Façade de l'ancien Grand Séminaire d'Ottawa avec sa tour-rotonde si singulière. Bâtiment construit en 1957 selon les plans de l'architecte franco-ontarien Auguste Martineau. Crédit image: Marthe Séguin, 2021

OTTAWA – La paisible place Kilborn est appelée à changer d’apparence si les différents projets en préparation se matérialisent. Deux bâtiments, l’un en face de l’autre, datant de la même époque et unis par le même style architectural, connaîtraient deux sorts différents. Une tendance lourde qui va en s’accélérant pour le patrimoine bâti religieux franco-ontarien. De plus, peu se douteraient qu’au-delà de leur côté fonctionnaliste, ces deux bâtiments représentent le duel que se livrèrent les deux des plus prolifiques architectes franco-ontariens du XXe siècle de notre histoire institutionnelle.

On apprenait récemment dans une dépêche que « la Ville d’Ottawa souhaite transformer un ancien séminaire en logements supervisés ».

Précisons d’emblée que le bâtiment situé sur la place Kilborn dans le quartier Alta Vista n’était pas qu’un « séminaire » parmi tant d’autres. Il s’agissait de l’ancien Grand Séminaire d’Ottawa. Nuance.

Le Grand Séminaire Saint-Thomas d’Aquin (communément connu sous le nom « Grand Séminaire d’Ottawa ») était le lieu de formation bilingue des prêtres diocésains de l’archidiocèse d’Ottawa. Le bâtiment a été construit en 1957 selon les plans de l’architecte franco-ontarien Auguste Martineau (1907-1985).

De facture résolument fonctionnaliste, le bâtiment de briques jaunes se distingue par sa grande tour-rotonde et ses formes symétriques et répétitives, sans ornementation, sur un terrain d’une superficie totale de plus de trois hectares.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, lorsque le bâtiment a ouvert ses portes en 1957, il s’agissait du premier emplacement permanent pour le Grand Séminaire d’Ottawa, fondé un siècle plus tôt… en 1856!

Après des emplacements temporaires, l’e Grand séminaire l’édifice de 1957 a été construit dans une optique plus prudente, réaliste et minimaliste que son imposant bâtiment précédent.

Le Grand Séminaire d’Ottawa en construction, en 1956. Crédit photo : BAnQ – Gatineau. Fonds Champlain-Marcil, cote : P174,S1,D10117. 

En effet, aussitôt la construction terminée en 1952 du premier bâtiment, (situé près d’Overbrook et Vanier), il s’avéra beaucoup trop grand pour les besoins de l’archidiocèse qui décida de le louer au gouvernement fédéral. On y installa le quartier général de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). En 1954, le bâtiment du Grand Séminaire (qui n’a jamais été utilisé pour des fins ecclésiastiques) fut vendu officiellement au gouvernement qui s’en porta acquéreur au coût de 5 millions de dollars. La GRC s’y trouve toujours.

Avec l’argent de la vente (qui s’avéra être un éléphant blanc), l’archidiocèse fit construire deux nouveaux séminaires : un nouveau Grand Séminaire (sur la place Kilborn, dans le sud de la ville) et un Petit Séminaire (situé sur le chemin Carson’s, dans l’est de la ville).

Alors que le grand était le lieu de formation des prêtres séculiers de l’archidiocèse, le petit quant à lui est essentiellement une école secondaire catholique privée et de langue française pour garçons où s’offrait le cours classique. L’un des rares endroits en Ontario français.

L’archidiocèse d’Ottawa fit appel au même architecte qui dessina les plans du premier bâtiment pour réaliser les deux nouveaux, c’est-à-dire, Auguste Martineau. Le dessinateur en architecture franco-ontarien Jean-George Bertrand (1924-2014) a servi comme maître d’œuvre de M. Martineau sur le chantier.

Construits avec des matériaux de compagnies de construction franco-ontariennes au coût d’1 million de dollars à la suite d’une grande campagne de souscription populaire auprès des fidèles catholiques d’Ottawa, les grand et petit séminaires furent les premières étapes du programme d’éducation du nouvel archevêque catholique d’Ottawa, Marie-Joseph Lemieux.

Coupure de presse du journal Le Droit du 5 octobre 1957, p. 7, au moment de l’inauguration du Grand séminaire d’Ottawa.

