
Alain Dobi : « L’avenir de l’immigration francophone passe par une meilleure intégration économique »

ENTREVUE EXPRESS
QUI
Alain Dobi est le coordonnateur du Réseau en immigration francophone du Centre-Sud-Ouest (RIFCSO), l’un des trois organismes qui coorganisent le Forum provincial sur l’immigration francophone en Ontario.
LE CONTEXTE
Du 10 au 11 juin, London accueille la 7ᵉ édition de ce rendez-vous biennal réunissant acteurs communautaires, fournisseurs de services, chercheurs, représentants gouvernementaux et nouveaux arrivants. Placé sous le thème Horizon 2030, le forum marque un moment stratégique pour réfléchir à l’avenir de l’immigration francophone dans un contexte de renouveau des politiques fédérales.
L’ENJEU
Au-delà des cibles de recrutement désormais atteintes, la question de la rétention devient centrale. L’intégration économique, la reconnaissance des compétences, la qualité des services en région et la collaboration intersectorielle figurent parmi les défis majeurs que les communautés francophones doivent relever pour assurer la vitalité durable de la francophonie en Ontario.
« Cette septième édition du Forum provincial met l’accent sur l’horizon 2030. Pourquoi ce thème et à quoi peut-on s’attendre cette année?
Cette année, nous avons voulu réfléchir à l’avenir de l’immigration francophone en Ontario en nous projetant vers 2030. Ce thème s’inscrit dans un contexte de renouvellement important : une nouvelle politique fédérale en immigration francophone, des ententes triennales signées récemment avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), de nouveaux programmes et surtout l’arrivée de nouveaux joueurs sur le terrain, dans le Nord, l’Est ou le Centre-Sud-Ouest. L’objectif est d’anticiper l’impact de tous ces changements sur l’écosystème francophone.
Pendant le forum, il y aura une série d’ateliers structurés en trois grands blocs thématiques : le nouveau portrait de l’immigration, les impacts des politiques, et la question de l’accessibilité et de l’innovation. L’idée est de renforcer les capacités des acteurs sur le terrain pour les années à venir.
L’objectif fédéral de 6 % d’immigrants francophones a été dépassé en 2024. Est-ce que cela donne de l’espoir pour la suite?
Oui, c’est très encourageant. C’est la première fois que la cible des 4,4 %, et même des 6 %, est atteinte. Cela démontre que les efforts commencent à porter leurs fruits. Mais cette avancée amène aussi de nouvelles responsabilités. Avec les nouveaux programmes et les nouveaux partenaires sur le terrain, nous avons bon espoir de renforcer notre capacité à bien accueillir ces nouveaux arrivants. Mais l’enjeu, maintenant, ce n’est plus seulement de les faire venir – c’est de les garder, de les intégrer durablement, et qu’ils puissent contribuer pleinement à la vitalité de nos communautés.
C’est pour ça que le forum insiste aussi beaucoup sur l’enracinement. On ne veut pas seulement atteindre les cibles, mais faire en sorte que les personnes immigrantes puissent s’épanouir, participer activement et rester dans nos communautés. C’est la pérennité de la francophonie ontarienne qui est en jeu.
Comment améliorer concrètement la rétention des nouveaux arrivants francophones en Ontario?
C’est un enjeu crucial. Une récente étude du Conference Board du Canada indiquait que près de 35 % des immigrants francophones quittent le Canada après leur arrivée. C’est un chiffre qui nous a tous interpellés. On fait beaucoup d’efforts pour attirer les gens, pour promouvoir l’Ontario à l’international, mais il faut maintenant s’assurer qu’une fois ici, ils aient envie de rester.
Ce qui ressort de plus en plus dans nos consultations, c’est que le principal facteur de départ, ce n’est pas l’accueil ou l’ambiance dans la communauté, c’est l’intégration économique. Beaucoup de gens n’arrivent pas à trouver un emploi qui correspond à leurs compétences, à leurs qualifications. Et cela, malgré le fait qu’ils soient souvent très bien formés. Alors ils finissent par partir ailleurs.
On doit donc agir à plusieurs niveaux : reconnaissance des diplômes étrangers, accès au marché du travail, soutien à l’employabilité, développement économique local. Les projets des communautés francophones accueillantes, comme celles qu’on a maintenant en Ontario (nous en avons six), sont un levier important. On y développe des initiatives locales pour améliorer l’accueil, l’emploi, la vie sociale. Il faut absolument les renforcer.
Ressentez-vous un climat social tendu vis-à-vis de l’immigration francophone?
À ce jour, non. Nous n’avons pas observé de rejets ou d’incidents majeurs envers les immigrants francophones dans nos communautés. Il existe peut-être une perception globale négative sur l’immigration dans certains milieux, mais elle ne vise pas spécifiquement les francophones.
Ce que nous voyons, c’est plutôt un bon accueil, une ouverture dans la plupart des milieux où nous intervenons. Évidemment, ce climat peut être influencé par ce qui se passe ailleurs, notamment au sud de la frontière. Mais en Ontario, on ne peut pas dire que les immigrants francophones sont pointés du doigt. Le défi, ce n’est pas la langue. C’est davantage la reconnaissance des compétences et la diversité des profils qui doivent être mieux valorisées.
Pourquoi avoir choisi London comme ville hôte du forum cette année?
C’est une décision qui s’inscrit dans la rotation habituelle entre les trois RIF. En 2023, c’était au tour du RIF du Nord, donc on était à Sudbury. Cette année, c’est le Centre-Sud-Ouest qui accueille, et nous avons choisi London pour une bonne raison : c’est notre deuxième communauté francophone accueillante en Ontario. C’est une belle façon de mettre cette désignation en lumière et de permettre aux participants de découvrir les efforts de cette ville en matière d’accueil et d’intégration.
Quels sont les plus grands défis à venir pour votre réseau?
Il y en a plusieurs. D’abord, avec les nouvelles ententes IRCC, il y a eu des changements importants dans les règles de financement. Certaines dépenses liées à notre fonctionnement quotidien ne seront plus admissibles. Il va falloir qu’on se réinvente, qu’on trouve de nouvelles façons d’impliquer les communautés et les partenaires dans nos activités, tout en maintenant un haut niveau de qualité.
Ensuite, il y a les écarts entre milieux urbains et ruraux. À Toronto ou Hamilton, on trouve plus facilement des services. À Sarnia ou dans des localités rurales, c’est beaucoup plus difficile. On doit s’assurer que peu importe où l’on est en Ontario, les immigrants aient accès aux mêmes services de qualité.
Enfin, il y a la nécessité de travailler en collaboration. Aucun organisme ne peut répondre à tous les besoins d’un nouvel arrivant. Il faut renforcer les liens, développer des synergies, être plus souples et plus efficaces ensemble. Et surtout, il faut avancer sur la reconnaissance des diplômes et de l’expérience acquise à l’étranger. C’est un problème récurrent, on en parle depuis trop longtemps. Il faut maintenant passer à l’action. »