Brandie Wilkerson est arrivée sur la tard au volleyball de plage mais a connu une ascension fulgurante dans le sport jusqu'à devenir la meilleure contreuse au monde. Photo: Felipe Dana/AP photo

[LA RENCONTRE D’ONFR]

TORONTO – Brandie Wilkerson raconte comment son parcours de vie, sa famille, son muticulturalisme et sa rencontre avec Melissa Humaña-Paredes ont fait d’elle la championne de volleyball de plage qu’elle est devenue aujourd’hui.

Que représente la Suisse, votre pays de naissance pour vous, et avez-vous des souvenirs marquants de votre enfance en Europe? 

Mon principal souvenir c’est toute la nourriture, le chocolat, les choses comme ça. Le pain! Cela me manque beaucoup. Toute ma famille est encore là-bas, donc c’est un endroit spécial pour moi, car c’est là où aujourd’hui je passe le temps avec ma famille et où je peux pratiquer mon français. Que ce soit à Toronto ou à Los Angeles, je ne parle jamais français.

Les souvenirs que j’ai de la Suisse, c’est aussi mon père qui jouait au basket. Je me rappelle que j’allais voir tous ses matchs. Ceux de mon frère également, par la suite. J’ai l’opportunité d’y aller au moins une fois par an car nous avons un tournoi à Gstaad. C’est génial car ma famille peut venir me voir jouer. 

Oh! Il y aussi les montagnes qui sont très très belles! 

Comment avez-vous vécu par la suite votre arrivée au Canada? 

Quand nous sommes arrivés au Canada, j’avais seulement six ou sept ans et je ne parlais pas anglais. Quand j’ai commencé l’école, je me souviens que je regardais les affiches sur les murs et il y avait des dessins, des mots et je ne comprenais pas ce qui se passait. Je me suis demandé ‘Est-ce que je suis censée savoir ça?’ (rires). Bien sûr, depuis, ça a beaucoup changé, je parle le plus souvent en anglais.

On est arrivé à Rexdale, c’est un endroit à Toronto où il n’y avait pas grand chose à faire. C’était dur pour ma famille. Nous n’avions pas grand chose, pas beaucoup d’argent, pas d’ami. C’était difficile de commencer une autre vie dans cette situation.

Mais, au fil du temps, nous nous sommes fait plein d’amis de différentes cultures. J’ai beaucoup appris. Une chose comme le sport m’a beaucoup aidée.

Brandie Wilkerson et son père lors d’un match de basketball. Photo : gracieuseté de Brandie Wilkerson

Vous avez débuté le volleyball à 17 ans. Quelles étaient vos aspirations avant de vous lancer dans ce sport? 

J’aime beaucoup l’art, le dessin. Je pensais que j’allais faire quelque chose dans la mode ou dans la peinture. Après, j’ai toujours pratiquer beaucoup de sport. C’est quelque chose qui vient de ma famille. J’ai tout fait, du basket, du rugby – que j’adore – de l’athlétisme, du football. Tout ce que mes amis faisaient, j’allais le faire avec elles. J’ai un peu tout essayé, mais je ne pensais pas à devenir sportive professionnelle. Pas du tout.

C’était toujours l’art qui était dans ma tête. J’ai même des amis aujourd’hui qui me connaissent depuis longtemps qui sont toujours surpris que je joue au volley (rires). C’est une surprise, mais je suis très contente d’avoir réussi dans le volley. Je pense retourner à l’art quand j’aurai fini ma carrière sportive. 

Comment vous est venue la passion pour le volley de plage? Avez-vous dû faire un choix à un moment entre le volley en salle et de plage? 

J’ai commencé avec le volley en salle vers 17-18 ans, lorsque j’étais à l’Université de York. J’ai intégré l’équipe universitaire sans être recrutée et j’ai connu une très bonne première année. Je me suis dit que je pouvais vraiment jouer au volley. Quelques années plus tard, j’ai eu un petit ami qui jouait au volley de plage pour l’équipe du Canada. C’est lui qui m’a dit d’essayer. Il m’a aidée à obtenir un essai avec l’équipe nationale, qui est très proche de l’Université de York. À 21 ans, j’ai commencé avec l’équipe nationale. Ça a été plus simple de me faire une place car, à cette époque, il n’y avait pas vraiment de contreuse. Ils recherchaient ce profil et j’ai trouvé ça très intéressant. Cet aspect du jeu m’a vite intéressée. 

Vous rappelez-vous de vos débuts?

