
Collège Boréal : trois décennies d’innovation et d’expansion francophone en Ontario

SUDBURY – Il y a 30 ans, le Collège Boréal ouvrait officiellement ses portes après de longues luttes pour offrir l’éducation postsecondaire en français dans le Nord ontarien. Depuis, l’institution francophone a progressivement élargi sa mission en devenant un acteur central de l’éducation en Ontario français. Retour sur les moments marquants des 30 dernières années, à travers le regard de ceux qui l’ont façonnée.
C’était le 6 septembre 1995. Le Collège Boréal accueillait ses premiers étudiants dans six localités régionales : Hearst, Kapuskasing, Timmins, Elliot Lake, New Liskeard et Sturgeon Falls.
Pour l’occasion, une grande célébration avait lieu durant toute une semaine dans le Nord avec des prestations d’artistes de renom et des activités soulignant aussi le 20e anniversaire du drapeau franco-ontarien.
Le site principal, celui qui est toujours en fonction aujourd’hui, n’a ouvert qu’en octobre 1997, après deux années de construction.

Mais la bataille n’était pas gagnée d’avance. Avant l’annonce de la création du Collège Boréal en juillet 1993, les étudiants francophones du Nord de l’Ontario avaient très peu d’options d’études postsecondaires en français, et l’idée même d’un collège francophone suscitait des débats auprès des autorités éducatives.
C’est finalement sous l’impulsion du gouvernement provincial de l’époque que le projet a vu le jour, après plusieurs années de demandes et de pressions de la part des communautés francophones.
« Prendre cette décision était essentiel pour promouvoir l’égalité entre toutes les communautés de la province », se souvient Bob Rae, alors premier ministre ontarien.

« Au début, certains dans la communauté collégiale estimaient que les étudiants francophones pouvaient simplement aller étudier au Québec. J’ai dû rappeler que le français est solidement implanté en Ontario, notamment dans le Nord, et que la communauté a toujours défendu ses droits. »
Des débuts audacieux
Jean Watters, nommé président du Collège dès août 1994, se rappelle des défis particuliers auxquels il a été confronté.
Il a fallu mettre en place rapidement six centres régionaux et les relier avec des technologies encore rares à l’époque. Un système « Megastream » de Bell Canada a permis la vidéoconférence et de réduire les coûts de communication.
« Nous avons été le premier établissement canadien à obtenir ce système, à intégrer l’utilisation des ordinateurs portatifs dans nos programmes et à éliminer les tableaux noirs pour les remplacer par un système de projection intégré », se félicite celui dont le mandat à la tête de l’établissement a duré quatre ans.

Daniel Giroux, actuel président, abonde dans le même sens : « Dès le début, le collège voulait être innovant, c’est le cœur de sa mission. »
En outre, le Collège Boréal a été la première institution à se doter d’une coopérative étudiante en Ontario et a été reconnu comme le collège le plus innovant en Amérique du Nord par l’American Quality Review Center en 1998.
Employabilité, immigration et cours de langue
La fermeture du Collège des Grands-Lacs en 2002 a marqué un tournant. Boréal a alors élargi sa portée pour desservir le Centre-Sud-Ouest de l’Ontario, de Windsor à Toronto.
« Au départ, Boréal était le Collège du Nord », raconte Daniel Giroux, actuel président du Collège Boréal. À l’époque, des programmes et services en français de Cambrian et Northern avaient été transférés au Collège Boréal.
Quelque 1300 « apprenants et apprenantes », comme on les appelait alors, suivaient une quarantaine de programmes, en ligne et en personne, sur les différents sites du Collège.

Depuis, l’institution a plus que doublé le nombre de ses programmes postsecondaires et d’apprentissage et a diversifié ses services pour inclure l’emploi, l’immigration et la formation linguistique.
« Il ne s’agit pas seulement de former des étudiants. Quand on parle de tous nos services, on parle vraiment de l’intégration socio-économique de nos étudiants et de nos clients », précise M. Giroux, à la tête de l’établissement depuis 2016.
En 2008, le Collège se distingue en devenant la première institution postsecondaire à être désignée en vertu de la Loi sur les services en français de l’Ontario.
Distillerie et baccalauréats
Un autre moment clé, selon Pierre Riopel et Daniel Giroux, est l’ouverture du campus de Toronto en 2012 et l’annonce d’un nouveau site dans le quartier de la Distillerie en 2018.
L’inauguration officielle a eu lieu en 2023. « On travaillait depuis longtemps pour avoir un campus permanent à la Distillerie. C’est vraiment impressionnant d’avoir ce beau campus à Toronto », souligne M. Giroux.
Après la fermeture du campus de New Liskeard en 2017, l’ouverture de celui de Windsor en 2018 et l’ajout de locaux à l’Université Saint-Paul d’Ottawa en 2019 et à London en 2022, le Collège est aujourd’hui implanté sur 34 sites, dont 8 campus, répartis dans 27 communautés ontariennes.
Pour Pierre Riopel, qui a été président du Collège Boréal de 2013 à 2016, cette vaste présence à travers la province constitue un atout, mais comporte aussi des défis. « Un des défis, c’est de créer ce sens d’appartenance dans chacune de ces régions de l’Ontario », explique-t-il.
L’année 2023 marque un tournant pour le Collège Boréal avec l’annonce par le gouvernement de l’Ontario de son premier baccalauréat autonome en sciences infirmières, un an après un financement conjoint des deux paliers de gouvernement.

