Une guerre à deux

Le premier ministre élu du Canada, Justin Trudeau.

[CHRONIQUE]
Les conservateurs de Stephen Harper sont en déroute totale. Il semble impossible pour le gouvernement sortant de retrouver les 39% d’appuis qui lui ont donné sa majorité en 2011. La raison est simple et double : l’équipe de Thomas Mulcair a pris du galon depuis que le NPD est sur les banquettes de l’opposition, et Justin Trudeau, contrairement à Michael Ignatieff, est une figure très bien connue des Canadiens. Nous élirons probablement un nouveau premier ministre, le 19 octobre. Mais lequel?

SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville

Cette élection est, finalement, un combat entre deux figures, deux partis et deux plateformes, n’en déplaise aux conservateurs, aux verts et à Gilles Duceppe, qui voit couler le navire bloquiste à vue d’œil. Les néo-démocrates et les libéraux devront désormais cesser d’attaquer leur ennemi quasi-vaincu pour river leurs cannons l’un sur l’autre. Qu’est-ce qui pourrait distinguer les deux chefs et convaincre les Canadiens?

Les libéraux partent avec une très grande longueur d’avance et la raison est évidente : la marque libérale est bien connue. Sur la scène provinciale en Ontario, il y a un an, les électeurs ont décidé de lever le nez sur les progressistes-conservateurs et les néo-démocrates pour encenser de nouveau les libéraux pourtant criblés de scandales.

Kathleen Wynne, qui est beaucoup plus discrète maintenant qu’elle est sur la sellette en raison de parents mal informés au sujet de son nouveau curriculum d’éducation sexuelle, n’a qu’aidé l’équipe Trudeau en concentrant ses énergies à faire élire un libéral dans sa circonscription de Don-Valley-Ouest. Sa discrétion est un atout formidable pour les libéraux. Toronto qui était jadis la ville de Jack Layton devient très difficilement celle d’Olivia Chow. Sur la guerre des personnalités, l’Ontario connaît et adore MM. Trudeau et Mulcair n’est en rien Jack Layton. Avantage libéral.

 

Une guerre de plateformes

Plusieurs vont critiquer le NPD de pencher beaucoup trop à la droite lors de cette élection en refusant d’affirmer que le pays sera en déficit. L’équipe Trudeau a vu là une brèche qu’elle a su exploiter. Or, une plateforme de droite néo-démocrate, c’est plutôt l’adage de la présente chef ontarienne, Andrea Horwath. M. Trudeau a le beau jeu, car, étant le troisième parti, il peut s’amuser à faire ce que les néo-démocrates d’Ed Broadbent faisaient jadis : des promesses un peu farfelues, mais qui attirent un vote progressiste.

Au Canada, aucun chef de parti, en temps normal, n’ose se vanter de multiplier les déficits. Stephen Harper a piloté la pire économie canadienne depuis des décennies et il a simplement réussi à amputer l’État fédéral et vidé le trésor public. Pourtant, il affirmait toujours avoir la main solidement sur le volant et se vouait à équilibrer le budget.

Thomas Mulcair n’a aucun choix, à titre d’aspirant premier ministre, d’affirmer vouloir équilibrer le budget. Affirmer le contraire est – normalement – un suicide politique. Un déficit pour le prochain premier ministre, toutefois, semble être inévitable. Donnons à Trudeau crédit pour avoir le courage – pour ne pas dire la folie – de l’avouer.

Mais là où le bât blesse, c’est sur les politiques proposées. M. Mulcair, chevronné politicien, a proposé une plateforme qui, jusqu’à présent, fait de lui un chef d’État. De plus, les Canadiens connaissent ses politiques depuis plus d’un an. Il a deux grands atouts : il s’est vertement opposé à la loi C-51 sur l’espionnage sur les Canadiens et il veut mettre sur pied un projet de garderie nationale qui pourra soulager bien des parents et donner une plus grande marge de manœuvre au gouvernement québécois par rapport à son propre programme. En politique étrangère, le NPD paraît crédible. C’était pourtant le maillon qu’on estimait le plus faible du parti.

 

« Classe moyenne »

Du côté des libéraux, le plan se résume surtout à ceci : diminuer les impôts de la fameuse « classe moyenne » et offrir 125 milliards $ – une somme que personne ne peut s’imaginer – dans des projets dits d’infrastructure. Les idées sont vagues, par rapport au NPD qui étale de nombreuses petites sommes – 40 millions $ pour refinancer les foyers pour femmes, un programme réduit par les conservateurs par exemple. De plus, les libéraux ont eu une performance pitoyable aux Communes ces dernières années, notamment en appuyant le projet de loi C-51, tout en affirmant qu’ils étaient en désaccord. Le plan est confus et le précédent n’est pas encourageant. L’avantage est donc du côté des néo-démocrates.

Au final, l’Ontario, avec ses nouvelles circonscriptions et sa réputation d’être plus conservatrice que sa province-sœur le Québec sera le véritable champ de bataille des libéraux et des néo-démocrates, cette élection. L’avantage est sans doute du côté des libéraux. C’est une marque reconnue et les Ontariens ont toujours de maille à partir en raison du règne néo-démocrate de Bob Rae durant les années 1990. M. Mulcair, bien connu du monde francophone, devra montrer qu’il peut faire bouger des montagnes s’il veut percer à l’extérieur des châteaux forts ouvriers de la province.

 

Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.

Note : Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.