Oui, mon premier tournoi avec la sélection nationale, c’était à Sainte-Lucie. Là-bas c’était trop beau! Nous avons joué contre le Mexique et j’ai affronté la fille la plus grande que je n’avais jamais vue. On a gagné et c’est là que je me suis dit que j’avais une chance dans ce sport. Au départ, j’ai participé à de petits tournois, puis ça a grandi jusqu’à être suppléante aux Jeux olympiques de Rio. J’ai pu voir ce dont j’avais besoin pour devenir une vraie olympienne. 

Brandie Wilkerson a terminé cinquième avec sa coéquipière Heather Bansley aux Jeux olympiques de Tokyo. Les deux partenaires ont évolué ensemble pendant 5 ans. Photo : Petros Giannakouris/AP Photo

Aujourd’hui, vous êtes considérée comme la meilleure contreuse au monde. Est-ce un talent inné dû à vos qualités athlétiques et votre sens du timing ou est-ce que beaucoup de travail a été nécessaire pour atteindre ce niveau?

Je pense que ce sont les deux. Il y a des choses qui viennent naturellement chez moi comme l’agressivité, l’intuition et le timing. Cela est dû à mes qualités athlétiques, mais aussi les choses que j’ai apprises dans les autres sports. D’un autre côté, il y a beaucoup de choses que tu dois faire et travailler d’un point de vue technique et stratégique. Pour cela, j’ai beaucoup appris de différents entraîneurs.

Je regarde aussi beaucoup comment jouent les hommes, parce que je veux changer la façon dont les femmes jouent sur cette position. Habituellement, ce n’est pas une force qu’on prête aux femmes, mais je pense que nous avons plein d’opportunités pour être créatives, agressives et grandes au filet. J’ai aussi la chance d’avoir des entraîneurs qui croient beaucoup en moi par rapport à cela. 

Vos deux parents sont des sportifs de haut niveau. Comment vous ont-ils influencée dans votre carrière? 

Je crois qu’ils ne m’ont pas influencée de manière typique, car ils m’ont vraiment laissé faire ce que je voulais. Ils ne m’ont jamais dit que je devais faire du sport. Avec cette liberté, j’ai pu choisir la façon dont je voulais jouer. Ils m’ont toujours encouragée à me concentrer sur ma vie en dehors du sport. Je pense qu’il y a un lien entre les deux, une connexion, qui m’a permis d’être une bonne personne et une bonne coéquipière, d’affronter les difficultés avec de la joie. C’est comme ça qu’on m’a appris à faire de grandes choses et à être une leader par l’exemple. Ce sont leurs conseils de vie en générale qui m’aident beaucoup dans le sport. 

Est-ce qu’ils vous ont guidé en termes d’éthique de travail?

Oui, mais je pense que j’ai beaucoup appris en arrivant au Canada. Commencer une nouvelle vie en tant qu’immigrante, c’est dur. Il y a des choses auxquelles tu n’as pas accès, et d’autres que tu dois faire qui sont difficiles. Tu ne dois pas avoir peur d’apprendre une nouvelle langue, une nouvelle culture. C’est ma vie qui a fait que j’ai dû être quelqu’un qui doit savoir s’adapter. J’ai une grande famille, nous sommes quatre enfants, j’ai deux frères et une sœur que je garde proche de moi dans ma vie. En étant la grande sœur, j’ai dû apprendre à être une leader. Ce sont vraiment les choses de notre vie, de notre culture, la famille, des décisions à prendre chaque jour, tout ça m’a façonnée et je l’utilise dans le sport. 

Quelles forces tirez-vous de votre triple culture suisse, américaine et canadienne?

Je tire des forces des trois. Le Canada m’a apporté la gentillesse, l’intelligence, la modestie. Il y a un mot que j’ai appris ici et qui est très canadien c’est la ténacité (grit en anglais). Ça c’est très canadien pour moi. Ensuite, le côté américain c’est l’agressivité, la confiance, mon père est comme ça, il a un gros caractère, une forte personnalité. En étant métisse, j’ai hérité de cette culture noire, nous sommes très cools et capables de faire plein de choses, même en n’ayant pas beaucoup. Enfin, le côté suisse c’est une certaine classe, de la finesse, une belle culture européenne que j’adore. Par exemple, on mange avec certaines manières comme ça (rires). J’adore les trois cultures et j’ai besoin des trois. 

Avant les Jeux olympiques en 2024, Brandie Wilkerson et Melissa Humaña-Paredes avaient remporté la médaille d’argent aux Jeux panaméricains en 2023, où elles avaient eu l’honneur d’être porte-drapeau. Photo : Frank Gunn/ La Presse Canadienne

Avez-vous eu à un moment des appels du pied des États-Unis ou de la Suisse pour les représenter? 

