De gauche à droite et de haut en bas: Lincoln Alexander, Harriet Tubman, Bernadette Clement, Mathieu da Costa, Viola Desmond et Firmin Monestime. Crédits image: Lincoln Alexander Centre, Creative Commons CC0 1.0 via Wikimedia, Photos.com via Getty Images Plus, Gracieuseté, BCC (Black Cultural Centre for Nova Scotia), johan10 via istock/Getty Images Plus, Musée Mattawa.

L’Ontario et le Canada ont été au centre de mutations dans la lutte pour l’égalité raciale : de l’abolition de l’esclavage en 1834, à la Racial Discrimination Act, interdisant tout symbole de discrimination raciale en 1944, quelques tournants historiques qui ont eu un impact pour la communauté noire canadienne et ontarienne. À l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs, plongée dans le passé avec la (re)découverte de ces « premières fois » emblématiques, incarnées par ces pionniers et leaders noirs du 17e siècle jusqu’à nos jours.

Harriet Tubman : première fuite des esclaves noirs des États-Unis vers le Canada

Figure emblématique du chemin de fer clandestin, réseau secret d’abolitionnistes reliant les États-Unis au Canada, Harriet Tubman permet la libération de centaines d’esclaves afro-américains.

Entre 1851 et 1861, elle conduit de nombreuses expéditions via le pont ferroviaire suspendu de Whirlpool Rapids, à proximité des chutes du Niagara.

Le chemin de fer clandestin était le plus important mouvement antiesclavagiste pour la liberté d’Amérique du Nord. Entre 30 000 et 40 000 fugitifs y ont trouvé refuge.

Née esclave dans une plantation du Maryland, séparée de sa famille à l’âge de 6 ans, Harriet Tubman fuit une vie de maltraitance à l’âge de 27 ans et arrive en 1856 au Canada, où l’esclavage est aboli depuis 1834.

Après une vie de lutte pour la liberté, l’égalité et le vote universel, elle décède à New York le 10 mars 1913. Cette journée est déclarée journée Harriet Tubman en 1990 aux États-Unis et à St. Catharines où elle a résidé en Ontario, en l’honneur de son courage, de ses efforts humanitaires, de son héroïsme.

En 2005, elle est reconnue comme personne d’importance historique par le gouvernement canadien. Elle devient en 2020 la première femme noire à figurer sur un billet de banque américain.

Le 2 juin 2017, la Commission des parcs du Niagara inaugure deux panneaux dans les deux langues officielles honorant la vie et le passage historique d’Harriet Tubman, lors d’une cérémonie à Niagara Falls.

Harriet Tubman, abolutionniste connu pour son engagement dans le chemin de fer clandestin. Crédit image : Photos.com via Getty Images Plus

Mathieu da Costa, premier explorateur noir au Canada

Cet Africain polyglotte est considéré par les historiens comme le premier Noir à avoir visité le Canada, au début du 17e siècle, arrivant le long des côtes du Canada atlantique et dans la région du fleuve Saint-Laurent.

Celui-ci, qui parlait français, hollandais et portugais, a servi, en tant qu’homme libre, d’interprète pour des commerçants et des explorateurs français et hollandais.

Selon les historiens, Mathieu da Costa a ainsi accompagné Pierre Dugua de Mons et Samuel de Champlain lors d’un ou de plusieurs de leurs voyages en Acadie et dans la région du Saint-Laurent.

Pour communiquer avec les peuples autochtones d’Amérique du Nord, ceux-ci pensent qu’il aurait eu recours à un « pidgin » basque (fusion entre la langue basque et les langues locales), employé couramment lors des activités de commerce exercées dans les Amériques, puisque les Basques du nord de l’Espagne venaient fréquemment pêcher le long de la côte atlantique.

Mathieu da Costa, interprète pionnier entre les Français et les Premières Nations au 17e siècle. Source : BCC (Black Cultural Centre for Nova Scotia)

Viola Desmond, première femme noire et première femme seule sur un billet de banque canadien

Celle qui est considérée comme la Rosa Park canadienne est la première femme noire, et première femme à figurer seule, sur un billet de banque canadien. Viola Desmond est désignée personnage historique national en juillet 2017.

Célèbre pour son action contre la ségrégation raciale en Nouvelle-Écosse, elle est également la première personne à recevoir un pardon posthume au Canada.

Née en 1914 à Halifax d’une mère afro-canadienne et d’un père blanc, elle suit une formation d’esthéticienne à Montréal, après avoir été refusée à Halifax à cause de ses origines raciales. Cela la poussera à ouvrir sa propre école de beauté et d’administration des affaires, l’École Desmond, que les femmes noires de Québec, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, pourront intégrer.

En septembre 1946, alors qu’elle visite la ville de New Glasgow en Nouvelle-Écosse, elle se rend au cinéma local, le Roseland Theatre, auquel les Noirs étaient tenus de s’asseoir uniquement au balcon.

