Analyse : sur une trajectoire de collision
[ANALYSE]
TORONTO – L’aube. Quelques notes de piano. Un chef au pas de course. Il y a de frappantes similitudes entre la stratégie publicitaire du gouvernement libéral de l’Ontario et celle de l’opposition progressiste-conservatrice. Mais il ne faut pas se leurrer. La coïncidence n’a jamais fait partie du lexique politique.
FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
fpdufault@tfo.org | @fpdufault
Les deux principaux leaders à Queen’s Park sont certes agiles dans leurs espadrilles. Kathleen Wynne, 62 ans, court cinq kilomètres en moins d’une demi-heure. Patrick Brown, 37 ans, complète le demi-marathon en moins d’une heure trente. Ça se vend bien.
Mais la ressemblance va au-delà des clichés publicitaires. Les deux rivaux partagent aussi le même style pratique et pragmatique. Ils mesurent d’un même œil calculateur chacune de leurs paroles et chacun de leurs gestes. lls esquivent avec à peu près le même verbillage les questions embarrassantes.
Ce rapprochement entre Mme Wynne et M. Brown risque d’être d’autant plus observable à la rentrée parlementaire d’automne, le lundi 14 septembre, lorsque les deux politiciens se retrouveront face à face pour la première fois dans la Législature.
Et pour cause…
Longtemps ancrés à droite, les progressistes-conservateurs de M. Brown savent qu’ils doivent ratisser plus au centre de l’échiquier politique s’ils veulent avoir une chance honnête de remporter les prochaines élections provinciales.
Élus avec un programme de gauche, l’an dernier, les libéraux de Mme Wynne ont vite amorcé un virage à droite avec, comme principal chantier, la privatisation jusqu’à 60% de la société de distribution et de transmission d’électricité Hydro One.
Stratégie électorale
Ce qui fait que les chefs des deux principales formations à Queen’s Park se retrouvent aujourd’hui sur une trajectoire de collision.
Pour M. Brown, qui est chef du Parti PC depuis mai et qui demeure relativement méconnu des Ontariens, il y a un avantage certain à converger dans l’axe des libéraux. Le jeune loup pourrait se positionner juste au bon endroit pour le prochain scrutin, en 2018, s’il fait le pari que les électeurs en auront eu assez du gouvernement sortant mais qu’ils seront à la recherche d’une alternative plus ou moins dans le même registre.
Pour Mme Wynne, il y a un danger certain à laisser son nouveau rival lui souffler dans le dos.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les libéraux s’acharnent tant à dépeindre le chef progressiste-conservateur comme un personnage de la droite radicale, répétant à qui veut bien l’entendre ses prises de position contre l’avortement et les mariages de même sexe alors qu’il était député fédéral.
Ce n’est pas un hasard, non plus, si la première ministre s’est remise à l’usage du français dans les médias sociaux peu après que son adversaire, plus bilingue qu’elle, se soit hissé aux commandes de l’opposition officielle.
Le prochain marathon électoral est bel et bien commencé.
Et cette image du chef au pas de course se révèlera peut-être plus prophétique qu’on le pense.
Mais à force de courir après les mêmes électeurs, Kathleen Wynne et Patrick Brown pourrait sans le vouloir céder du terrain à Andrea Horwath et ses néo-démocrates. La chef de la deuxième opposition à Queen’s Park ne court pas. Mais avec un peu d’aide de ses cousins fédéraux et un bon programme, elle pourrait donner raison à la vieille fable : « rien de sert de courir, il faut partir à point. »