Daniel Giroux souligne l’importance de cette évolution : « Le fait d’offrir des baccalauréats de quatre ans en administration des affaires et en sciences de l’informatique témoigne aussi de la croissance et de la maturité du collège. »
Expansion internationale et partenariats
En 2022, le Collège Boréal poursuit son expansion, cette fois à l’international, avec une première entente pour la délocalisation de ses programmes à l’École canadienne de Tunis.
Par la suite, le Collège annoncera un partenariat avec le Maroc ainsi qu’une collaboration entrepreneuriale avec la Chambre de commerce Québec-Afrique.

M. Giroux insiste : « Chaque site est crucial. Notre ambition est que Boréal soit reconnu internationalement pour la qualité de sa formation et son impact sur les communautés francophones. »
Ces dernières années, le Collège Boréal a multiplié les partenariats et ententes, notamment avec l’Université de Moncton (Nouveau Brunswick), le Collège Mathieu en Saskatchewan, HEC Montréal au Québec et l’Université Laurentienne en Ontario.
« L’avenir de l’éducation supérieure ne peut se concevoir sans coopération et reconnaissance mutuelle entre institutions, non seulement au Canada, mais aussi à l’international », souligne Bob Rae, ambassadeur et représentant permanent du Canada auprès des Nations Unies à New York depuis 2020.

L’apprentissage pratique comme fil conducteur
Pour des diplômés comme Crépin Foké, le passage au Collège Boréal représente souvent un tournant décisif : « Boréal m’a permis de passer du savoir théorique à la pratique sur le terrain. »
Diplômé en technique de mécanique automobile en 2019, le jeune homme d’origine camerounaise s’est lancé dans la création d’une entreprise spécialisée dans l’assainissement et la maintenance industrielle.
« Aujourd’hui, je dirige deux entreprises dans le domaine de la maintenance industrielle et automobile. Sans Boréal, je n’aurais pas acquis ces bases pratiques ni la confiance nécessaire pour poursuivre une maîtrise à Montréal », raconte-t-il, désormais installé dans la métropole québécoise.

En deux ans, les demandes d’admission aux programmes postsecondaires de Boréal ont augmenté de plus de 80 %, passant de 2 956 en 2022 à 5 380 en 2024, selon les dernières données du Collège.
Malgré l’imposition récente de quotas sur le nombre d’étudiants internationaux par le gouvernement fédéral, le Collège ne se dit pas affecté, à l’inverse du Collège La Cité d’Ottawa, et dit constater, au contraire, une hausse du nombre d’étudiants ontariens.
« Boréal est le seul collège ontarien ayant connu auprès de cette population, majoritairement ontarienne, trois années consécutives de hausse, soit une progression des demandes de plus de 50 % depuis 2022 », indique l’établissement, qui se présente comme le numéro un en Ontario.
Comment expliquer un tel engouement? « Ce qui nous distingue, c’est la Garantie Boréal », souligne M. Giroux, au sujet de ce programme qui offre aux diplômés n’ayant pas trouvé d’emploi dans leur domaine après 12 mois, la possibilité de suivre gratuitement une deuxième formation collégiale à temps plein.

Le collège francophone « le moins financé de l’Ontario »
Malgré ses réussites, Boréal fait toujours face à d’importantes contraintes financières.
« Nous sommes le collège francophone le moins financé de l’Ontario », souligne l’actuel président. « En 2019, nous avons subi une baisse de 13 % des subventions, alors que le modèle de financement n’a pas évolué depuis des années. C’est un défi permanent pour maintenir la qualité de nos services et l’accès à l’éducation. »
Selon lui, des changements s’imposent : « Le modèle de financement doit évoluer », notamment en tenant compte du gel des frais de scolarité qui pèse toujours sur le postsecondaire ontarien.
Pierre Riopel confirme : « Le financement demeure le principal obstacle pour les institutions francophones. Il est crucial de garantir des ressources suffisantes pour soutenir les communautés et assurer l’excellence des programmes. »

« S’il n’y a pas d’appui fort des gouvernements, et si cet appui ne se reflète pas dans la culture et les efforts visant à permettre aux gens de travailler et de vivre en français, cela mettra en péril l’avenir de la communauté francophone et de la langue comme langue de travail », estime Bob Rae, qui a également été député fédéral pour le Parti libéral.
Célébrations et perspectives
Le 30e anniversaire du Collège Boréal coïncide presque avec le 50e du drapeau franco-ontarien. Pour l’occasion, plusieurs célébrations sont prévues partout en Ontario.
Entre autres, à Kapuskasing, un volet se tiendra le 13 septembre lors du Business Awards Gala, en partenariat avec la Chambre de commerce du corridor du Nord. À Sudbury, un cocktail précédera le Banquet des Franco-Ontariens le 25 septembre, en collaboration avec l’ACFO du Grand Sudbury et l’AFO.
Du côté de Toronto, une réception aura lieu le 28 octobre en marge du Sommet francophone Finance & Investissement, en partenariat avec le Club Canadien de Toronto.
Pour les trois prochaines décennies, le Collège ambitionne de poursuivre sa croissance et de diversifier ses programmes.
« Nous voulons être reconnus comme la meilleure institution francophone au monde, tout en restant profondément connectés aux besoins des communautés locales et internationales », conclut Daniel Giroux.