Aucune information en français sur des produits sanitaires et plaintes inefficaces
OTTAWA – Huit plaintes ont été adressées à Santé Canada pour un manque d’accès à l’information en français sur des produits sanitaires depuis le début de la pandémie. Un nombre négligeable, mais qui cache une démarche difficile et peu efficace, selon une expérience rapportée à ONFR+.
C’est en faisant son épicerie que Martin Normand, politologue à l’Université d’Ottawa et spécialiste des enjeux linguistiques, a pu évaluer l’alternative proposée par Santé Canada à son assouplissement des règles d’étiquetage bilingue pour des produits désinfectants, d’entretien et antisceptiques.
« Dans une grande surface, j’ai vu un grand étalage de produits désinfectants pour les mains étiquetés juste en anglais, ce qui est permis par la dérogation de Santé Canada. Mais il n’y avait aucune information pour dire où trouver l’information en français », explique le citoyen de la Rive-Sud de Montréal.
C’est pourtant la solution qu’avait proposé Santé Canada pour éteindre la controverse née de son autorisation de vendre des produits étiquetés uniquement en anglais à travers le Canada afin de répondre à la demande croissante née de la crise de la COVID-19.
Dès juin, toutes les entreprises étrangères qui vendaient des désinfectants ou des produits d’entretien ménager ou de nettoyage sur les lieux de travail au Canada « devaient afficher le texte bilingue de l’étiquette sur leur site web et en avertir les utilisateurs au moyen d’autocollants, d’affiches ou de dépliants au point de vente ou lors des livraisons ».
Difficile de porter plainte et délais très longs
Mais très vite, M. Normand a constaté la difficulté de signaler le problème.
« J’ai contacté le Commissariat aux langues officielles qui ne pouvait pas intervenir, car cette directive est hors de sa portée, les détaillants et les fabricants n’étant pas soumis à la Loi sur les langues officielles. Je me suis donc tourné vers Santé Canada. Mais en me rendant sur leur site internet, c’était très difficile de savoir quel département contacter et comment porter plainte. »
Après plusieurs jours de recherche, il a fini par y parvenir. Mais une fois sa plainte déposée, plus de nouvelles. Ce sera finalement un mois et demi plus tard qu’il obtiendra un accusé de réception. Sa demande de suivi restera, quant à elle, sans réponse pendant presque deux mois.
Toujours rien deux mois plus tard
Dans un échange de courriels avec ONFR+, le ministère explique que les dossiers sont traités selon le risque posé au public. Santé Canada précise qu’en cas de manquements, plusieurs actions sont possibles allant de l’inspection des lieux, aux lettres réglementaires, rappels, communications publiques voir même, saisies de produits.
Mais dans le cas de M. Normand, deux mois après avoir signalé le problème, le produit trône encore fièrement en tête de gondole au même endroit où il l’avait vu la première fois et toujours sans aucune correction.
« Je doutais de ce règlement dès le départ. Je lui trouvais trop de portes de sortie. J’en ai la preuve aujourd’hui. Il est très facile de ne pas le respecter », estime le chercheur universitaire. « Ça a pris beaucoup de démarches pour porter plainte et finalement, ça ne donne rien. »
Huit plaintes à travers le Canada
D’autres citoyens auront-ils la même persévérance face à un mécanisme de plainte « qui ne fonctionne pas », s’interroge-t-il?
Santé Canada indique avoir ouvert seulement huit dossiers concernant des problèmes d’étiquetage bilingue de désinfectants pour les mains. Des plaintes provenant de l’Alberta, du Québec et de l’Ontario.
« Deux dossiers sont clos après que Santé Canada a envoyé des lettres de conformité et travaillé avec les entreprises pour atténuer les risques et s’assurer que les exigences étaient respectées. Les autres dossiers sont toujours en cours et Santé Canada assure un suivi pour vérifier s’il y a eu des cas de non-conformité », explique le ministère dans un échange de courriels avec ONFR+.
L’institution fédérale insiste sur l’importance de « faciliter l’accès aux produits nécessaires pour ralentir la propagation de la COVID-19 ».
Plaintes contre le gouvernement
Ce faible nombre de plaintes pourrait être la preuve que les problèmes sont rares, mais il pourrait aussi résulter de la difficulté de signaler les problèmes.
Toujours est-il que les deux arrêtés d’urgence signés par la ministre de la Santé, Patty Hajdu, permettant la vente de produits sanitaires étiquetés en anglais seulement, sont dans la mire du Commissariat aux langues officielles. Une enquête est en cours après que le Commissariat a reçu huit plaintes sur le sujet.
« Plusieurs commentaires concernant l’assouplissement des restrictions de Santé Canada sur l’étiquetage bilingue des produits ont été reçus dans le cadre du questionnaire préparé par le Commissariat pour prendre le pouls du public au sujet des langues officielles durant les situations d’urgence », ajoute l’équipe de Raymond Théberge.
Le commissaire se dit « préoccupé par ce qu’il a pu constater au fil des situations d’urgence ».
Il publiera un rapport spécifique sur la crise sanitaire et d’autres situations d’urgence cet automne, dont la date n’a pas encore été déterminée.