Crise en RDC : des Congolais ontariens en colère
TORONTO – La République démocratique du Congo (RDC) s’enfonce dans une profonde crise politique, marquée par la répression sanglante de manifestations contre le président en place, Joseph Kabila. De nombreux Congolais, qui ont immigré en Ontario à la recherche d’une vie meilleure, sont choqués par la tournure des événements et appellent le Canada à l’action.
ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg
« Au Canada, je vis dans un pays où il règne la vraie démocratie, le peuple a le droit de manifester. En RDC, la constitution donne au peuple ce droit, mais le gouvernement le prive de le faire. C’est triste et pitoyable », confie Axelle Libis Joyce. Elle est choquée par les nombreux décès des derniers jours, alors que sa famille est toujours là-bas. « Tout cela parce que le président en place ne veut pas quitter le pouvoir », se désole-t-elle. La Franco-Torontoise originaire de Kinshasa, ainsi que de nombreux autres Congolais vivant maintenant au Canada sont exaspérés par les événements des derniers jours.
Dimanche, le 31 décembre, au moins une dizaine de citoyens du Congo se sont fait abattre par les forces de l’ordre, alors qu’ils voulaient manifester en faveur d’élections démocratiques. Le président du pays, Joseph Kabila, refuse pour l’instant de respecter un accord qu’il a signé permettant l’organisation d’un scrutin libre, le plus rapidement possible. Le mandat du président est pourtant expiré depuis décembre 2016.
« Le président a roulé tout le monde dans la farine! », lance Jean-Luc Kienge. Le Congolais d’origine dirige depuis le nord de l’Ontario une plateforme d’informations, La Voix de l’Afrique au Canada, à l’intention des citoyens du Congo. « C’est du jamais vu. Plusieurs des citoyens ont été tués au sein même des Églises. Il s’avère que le mouvement catholique est en train de s’imposer comme un contre-pouvoir à Kabila », explique-t-il.
Pression sur le gouvernement canadien
Alors que plusieurs pays de la planète dénoncent vigoureusement les événements des derniers jours, les ressortissants congolais au Canada interpellés par #ONfr dénoncent l’absence de gestes concrets de leur part pour mettre fin au règne du président Kabila.
Un Ontarien d’origine congolaise, Mwamba Tshibangu, organise la mobilisation en sol canadien pour forcer le gouvernement de Justin Trudeau à agir.
« Jusqu’à maintenant, la réaction canadienne demeure prudente. Nous envoyons des lettres au ministère des Affaires étrangères et nous recevons peu de réponses. Il faut être plus dure face à un dictateur qui tue sa population et qui la laisse vivre dans la pauvreté extrême » – Mwamba Tshibangu
Il compte organiser prochainement une manifestation à Toronto et à Ottawa pour motiver les décideurs à agir. « Nous devons sensibiliser le monde à ce drame. Il faut une transition citoyenne neutre pour mener le pays à une réelle démocratie. Et le Canada a un rôle à jouer, considérant que plusieurs de ses entreprises sont actives dans le pays », affirme celui qui est professeur dans une école élémentaire francophone de Toronto.
Jean-Luc Kienge rappelle que plusieurs membres du régime Kabila sont au Canada et d’autres préparent leur fuite. « Il y a beaucoup de gens très proches de Kabila qui ont profité de la faiblesse du système d’immigration canadienne pour venir ici. Ils soutiennent le régime à distance. Il faut un parlement canadien plus actif, si l’on croit réellement aux droits de l’homme », lance-t-il. « Je note quand même les dénonciations du gouvernement sur les réseaux sociaux, notamment par la voix de son ambassadeur au Congo », complète-t-il.
L’ambassadeur canadien en RDC témoigne des vives tensions
En poste depuis seulement trois mois, le nouvel ambassadeur du Canada en RDC, Nicolas Simard, connaît une entrée en matière mouvementée. « J’ai constaté une dégradation très rapide de la situation », confie-t-il, lors d’un entretien téléphonique avec #ONfr. « On peut très bien disperser une foule avec différents outils, mais là, la police a ouvert le feu avec des balles réelles en visant le haut du corps avec une volonté de tuer. Il y a une aggravation dans les formes de violence utilisée dans une volonté de susciter la peur et empêcher les gens de manifester », croit-il.
Seulement quelques heures après les événements du 31 décembre, il a diffusé un Tweet au nom du gouvernement canadien pour dénoncer la violence.
Il affirme que le gouvernement canadien tente de calmer le jeu, de pair avec ses partenaires internationaux. « Le Canada a une bonne influence au Congo, nous avons une bonne image. Contrairement à d’autres pays, nous n’avons pas de passé colonial ici. Nous sommes un joueur crédible et faisons partie d’un petit groupe de pays qui diffusent des déclarations communes », rapporte-t-il. « Mais c’est évident que l’écoute n’est pas toujours au rendez-vous. On sent avec le temps qu’il y a une fermeture par rapport à ce que des pays comme le Canada peuvent dire », déplore-t-il.
La RDC hérite annuellement en moyenne de 85 millions de dollars en aide du Canada. « Mais aucune de ces sommes ne va directement au gouvernement congolais », insiste M. Simard, faisant savoir que des organismes humanitaires et des organisations comme les Nations unies reçoivent plutôt ces fonds.
Pour cet observateur privilégié de la situation en RDC, la solution à la crise est claire.
« Plus vite des élections crédibles et démocratiques auront lieu, plus vite la stabilité sera retrouvée. Au cours de son histoire, la RDC n’a jamais connu de transition pacifique du pouvoir. On fait pression pour que cela arrive ainsi pour la première fois » – Nicolas Simard
Concernant le cas de Joseph Kabila, il se fait très clair. « M. Kabila doit annoncer qu’il quitte le pouvoir au terme du processus électoral. Ça fait partie des mesures qui avaient été prévues. Nous sommes derrière ce processus et nous ne somme pas dans une logique de soutenir une personne ou une autre, encore moins quelqu’un qui ne peut plus constitutionnellement se représenter », précise-t-il. M. Simard affirme qu’un processus électoral crédible permettra une alternance du pouvoir, mais que pour se faire M. Kabila doit annoncer dès maintenant qu’il ne se représentera pas, tel que prévu par la Constitution du pays et l’accord survenu en décembre 2016.
- 89 millions d’habitants
- Espérance de vie moyenne : 59 ans
- Langue officielle : Français
- 154e pays sur 180 quant à la liberté de la presse, selon Reporters sans Frontières
- 184e pays sur 195 quant à l’indice de développement humain