Air Canada : les plaintes liées aux langues officielles ont triplé en dix ans

Le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge. Archives ONFR+
Le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge. Archives ONFR+

OTTAWA – Les institutions fédérales desservant le public voyageur continuent d’accumuler les plaintes pour leurs manquements linguistiques, comme Air Canada dont les plaintes ont triplé depuis dix ans. C’est ce qui ressort du rapport annuel du commissaire aux langues officielles, qui note aussi une hausse de la mauvaise désignation linguistique des postes au fédéral.

Pour 2022-2023, le bureau de Raymond Théberge a reçu 1 788 plaintes, le chiffre le plus haut jamais enregistré en excluant les deux dernières années avec la pandémie. L’an dernier, c’était 5 409 plaintes qui avaient été jugées recevables en 2021-2022, mais 4 026 (89 %) portaient sur la nomination de la gouverneure générale Mary Simon, ne parlant pas français, et le discours unilingue anglophone du président d’Air Canada Michael Rousseau.

Le président d'Air Canada Michael Rousseau lors de sa comparution devant les parlementaires à Ottawa
Le président d’Air Canada Michael Rousseau lors d’une comparution devant les parlementaires à Ottawa. Capture d’écran ParlVu.

Dans la dernière année, le nombre de plaintes visant les institutions fédérales desservant le public a atteint un sommet, 810 dont 276 contre Air Canada. La commissaire constate qu’en excluant 2021-2022 en raison de la pandémie, les plaintes des voyageurs, pour ce qui touche au service dans l’une des deux langues officielles, continuent d’aller vers le haut.

« Cette augmentation témoigne que certains problèmes relevés dans le rapport annuel de 2012-2013 perdurent. Ainsi, il arrive encore trop souvent que les institutions fédérales ne recourent pas à l’offre active », écrit-il, donnant aussi en exemple les manquements dans la langue de service.

Raymond Théberge se dit « frustré » de voir « le manque de respect » qu’accorde Air Canada à la Loi sur les langues officielles (LLO). Son prédécesseur Graham Fraser avait consacré un rapport spécial à la société d’État.

« Ça serait réellement un coup de circuit, si une année, on n’avait pas à rapporter sur Air Canada », a-t-il dit en conférence de presse mardi matin.

Il estime que les nouveaux pouvoirs accordés en vertu du projet de loi C-13, présentement au Sénat, lui permettront de mieux faire respecter la LLO. Le libellé lui accorde de nouveaux pouvoirs, notamment celui de distribuer des amendes financières aux mauvais joueurs (à hauteur de 25 000 $) et des ordonnances de conformité.

Dans son rapport, il recommande au gouvernement d’élaborer des outils et des lignes directrices concernant les obligations linguistiques des administrations aéroportuaires et que celles-ci soumettent un plan sur la façon dont elles respecteront ces directives envers le public d’ici 2025.

Le ministre des Transports Omar Alghabra n’avait pas eu le temps de regarder en détail les recommandations du commissaire, a-t-il indiqué aux journalistes.

« Mais en principe, je m’engage et notre gouvernement s’engage à faire tout en son pouvoir pour améliorer la culture afin de permettre aux Canadiens de recevoir le service dans la langue de leur choix. »

La ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor a affirmé de son côté que son gouvernement acceptait les recommandations du commissaire Théberge, car elles font « bel et bien de l’allure ».

Réaction d’Air Canada

Dans une déclaration écrite, Air Canada se défend. Elle avance être la seule entreprise dans son domaine à être assujettie à la LLO, « un défi » qu’elle relève « depuis plus de 50 ans, dans une industrie aux règles complexes, tout en servant nos clients en plus de 20 langues dans 51 pays en plus du Canada ».

Mais l’entreprise balaie sous le tapis les près de 300 plaintes à son encontre. Si le transporteur aérien affirme prendre « très au sérieux chaque plainte… Air Canada a transporté 40 millions de passagers qui ont en moyenne 4-5 interactions avec nous ».

« Je pense que l’on ne s’entend pas sur les chiffres et les nombres. Pour nous, le chiffre est important, peut-être pour Air Canada, c’est moins important », a réagi le commissaire Théberge.

Trop de postes encore faussement affichés

Les plaintes sur les exigences linguistiques de postes dans la fonction publique ont triplé comparativement à l’an dernier, passant de 204 à 714. Depuis plusieurs années des emplois affichés dans la fonction publique devraient être désignés bilingues, mais ne le sont pas, ce qui contrevient à la Loi sur les langues officielles. Il y a aussi des postes qui affichent le mauvais niveau de bilinguisme nécessaire, en n’étant notamment pas assez exigeantes.

Le commissaire note d’ailleurs que le gouvernement traîne des pieds dans ce dossier. Raymond Théberge avait recommandé, dans son rapport de 2020, au Conseil du Trésor de corriger la situation, et il lui demande d’« accélérer la cadence et de veiller à déployer sa stratégie avec vigueur dès les prochains mois ».

Langue de travail : le télétravail « inquiète »

L’utilisation des langues officielles au travail et le respect des droits linguistiques des fonctionnaires dans le cadre de la formule de travail hybride et en télétravail, en place actuellement dans la fonction publique « inquiètent » le commissaire Théberge.

« Ces phénomènes risquent d’avoir comme conséquence l’augmentation des cas où des gestionnaires qui ne sont pas nécessairement à l’aise en français ou en anglais doivent superviser des fonctionnaires qui eux ont le droit de travailler dans la langue officielle de leur choix », soutient-il.