Tous les regards sur l’Ontario
[CHRONIQUE]
Les projecteurs seront tous braqués sur l’Ontario pour l’année 2015 qui déterminera l’avenir politique du pays en raison des élections en octobre de cette année.
SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville
Ayant abandonné le Québec depuis belle lurette, les conservateurs fédéraux tenteront de consolider l’Ontario afin de se maintenir en pouvoir pendant quatre autres années.
De leur côté, les libéraux mèneront une lutte acharnée dans les deux provinces du centre du pays afin de se remettre de l’humiliante défaite de 2011. Bref, le champ de bataille principal en politique au pays sera dans cette province, où 15 nouveaux sièges s’ajouteront.
L’Ontario a normalement la réputation d’être une province terriblement ennuyante sur le plan politique. Or, elle sera contestée d’arrache-pied par les trois principaux partis politiques sur la scène fédérale. En fait, si les élections ne sont pas encore déclenchées, le premier ministre Stephen Harper n’a pas tardé à travailler le sol ontarien.
Le chef conservateur a enfin rencontré la première ministre Kathleen Wynne après 396 jours de refus. Cette courte réunion de trente minutes avant un match de hockey a réussi à endiguer l’indignation provinciale à son égard. En s’entretenant avec la première ministre de la province, cette dernière ne pourra plus lui reprocher de faire la sourde oreille à la plus populeuse province du pays.
Wynne n’a pas caché son désir de voir Justin Trudeau remporter les élections de 2015. Rappelons que, lors de la campagne provinciale de 2014, elle s’est mise à lancer des flèches contre Harper, le transformant en souffre-douleur des problèmes économiques du pays. Désarmée, elle ne pourra plus apporter un soutien aussi rigoureux à Trudeau qu’elle ne l’espérerait.
Harper toujours maître du jeu
Harper maintiendra le cap sur l’économie, un thème qui, comme la météo, demeure proche des gens. Contrairement au climat, toutefois, l’économie est une nébuleuse floue, un terme attrape-tout qui a perdu son sens depuis la prise du pouvoir des « bleus » à Ottawa. D’ailleurs, avec le prix du baril de pétrole en chute libre, il sera intéressant de voir si le discours conservateur se taillera pour être plus ouvert sur le secteur manufacturier du Québec et de l’Ontario.
Les néo-démocrates, de leur côté, risquent de perdre des plumes dans la ville de Toronto. Si l’élection de juin dernier est prophète, Thomas Mulcair devra vraisemblablement plier bagage de Stornoway et se contenter d’une troisième position dans la Chambre des communes.
Mais le sort du NPD demeure une certaine énigme. Le parti fédéral a des politiques fort intéressantes pour les jeunes familles et une position tranchée à l’opposée du gouvernement Harper en matière d’affaires étrangères. En fait, ce parti se distingue de façon substantielle du parti d’Andrea Horwath. Si les électeurs torontois et du Nord ontarien maintiennent leur appui à Mulcair, il risque de jouer un vilain tour à Trudeau.
Une coquille toujours vide
L’appui inconditionnel de Wynne envers Trudeau a néanmoins de quoi surprendre. Les libéraux ontariens ont gagné la bataille de 2014 sur deux fronts. Le premier front, ne le cachons pas, est issu d’une campagne de peur (bien méritée) contre les progressistes-conservateurs qui proposaient un plan bidon de mises à pied pour rééquilibrer le budget. Difficile de se faire des amis lorsqu’on cherche à leur enlever leur gagne-pain.
Le deuxième front est sans doute celui des idées. Si Wynne a pu gagner une majorité, c’est qu’elle proposait des idées concrètes pour les Ontariens, notamment en matière d’un régime de pensions de la province. Certes, on est toujours à se demander si le régime verra le jour, car il est en veilleuse jusqu’au lendemain des élections fédérales, mais il s’agit néanmoins d’une idée qui a provoqué beaucoup de débats dans la province.
Or, une campagne d’idée est le contraire de ce que veut Trudeau. Sa faiblesse est sans doute sa méconnaissance des dossiers et son inaptitude à formuler une position claire et précise sur un enjeu. Rappelons que ses prises de position ont souvent contredit son caucus. Sa force demeure son talent de séducteur et ses coups de théâtre (expulsion des sénateurs de son caucus, position en faveur de la légalisation de la marijuana), ce qui est tout à fait contraire à la personnalité de la première ministre. Reste à voir si le chef des libéraux fédéraux se risquera à proposer des politiques fortes lors des élections à venir.
Il va sans dire que la campagne fédérale est déjà commencée. Il faudra surveiller quelle implication aura le gouvernement provincial qui a une occasion en or de faire valoir ses intérêts lors du scrutin d’octobre. Si quatre autres années de Harper demeurent le pire cauchemar pour Kathleen Wynne, elle serait sage de prendre un recul face à Trudeau qui ne dévoile toujours pas ses cartes.
Cette chronique est dédiée à la mémoire des journalistes de la tuerie à Charlie Hebdo, à Paris, qui a eu lieu cette semaine.
Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.
Note : Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.