Alcool : l’Ontario lorgne les supermarchés
TORONTO – L’Ontario s’apprêterait à donner un grand coup de barre dans le sens de la modernisation de la vente d’alcool, le premier depuis que la province a aboli la prohibition et donné un quasi-monopole sur la vente de bière à trois grands brasseurs, il y a tout près de 90 ans.
FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
fpdufault@tfo.org | @fpdufault
Le gouvernement libéral de Kathleen Wynne pourrait étendre la vente de bière – y compris la bière artisanale – ainsi que certains vins locaux et étrangers à quelques centaines de grands supermarchés. Ce changement, s’il se concrétise, sera l’aboutissement de trois décennies de promesses politiques.
La proposition viendrait d’abord d’un panel d’experts sur l’avenir de certains biens publics de l’Ontario, avec à sa tête l’économiste de renom Ed Clark, pour se retrouver dans le prochain budget provincial, selon ce qu’a rapporté le Toronto Star, le vendredi 13 mars.
Une telle modernisation du marché de l’alcool viendrait casser le quasi-monopole sur la bière dont les trois grands brasseurs internationaux à l’origine du Beer Store ont hérité à la fin de la prohibition en 1927. Un quasi-monopole qui est de plus en plus contesté par les consommateurs et les petits brasseurs.
Réglementation stricte
Pour l’instant, le Beer Store détient un contrôle absolu sur la vente de plus grands emballages de bière et partage avec la Régie des alcools de l’Ontario, la LCBO, le marché des emballages de six contenants ou moins. Les brasseurs artisanaux sont le plus souvent limités à vendre leurs produits à même leurs ateliers.
L’Ontario est la province où la réglementation sur la vente d’alcool est la plus stricte au pays.
« Nous avons été ouverts au sujet de nos préoccupations autour de la question de l’équité du Beer Store », a déclaré un porte-parole du ministre des Finances, Charles Sousa, dans un échange de courriels avec #ONfr. « Nous croyons qu’il y a une occasion d’améliorer la commodité du client et de nous assurer qu’il existe un large éventail de marques de bière disponibles à la population ontarienne. »
Il semble qu’Ed Clark ait poussé sa réflexion sur la vente d’alcool un peu plus loin depuis la présentation d’un rapport préliminaire, l’automne dernier. L’ex-banquier torontois recommandait à l’origine d’ouvrir les portes de la LCBO à de plus grandes quantités de bière, sans plus.
« Les attentes des consommateurs sont grandissantes », a signalé Brad Duguid, ministre du Développement économique, en marge d’un point de presse à Queen’s Park, le 13 mars. « Je pense qu’en même temps que nous travaillons avec nos partenaires du secteur privé pour nous assurer qu’ils demeurent compétitifs, nous avons aussi une obligation en tant que gouvernement de maximiser l’expérience-client là où nous avons des pouvoirs de réglementation. »
Bières artisanales
Les brasseurs artisanaux verraient aussi d’un bon œil la possibilité de vendre leurs cervoises dans les Loblaws et Sobeys, entre autres. « Comme nous l’avons souvent dit, un meilleur accès aux bières artisanales de l’Ontario accélérera notre création d’emplois et notre capacité à solidifier l’établissement de brasseries artisanales à travers la province », a fait savoir John Hay, président de l’Ontario Craft Brewers.
La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) déplore, par contre, qu’on ait soustrait de l’équation les petits commerces comme les dépanneurs. « Le fait d’inviter quelques gros joueurs de plus à la fête ne donnera pas aux Ontariens le service, la commodité et les prix justes qu’ils méritent », a plaidé le président de l’organisme, Dan Kelly, faisant référence aux grandes chaînes de supermarchés.
Du côté du Beer Store, enfin, on plaide le statu quo.
« Le Beer Store continue d’offrir une valeur énorme pour les Ontariens par un fonctionnement efficace qui permet de maintenir les prix bas, en offrant aux consommateurs un large choix de marques, en étant ouvert à tous les brasseurs, en vendant la bière de façon responsable et en gérant un programme de recyclage de classe mondiale », a insisté Jeff Newton, président du consortium Canada’s National Brewers.
L’entreprise sous le contrôle des brasseries Molson, Labatt et Sleeman n’a pas voulu commenter davantage parce qu’elle a participé aux consultations d’Ed Clark et qu’elle est soumise pour cette raison à un accord de non-divulgation.
Le panel d’Ed Clark doit déposer un rapport final sur la modernisation du marché de l’alcool – de même que l’« optimisation » d’Hydro One et de l’Ontario Power Generation – dans les semaines qui précéderont le dépôt du prochain budget de la province, ce printemps.