ensemble. Ce n’était jamais pareil et on faisait plein de nouvelles connexions. L’union fait la force comme on dit.

Agathe Breton-Plouffe toujours prête à mettre la main à la pâte, ici préparant de la tire sur la neige à l’école des Étoiles-du-nord le 9 mars dernier. Gracieuseté

Vous êtes aussi une entrepreneure. Comment vous est venu ce projet?

Quand j’ai eu mes enfants, il y avait une pénurie de garderies. J’ai alors décidé de ne pas retourner au travail. Comme j’avais de l’expérience en comptabilité après mon baccalauréat en administration des affaires à l’Université de Hearst, j’ai décidé d’ouvrir une entreprise de tenue de livre – ABP Tenue de livres – et de travailler à la maison. Plein d’entreprises en avaient besoin.

Depuis, je suis obligée de refuser de nouveaux clients chaque mois. C’est vraiment difficile. J’ai embauché deux étudiants pour m’aider. On a une pénurie de main-d’œuvre assez énorme ici dans le Nord-Ouest. Je fais ça depuis 2017. Alors quand le poste d’agente de liaison communautaire à Red Lake a ouvert, je me suis dit que ça allait bien avec mon travail à la maison.

À ce propos, pourquoi avez-vous déménagé à Red Lake?

Mon mari avait perdu son emploi à Hearst et l’économie n’était pas bonne en ce temps-là. On a donc vendu notre maison et tenté l’expérience à Red Lake où mon mari avait une offre d’emploi intéressante dans son domaine.

L’association a reçu le prix Billochet du jongleur de 2022 pour ses efforts dans la conservation et le partage de l’histoire et le patrimoine francophone de la région, notamment avec des vidéos de conte sur Youtube. Gracieuseté

Comment avez-vous vécu ce gros changement?

C’était très difficile. J’avais un bon emploi à Hearst. Je pensais rester là pour toujours, puis j’ai dû partir et on arrive dans un endroit très anglophone. Je me souviens que lorsque je marchais vers l’épicerie, dès que j’entendais des gens parler en français, j’essayais de suivre les conversations. Mais les gens retournaient toujours à l’anglais. Et chaque fois que je demandais : ‘’Où sont les francophones?’’, personne ne savait.

D’où le besoin de créer un organisme formel pour les francophones

C’est parti d’une anecdote comme ça. J’ai rencontré celle qui est devenue mon amie, par hasard, pendant une compétition de curling. Quand elle m’a demandé mon prénom en anglais et qu’elle a entendu mon accent, elle a compris que j’étais francophone et on s’est dit qu’on doit trouver un moyen de rassembler les francophones et intégrer les nouveaux arrivants qui parlent en français.  

Yvonne Samson ( gauche), Agathe Breton-Plouffe, Kate Polle, Michele Alderton, Sophie Castonguay, Cynthia Chamberlin, Marielle Pellerin (droite), les fondatrices de l’Association francophone de Red Lake. Gracieuseté

Fait intéressant, l’association a été créée uniquement par des femmes

Oui, on était une dizaine de femmes de tous horizons : des jeunes et des moins jeunes. Ce qu’on voulait c’était de se réunir et pouvoir parler en français. Il fallait vraiment lancer ça en grande pompe pour nous faire connaître. On a donc décidé de tenter de refaire un carnaval d’hiver, parce que ça faisait presque 11 ans qu’il n’y en avait plus eu, par manque de bénévoles et baisse d’intérêt. Je me souviens de celui d’Hearst qui était tellement important, tellement rassembleur. Je voulais vraiment que les gens ici aient ça.

C’est donc à vous que l’on doit le retour du carnaval d’hiver qui est maintenant régulier?

Oui, disons que j’ai des idées folles et des amies pour me suivre! Mais c’est vrai que le premier a été un grand succès. D’ailleurs, la ville a décidé de reprendre l’événement chaque année. Financièrement ça a été un véritable défi car on avait 0 dollar. On a dû chercher des commandites et demandé de l’aide à d’autres organismes. La municipalité nous a alloué un local, tandis que des organismes vendaient des sucreries pour faire leur propre prélèvement de fonds. Il y avait des musiciens qui assuraient l’ambiance. À l’extérieur, on avait une patinoire, des tic-tac-toes sur la glace, un feu de camp avec des saucisses, du ski… C’était vraiment bien et rendu possible grâce au travail commun des organismes communautaires.