Du petit séminaire, il ne reste plus rien hormis l’ancienne chapelle (convertie en auditorium) et le campanile. Son site est occupé depuis 1995 par la Cité collégiale.

En contrepartie, l’apparence de l’ancien Grand Séminaire d’Ottawa (qui a fermé ses portes en 1969), n’a pratiquement pas changé même s’il ne sert plus à la formation des prêtres depuis plus de 50 ans.

Au moment de sa fermeture, le bâtiment fut un temps loué à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, puis est devenu le Centre diocésain où se situaient les bureaux de l’archidiocèse. Des prêtres à la retraite y habitaient également, divers organismes sans but lucratif y élirent domicile et les archives de l’archidiocèse y étaient entreposées.

Chris Wiebe, le gestionnaire des politiques du patrimoine et des relations gouvernementales à la Fiducie nationale, voit une ressemblance certaine entre le style du bâtiment de l’ancien Grand Séminaire d’Ottawa et celui de l’imposant reposoir au Congrès marial d’Ottawa de 1947, également dessiné par Martineau.

Néanmoins, vacant depuis décembre 2020 car jugeant que l’ancien bâtiment nécessiterait trop de rénovations, l’archidiocèse cherche à s’en départir.

Le Comité des finances et des services corporatifs de la Ville d’Ottawa doit se réunir mardi prochain, puis le conseil municipal devra approuver la transaction de 18,5 millions de dollars. Cette transaction s’inscrit dans la stratégie de la municipalité visant à offrir plus de logements supervisés de transition.

L’ancienne église Saint-Thomas-d’Aquin

Sur la même rue, juste en face, un autre bâtiment est aujourd’hui lui aussi vacant.

Il s’agit de l’ancienne église de la paroisse Saint-Thomas-d’Aquin. Plus ancienne paroisse catholique de langue française du sud d’Ottawa (1958), ses plans sont conceptualisés par le contemporain et rival d’Auguste Martineau, l’architecte franco-ontarien Jean-Serge Le Fort (1905-1982).

Si les services en architecture de M. Martineau ont souvent été retenus par l’archidiocèse d’Ottawa, c’est auprès de la congrégation religieuse des Pères Oblats de Marie Immaculée et des Filles de la Sagesse que Jean-Serge Le Fort va surtout œuvrer. Il sera même pendant une vingtaine d’années l’architecte officiel de l’Université d’Ottawa.

En 1958, au moment de l’ouverture de la nouvelle église St-Thomas d’Aquin, M. Le Fort est au sommet de sa carrière, après un lent début. Les trente glorieuses lui servent très bien et dans les années 1950, il enchaîne les différents projets : l’Hôpital Montfort (1953), l’édifice du journal Le Droit (1955-1989) et les pavillons Vanier (1954), Simard (1957) et Marion (1958) de l’Université d’Ottawa. Pour ne nommer que ceux-là.

L’ancienne église Saint-Thomas d’Aquin, de l’architecte franco-ontarien Jean-Serge Le Fort, qui sera vraisemblablement démolie. Crédit image : Google Street View, 2023.

La paroisse St-Thomas d’Aquin, fondée en 1886, a cessé d’exister pendant la pandémie en 2020. Ses paroissiens ont été invités à fréquenter les paroisses Nativité-de-Notre-Seigneur-Jésus-Christ et Ste-Geneviève avec qui elles formaient une unité paroissiale, appelée Paul VI.

Un temps envisagé pour y loger les archives et bureaux de l’archidiocèse (lesquels sont dorénavant dans des locaux loués à Cyrville), il semble que les jours sont comptés pour l’ancienne église.

En effet, en juin dernier, le conseil municipal a approuvé le changement de zonage du terrain pour permettre la construction d’un immeuble de faible hauteur à usage mixte. En consultant les plans, on y aperçoit plutôt deux bâtiments ainsi qu’un parc aménagé sur le site même… de l’ancienne église!

On en déduit donc que l’église sera démolie. Même si ce ne fut pas explicitement évoqué encore. Vous l’apprenez donc ici en primeur car en regardant attentivement les plans, ils ne laissent aucun doute.

D’autres démolitions à venir?

Ce qui attend l’ancien Grand séminaire d’Ottawa et l’ancienne église St-Thomas-d’Aquin, deux bâtiments au même style architectural mais dessinés par les deux plus grands architectes rivaux franco-ontariens du XXe siècle, ne sont que les plus récents développements d’une longue lignée d’anciens bâtiments religieux dont l’avenir est appelé à changer, à Ottawa.

