Ajouter un accent sur son permis de conduire : pas si gratuit que ça

Andréanne Lefebvre tient à son accent. Gracieuseté

HAMILTON – Enthousiaste à l’idée de changer son permis de conduire contre un nouveau comportant l’accent manquant à son prénom, une Franco-Ontarienne a eu la mauvaise surprise d’apprendre qu’il lui en coûterait 100 $, alors que le gouvernement de l’Ontario vantait la gratuité de ce nouveau droit acquis après une décennie de lutte. Récit d’une histoire administrative à dormir debout.

La nouvelle avait fait sensation en septembre 2020 : la ministre des Transports (et des Affaires francophones), Caroline Mulroney, avait annoncé en grande pompe un nouveau droit pour les Franco-Ontariens, celui d’ajouter gratuitement les accents manquants à leur nom sur le permis de conduire.

Neuf mois plus tard, la réalité est moins reluisante qu’elle n’y paraît puisque des personnes nées en Ontario ne peuvent pas prétendre gratuitement à un tel changement. Andréanne Lefebvre, une Franco-Ontarienne native de Burlington et résidant à Hamilton, en a fait la cuisante expérience.

Pour Andréanne Lefebvre, hors de question de payer pour quelque chose de gratuit. Gracieuseté

Lorsqu’elle a voulu entamer cette démarche administrative pour ajouter un accent sur son prénom, les agents de ServiceOntario la lui ont refusée au prétexte que le document justifiant son identité – son certificat de naissance – ne comportait pas lui-même d’accent. Une évidence compte tenu du fait qu’elle est née en 1986, à une époque où, par définition, la province ne reconnaissait ni n’enregistrait aucun accent sur aucun papier d’identité.

Devant cet état de fait, le plan B pour Mme Lefebvre aurait été de présenter son passeport. Mais là aussi, le document ne comporte aucun accent puisqu’il a été établi à partir de son certificat de naissance. Dans cette histoire qui tourne en rond, la seule échappatoire qui se présente à elle serait de faire une demande de changement de nom. Coût de l’opération : 100 $. Hors de question pour cette résidente de Hamilton.

« Ce n’est pas à moi de payer cet argent-là »

Andréanne Lefebvre conteste le bien-fondé de cette démarche, estimant que ce n’est pas à elle de payer quelque chose dont on a annoncé la gratuité. « Si quelqu’un doit changer mon nom, c’est ServiceOntario, pas moi. Je n’ai demandé à personne de m’enlever mon accent sur mon certificat, à la naissance. L’erreur ne vient pas de moi mais de l’Ontario. C’est à lui de corriger mon nom, et non à moi de le changer. Il y a toujours eu un accent sur le prénom que mes parents m’ont donné, mais il n’a jamais été accepté par la province. Ce n’est donc pas à moi de payer cet argent-là. »

Mme Lefebvre déplore par ailleurs avoir été confrontée à l’ignorance des agents provinciaux concernant l’existence même d’une telle procédure gratuite de changement de nom. « Les employés du bureau de ServiceOntario où je suis allée ne savaient pas que je pouvais faire cette demande. Ils ne savaient donc pas comment changer mon nom dans le système. Ensuite, on m’a refusé la demande, car la seule pièce d’identité que j’ai avec un accent aigu est ma carte d’assurance sociale », une pièce fédérale non prise en compte.

Son cas n’est isolé. « C’est la même chose avec ma sœur née en 1985 : il y a un accent grave sur son nom sur sa carte d’assurance sociale, mais pas sur son certificat de naissance. Comment voulez-vous que les Franco-Ontariens demandent une carte de remplacement pour leur permis de conduire lorsqu’ils n’ont pas les pièces justificatives pour le faire? » interroge-t-elle, dans une correspondance adressée au bureau de Caroline Mulroney.

Caroline Mulroney, ministre des Transports et des Affaires francophones, lors de l’annonce de septembre 2020. Archives ONFR+

On se souvient que le 25 septembre dernier, la ministre des Transports avait annoncé la possibilité pour tous les Ontariens qui le souhaitent, de changer leur permis de conduire afin d’ajouter les accents, une mesure entrée en vigueur dès le 28 septembre suivant.

« La communauté francophone de l’Ontario verra désormais son identité se refléter dans ces produits grâce à l’utilisation d’une orthographe et de caractères français appropriés. Cela démontre l’engagement continu de notre gouvernement à soutenir la francophonie ontarienne », avait-elle déclaré devant Queen’s Park, à Toronto. La modernisation des logiciels avait coûté 580 000 $ pour que le système informatique soit capable d’enregistrer les caractères français avec accent.

Une procédure conçue pour éviter les fraudes

Dans une première réponse envoyée en mai dernier à Mme Lefebvre, le ministère des Transports affirme que « des documents d’identification acceptables qui satisfont au nom légal complet » sont indispensables pour « éviter les identités frauduleuses » mais n’explique pas comment les Franco-Ontariens nés en Ontario, que l’administration a privés d’accents sur leurs papiers depuis leur naissance, peuvent sortir d’une telle impasse, sans frais, comme promis.

« Aucune exception de ne peut être faite », ajoute le ministère dans un second courrier adressé à la plaignante, début juin, après que celle-ci ait déploré ne pas avoir reçu de réponse satisfaisante à sa requête.

Andréanne Lefebvre tient à son accent et espère que le gouvernement la rétablira promptement dans son bon droit. Elle demande notamment qu’on prenne en compte, comme preuves justificatives, les documents d’identité fédéraux comme la carte d’assurance sociale.

Actuellement, sont acceptés le passeport, le certificat de citoyenneté, le certificat de statut d’Indien sécurisé et toute carte-photo émise par l’Ontario, comme la carte Santé, des pièces dépourvues lorsqu’elles ont été émises avant 2020.