Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, place à la littérature avec l’autrice Monia Mazigh.

[CHRONIQUE]

Dans son plus récent roman, Les départs, publié aux Éditions David, Clara Lagacé raconte la vie de Catherine. L’histoire d’une femme mue par le désir de partir. Une histoire à la fois originale et commune. Une histoire surprenante mais combien connue, surtout quand on est une femme et surtout quand on appartient à une lignée de femmes qui ont toujours combattu pour survivre.

Catherine, l’héroïne du roman est une fillette qui est née dans un quartier pauvre de Londres dévasté par la Seconde Guerre mondiale et le temps maussade. Quoi de nouveau dirions-nous quand on a déjà lu l’histoire emblématique de David Copperfield, écrite par l’auteur britannique Charles Dickens.

La misère, la pauvreté, le travail des enfants, l’abus qu’ils subissent par les adultes et la révolution industrielle qui prend d’assaut les corps et les âmes, en plus du temps gris et pluvieux qui ne cesse d’envelopper la ville et les gens. Mais malgré ces quelques ressemblances, la Catherine du vingtième siècle n’est pas le David du 19e siècle et les effets de la guerre sont encore plus profonds que les bouleversements sociaux engendrés par la révolution industrielle.

Catherine est envoyée dans une famille qui s’occupe d’elle alors que sa mère continue son travail dans la filature. Elle grandit entourée de petites filles comme elle qui veulent être belles et attirer le regard des jeunes hommes. La pauvreté et les normes sociales rigides ne les aident pas dans leur mission. Elles accumulent les échecs et les déceptions.

Mais ce qui distingue le sort de Catherine des autres filles, c’est l’admiration, pratiquement l’obsession, que voue sa mère à Rosa Luxemburg. Cette révolutionnaire allemande juive d’origine polonaise est devenue le phare dans l’obscurité dans laquelle baignaient plusieurs de ces femmes y compris Catherine et sa mère.

Rosa Luxembourg, par son courage, sa persévérance et surtout ses idées révolutionnaires, est devenue une bouée de sauvetage pour la mère de Catherine et par extension sa fille. En effet, Rosa représente ce symbole de résistance et de résilience pour la mère de Catherine et pour Catherine elle-même qui malgré ses différences avec sa propre mère y voit aussi le reflet de sa propre vie.

Quand Catherine décide de laisser tomber Londres pour le Nouveau Monde, sa mère accepte ce départ malgré son amour maternel qui voudrait la garder près d’elle. Catherine, qui initialement voulait partir à New York, se retrouve à Montréal, une ville qui se construit avec les restants d’un passé européen. Une ville qui à la fois la fascine et la rebiffe. Une ville dont elle ne parle ni la langue, ni comprend les traditions et les coutumes héritées d’une France ennemie éternelle de cette Angleterre qu’elle a quittée.

Il y aura toujours une femme, à l’image de sa mère ou de son idole, Rosa Luxembourg, qui lui tendra la main, pour l’aider à se frayer un chemin dans ce nouveau pays.

Départs au pluriels

Dans ce roman, où la mélancolie flirte avec l’optimisme, Clara Lagacé nous parle de départs au pluriels, ces départs physiques d’un lieu vers un autre mais également d’autres types de départ qui se succèdent dans nos vies : l’enfance, l’adolescence, les amours, les rencontres et la mort… Nos vies ne sont-elles pas une succession de départs douloureux, joyeux, confus, furtifs et éternels.

L’autrice raconte aussi l’histoire de ce Québec où la langue est une question de survie mais où Catherine, l’Anglaise, arrive à pénétrer ce cercle tissé fermé malgré sa différence ou sa froideur, selon certaines. Ce Québec dont le nationalisme bourgeonnant ajoute aux douleurs du départ ressenties par celles qui déposent leurs valises.

Je me rappelle encore ces années où j’ai moi-même déposé mes valises sur cette terre montréalaise. Maintes fois j’ai voulu faire marche arrière et rentrer au bled. Oublier les départs et continuer mon ancienne vie normalement. Comme si rien n’avait changé comme l’ont fait mes ancêtres. Comme l’a fait la mère de Catherine. Pourquoi affronter les dangers et les défis au lieu de rester parmi les siens et faire comme les autres. Pourquoi chercher la guerre alors que la paix est à bout de bras?

Pour Catherine, c’est l’appel de la liberté qui l’a menée aux rives du Saint-Laurent. C’est un peu ce désir inassouvi prodigué par Rosa Luxemburg à travers sa mère, qui la guidera et ne la lâchera jamais même lorsqu’elle trouvera un semblant de tranquillité au Canada.

Pour moi, ce sont les études d’abord et plus tard ce besoin de liberté qui me mèneront vers ce nouveau pays. Ma Rosa Luxemburg à moi, ce seront mes idéaux personnels de justice sociale et d’égalité. Trouver une terre d’accueil pour les vivre en toute liberté sera mon leitmotiv pour accepter ces départs.

Quand une histoire d’immigration personnelle devient universelle

Mme Lagacé a pu transformer une histoire d’immigration personnelle en une histoire universelle. Une histoire où plusieurs vont s’y voir et même s’identifier. Une histoire où notre soif de liberté nous accompagne dans des zones de danger. Des zones où on apprend à mieux se comprendre et à mieux apprécier les siens. Des zones qui nous font mal mais que nous aimons toujours visiter, revisiter et même toucher, au risque de nous faire mal ou disparaître.

Récemment, une cousine m’a dit que les départs étaient tristes. J’ai acquiescé mais je lui ai rappelé qu’après les départs il y a toujours les arrivées qui sont souvent joyeuses et festives. Nous avons tous besoin de départ pour apprécier l’arrivée. Un peu comme le bien et le mal, la maladie et la santé. Toujours une chose et son contraire.

Les douleurs de la naissance et les joies d’avoir un enfant. Le jour qui nous éblouit par ses lumières et la nuit qui nous angoisse par son silence et sa solitude.

Clara Lagacé et son héroïne Catherine nous rappellent subtilement et en filigrane ces concepts de base que nous oublions quand on est entouré d’histoires et de « reels » où c’est toujours le bonheur superficiel qui est mis en avant pour cacher la réalité qui est remplie de départs, de larmes, de tristesse mais que nous aimons tout autant, qui remplissent nos vies et qui surtout nous donnent des histoires à lire.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.