Ayant pris un siège au parterre, elle reçoit l’ordre de se déplacer, ce qu’elle refuse, presque 10 ans avant que Rosa Parks ne refuse de quitter son siège dans le bus en Alabama. Elle est alors arrêtée, emprisonnée pendant 12 heures et condamnée à payer une amende de 26 $, au motif de ne pas avoir payé la différence d’un centime de taxe provinciale entre le prix d’un billet à l’étage et celui d’un billet au parterre.

Morte en 1965, à l’âge de 50 ans, ce n’est qu’en 2010, soit 45 ans après sa mort, que la lieutenante gouverneure de la Nouvelle-Écosse lui présente des excuses à titre posthume pour cette injustice.

Un billet de 10 $ sur lequel figure le portrait de Viola Desmond, activiste pour les droits civiques en Nouvelle-Écosse. Crédit image : Johan10 via istock/Getty Images Plus

Lincoln Alexander, premier noir lieutenant-gouverneur de l’Ontario

En 1985, Lincoln Alexander est nommé 24e lieutenant-gouverneur de l’Ontario et devient ainsi le premier noir nommé à un poste vice-royal au Canada. Il est également le premier député noir à la Chambre des communes, élu en 1968 dans la circonscription de Hamilton-Ouest, ainsi que le premier Noir membre d’un cabinet fédéral, au poste de ministre du Travail (1979-1980) sous le gouvernement conservateur de Joseph Clark.

Né en 1922 à Midland en Ontario d’une famille d’origine antillaise, il grandit à Toronto puis à Harlem, New York. Il s’engage avant la seconde guerre mondiale dans l’Aviation royale canadienne.

Alors en poste à Vancouver, le tenancier d’un bar refuse de le servir à cause de la couleur de sa peau. Après avoir signalé l’incident à un officier supérieur qui refuse d’agir, M. Alexander quitte l’Aviation en 1945, avant de faire des études de droit à l’Osgoode Hall Law School.

En 2000, Lincoln Alexander est nommé président de la Fondation canadienne des relations raciales, pour laquelle il demeure porte-parole en matière de relations raciales et pour les anciens combattants.

Il décède en 2012 à Hamilton, à l’âge de 90 ans, décoré de nombreuses distinctions : membre de l’Ordre de l’Ontario, compagnon de l’Ordre du Canada, récipiendaire des médailles du jubilé d’or et de diamant d’Elisabeth II, du prix de l’Association des avocats noirs du Canada pour l’ensemble de ses réalisations et de la Décoration des Forces canadiennes.

Lincoln Alexander, 24e lieutenant-gouverneur de l’Ontario. Crédit image : Lincoln Alexander Centre, Creative Commons CC0 1.0 via Wikimedia

Firmin Monestime, premier maire noir du Canada

Ce médecin d’origine haïtienne, immigré au Canada, est élu maire de Mattawa en 1964, faisant de lui le premier maire noir du pays.

Né en 1909 à Cap-Haïtien, il choisit d’exercer la médecine rurale après des études à Port-au-Prince. Il est le seul médecin présent lors du massacre des Haïtiens en 1937 à la frontière entre Haïti et la République dominicaine, une épuration ethnique menée par le dictateur dominicain Rafael Lenonidas Trujillo Molina. Il en résultera la mort de plus de 20 000 Haïtiens.

Un dévouement qui lui vaudra la Légion d’honneur du Mérite haïtien.

Il s’installe au Québec en 1940 avant de s’établir dans la ville ontarienne de Mattawa, où il pratiquera la médecine jusqu’à son investiture à la mairie. Il fait notamment construire une maison de retraite pour la nation autochtone des Algonquins.

Dévoué à sa ville d’accueil, très respecté et apprécié, il restera maire de Mattawa pendant 13 ans, jusqu’à sa mort en 1977.

Firmin Monestime, maire de Mattawa de 1964 à 1977. Crédit image : Musée Mattawa

Bernadette Clement, première femme noire mairesse en Ontario

Élue mairesse de Cornwall le 22 octobre 2018, elle est la première femme noire à devenir mairesse en Ontario, et la première femme et francophone à ce poste.

Née en 1965 à Montréal d’une mère franco-manitobaine et d’un père trinidadien, elle fait des études de droit. Inscrite au barreau de l’Ontario en 1991, elle fait carrière dans l’avocature dans le domaine de l’aide juridique.

Elle devient en parallèle conseillère municipale de Cornwall en 2006 et ce, pour trois mandats, avant d’être élue mairesse.

Le premier ministre Justin Trudeau la nomme sénatrice au Sénat le 22 juin 2021, représentant l’Ontario. Membre du Groupe des sénateurs indépendants (GSI), elle rejoint en décembre 2022, l’équipe des facilitateurs du GSI en tant que coordonnatrice en chambre.

Notamment membre de l’Association des juristes d’expression française de l’Ontario et de la Stormont, Dundas & Glengarry Law Association, elle reçoit un prix du Conseil du district et du travail de Cornwall pour ses services exceptionnels aux travailleurs blessés et un prix GEM d’Aide juridique Ontario pour ses réalisations exceptionnelles.

Bernadette Clement, aancienne mairesse de Cornwall aujourd’hui sénatrice. Archives ONFR