Il n’y a pas de directeur général dans votre association. Est-ce vous qui assurez ce rôle?

C’est sûr qu’on a un conseil d’administration avec une présidence, mais c’est vrai que c’est moi qui suis la plus visible, disons. C’est parce que j’ai un horaire plutôt flexible. On a aussi plein de bénévoles à tous les niveaux. En réalité, mon titre devrait probablement être directrice générale, mais ça a toujours été agente de liaison communautaire, car je fais aussi de la liaison communautaire. Mon poste m’occupe 15 heures par semaine… Une directrice générale, il faudrait l’embaucher à temps plein.

On vous voit aussi beaucoup œuvrer dans les écoles. Est-ce important pour votre organisme?

C’est sûr. On a une experte en petite enfance, et ça, c’est vraiment un pan de notre association qui est très apprécié ici. Plusieurs familles anglophones ont décidé d’envoyer leurs enfants à l’école francophone, donc nous sommes la solution en dehors des heures d’école pour continuer à vivre en français pour ces enfants-là. On fait aussi des journées pédagogiques durant lesquelles les parents nous apportent leurs enfants et on les garde toute la journée. Ils bénéficient d’une gardienne gratuite et les enfants peuvent jouer et pratiquer en français.

L’association francophone de Red Lake a organisé un événement le 1er décembre 2018 en réaction aux compressions dans les services en français annoncés par le gouvernement Ford. Gracieuseté

Vous allez bientôt fêter les dix ans de l’association. Quels sont vos plans pour son avenir?

C’est vrai que ça approche. Le temps passe tellement vite! On voudrait avoir un local permanent. Ça fait deux ans qu’on cherche un lieu qui pourrait devenir la place pour les francophones et nous permettre de ranger tout notre matériel. Là, on a deux affiches sur l’autoroute, mais on n’a pas de lieu physique donc c’est difficile de nous visualiser pour les nouveaux arrivants. L’autre problème, c’est qu’on change de lieu pour nos rencontres. C’est compliqué pour les gens de devoir vérifier à chaque fois où on se trouve. On n’a pas les fonds pour ça pour le moment donc ce n’est pas possible actuellement.

La place du français a-t-elle évolué positivement à Red Lake?

Oui, c’est beaucoup mieux, car maintenant les gens savent qu’on existe et connaissent mieux les services offerts aux francophones, grâce aussi au travail de notre association. Le problème quand on est une ville minière comme la nôtre c’est qu’il y a beaucoup de va-et-vient des familles. On a eu deux premières familles d’Algérie récemment, des Français aussi. Ca m’impressionne beaucoup parce que je suis habituée à des Franco-Manitobains, et un peu d’Acadiens. Une autre chose, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de fierté d’être francophone chez les gens du coin. Soit ils ont perdu leur français, soit ils ont beaucoup d’insécurité linguistique. Évidemment, ici aussi, on constate une baisse de la population francophone.

Et quand vous n’êtes pas au bureau ou sur le terrain, vous avez une guitare entre les mains…

Oui, j’aime beaucoup la musique. J’ai même fait partie d’un trio acoustique de 2007 à 2010. On s’appelait les MAM’zelles. On a fait des concerts à Hearst, des rallyes, le Radiothon aussi pour recueillir des dons pour la communauté. On a même ouvert pour Patrick Normand. C’était vraiment un grand moment surtout que j’ai appris à jouer de la guitare avec ses chansons quand j’avais 13 ans. On fait beaucoup d’événements en lien avec la chanson. C’est quelque chose qui continue de me passionner et me permet aussi d’exprimer ma fierté francophone. »

Les MAMz’elles en compagnie de Patrick Normand et Irène Veilleux lors d’un concert à Hearst en avril 2009. Gracieuseté

LES DATES-CLÉS D’AGATHE BRETON-PLOUFFE :

1981 : Naissance à Hearst.

2007 : Ouvre la première partie du spectacle de Patrick Normand avec son groupe Les Mamz’elles.

2010 : Déménage à Red Lake.

2014 : Participe au premier rassemblement francophone de Red Lake et organise le retour du carnaval d’hiver de la ville.

2019 : Devient agente de liaison communautaire pour l’association francophone de Red Lake.

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.