Oui, les deux m’ont appelée pour que je joue pour eux, mais j’ai choisi le Canada car j’ai vu une belle opportunité pour faire grandir le sport ici et démontrer qu’on n’est pas seulement un pays de sports d’hiver. On peut être les meilleurs du monde au volley de plage. Il y a plein d’autres histoires, d’autres personnes, de gens qui veulent essayer autre chose, nous n’avons pas tous grandi avec le hockey et tout ça. Il y a tellement d’histoires au Canada, c’est pour cela que j’adore ce pays. C’est aussi pour ça que je veux aider, pour inspirer les jeunes à essayer quelque chose d’autre. 

Comment s’est formé le duo avec Melissa Humaña-Paredes en 2022?

Ça a été une décision difficile de changer de partenaire, parce qu’avec ma coéquipière précédente Sophie (Bukovec), on venait juste de gagner une médaille d’argent aux Championnats du monde. On formait une équipe forte, mais je crois qu’il y avait toujours la possibilité et l’envie de jouer avec Melissa. On se connaissait depuis longtemps. Il n’y avait pas eu de moment parfait pour se retrouver et se mettre en équipe jusque-là.

Lorsqu’elle a quitté sa partenaire, il y eu cette opportunité et c’était deux ans avant les JO, nous avons pensé que c’était suffisamment de temps pour se préparer à gagner les Jeux. Je savais que je pouvais me qualifier avec mon ancienne partenaire, mais l’objectif était de les remporter. J’avais besoin de quelqu’un qui avait l’expérience, qui était déjà allée aux JO, qui jouait depuis longtemps. Melissa est en plus parmi les meilleures défenseure du monde, donc je voulais voir ce qu’on pouvait faire ensemble. On avait toutes les deux fini cinquièmes aux Jeux précédents et je crois que toutes les deux, on voulait plus! 

Avez-vous senti dès le départ une bonne alchimie entre vous? 

Oui, un petit peu. C’était facile dans les premiers tournois parce qu’on était excitées, c’était comme une phase de lune de miel. Et on se connaissait depuis dix ans. Mais, après un certain temps, nous avons dû essayer de trouver notre style de jeu, nos propres tactiques. Nous avions aussi commencé avec un nouvel entraîneur. Nous devions tous les trois découvrir les personnalités de chacun, comment chacun jouait. Melissa jouait un style de jeu totalement différent avec sa partenaire précédente et moi aussi. On s’est mise ensemble pour créer quelque chose de nouveau et différent. Ça a pris du temps. J’ai aussi appris des nouvelles compétences que je n’utilisais pas avant. Au début, il y a des choses qui ne marchaient pas, c’était de l’apprentissage et ça a pris du temps. 

Brandie Wilkerson et Melissa Humaña-Paredes avec la médaille d’argent au cou à Paris. Photo : Leah Hennel/COC

Malgré tout, après seulement deux ans ensemble, vous avez réussi à aller jusqu’en finale des Jeux olympiques...

Oui c’est une grande fierté d’avoir fait ça en deux ans. Maintenant, je veux voir ce qu’on va être capable de faire en quatre ans pour les Jeux de Los Angeles. 

Pour finir, quels sont les meilleurs souvenirs de votre carrière en dehors de cette médaille olympique à Paris

Bien sûr, il y a la médaille d’or que nous avons gagnée avec Melissa à Montréal, l’année passée. C’était notre première médaille d’or à l’Élite 16. Le fait de gagner au Canada avec nos familles présentes et de fêter la victoire avec tous les Canadiens, c’était vraiment spécial. C’était un beau tournoi. Un autre souvenir que j’ai, c’est la première fois que j’ai reçu le titre de meilleure contreuse du monde, c’était comme la validation d’un des buts que j’avais fixés pour moi, mais aussi une validation par mes pairs qui ont montré qu’ils croyaient en moi. C’était important pour moi de gagner le respect et la reconnaissance des autres joueurs, parce que, moi, je les respecte beaucoup et j’ai beaucoup appris des autres. 


1992 : Naissance à Lausanne (Suisse), d’un père basketteur et d’une mère coureuse de fond

1999 : Arrivée au Canada, du côté de Toronto.

2009 : Premiers pas dans le volley en salle avec l’Université de York

2013 : Débuts dans le volley de plage avec sa première coèquipière Claudia Séguin

2016-2021 : En duo avec Heather Bansley avec qui elle terminera cinquième aux Jeux olympiques de Tokyo.

2022 : Formation du duo avec Melissa Humaña-Paredes son ancienne coéquipière à l’Université de York

2024 : Médaillée d’argent aux Jeux olympiques de Paris

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario, au Canada et à l’étranger.