Le Collège Domicain (1900, Georges Bouillon) est à vendre tout comme la Maison Notre-Dame-de-la-Providence, à Orléans, (1960, architecte inconnu).

La Maison-mère canadienne du couvent des Filles de la Sagesse (1908, Charles Brodeur, architecte) serait sur le point d’être vendue.

Le couvent Mont-Saint-Joseph (1963, Louis-J. Lapierre, architecte), qui fut une ancienne école secondaire catholique privée de langue française pour filles, a récemment été vendu.

Vendu et vacant depuis 2016, l’ancien couvent des Sœurs du Sacré-Cœur-de-Jésus (1902, divers architectes dont Lucien Leblanc), devait être démoli mais un changement de plan est survenu. Son allure architecturale est plutôt appelée à changer drastiquement.

Avenir incertain pour l’édifice Deschâtelets (l’ancien Scolasticat St-Joseph, 1885, Albert Mesnard, architecte avec agrandissements en 1926 de Donat-Arthur Gascon et Louis Parant. Pourtant aussi désignée, la chapelle de 1950 de l’architecte Louis-J. Lapierre a été démolie, à la suite d’une dérogation).

Les trois plus grands architectes franco-ontariens de l’institutionnel du XXe siècle réunis en 1963 : de gauche à droite : Auguste Martineau (1907-1985), Jean-Serge Le Fort (1905-1982) et Roger Thibault (1927-2019). Ils ont tous contribués à la construction sur la place Kilborn du Grand séminaire d’Ottawa et de l’église St-Thomas-d’Aquin. Crédit photo : Université d’Ottawa – CRCCF, Centre de recherche sur les francophonies canadiennes. 

D’autres fermetures de paroisses comme à St-Thomas-d’Aquin ne serait pas surprenantes.

Si nous ne pouvons jamais nous réjouir de voir bientôt disparaître un bâtiment de l’architecture franco-ontarienne et puisque ni l’ancienne église, ni l’ancien Grand séminaire sont désignés en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario et ne se trouvent même pas sur le registre du patrimoine de la ville, je propose deux solutions concrètes qui pourraient servir comme un baume sur la plaie.

La première : que le parc qui sera aménagé sur le site de l’ancienne église porte le nom de St-Thomas-d’Aquin, en l’honneur de la paroisse disparue et de l’ancien Grand séminaire d’Ottawa. D’autant plus qu’une école élémentaire catholique de langue française éponyme se trouvait sur la même rue mais qu’elle fut fermée vers 1972 et démolie.

La seconde serait de désigner sans tarder en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario, les églises la Nativité-de-Notre-Seigneur-Jésus-Christ et Ste-Geneviève.

Pour la première, la ville d’Ottawa ne tarit pas d’éloges dans son registre du patrimoine : « Cette audacieuse église paroissiale se distingue par sa spectaculaire ligne de toiture et son entrée en oblique. Grâce aux lignes verticales épurées et aux motifs géométriques, le bâtiment s’élance vers le ciel. »

L’église Ste-Geneviève (1965). Une église sur le registre du patrimoine de la ville d’Ottawa. Crédit photo : Google Street View, 2020. 

Les plans de cette église (1960), fondée à l’instigation de l’Ordre de Jacques-Cartier, ont été dessinés par l’architecte franco-ontarien Roger Thibault (1927-2019). Paroissien de cette église, Thibault avait fait sa cléricature en architecture auprès de Jean-Serge Le Fort, qu’il connaissait depuis l’enfance, ayant grandi sur la même rue dans la Côte-de-Sable d’Ottawa. D’ailleurs, au crépuscule de sa vie (en 2016), Thibault me racontait avoir dessiné les plans de l’église St-Thomas-d’Aquin! Le monde est petit, surtout en Ontario français…

Quant à l’église Ste-Geneviève (1965), officiellement elle est de Jean-Serge Le Fort dans un style éclaté qu’on ne lui connaît pas. La tradition orale l’attribue plutôt à Gérard Sincennes (1926-2005), un paroissien.

Quoiqu’il en soit, la grande valeur architecturale qu’elle représente pour le patrimoine moderne n’a pas échappé non plus au registre du patrimoine de la Ville d’Ottawa.

Une église démolie mais deux autres désignées en vertu de la Loi du patrimoine. Un compromis.