Le premier ministre David Peterson a perdu les élections ontariennes de 1990 qu'il avait lui-même déclenchées. Photo : TPL (Toronto Public Library)

Rappeler aux urnes les électeurs ontariens avant le terme de son mandat en juin 2026 assurerait probablement le maintien au pouvoir du premier ministre Doug Ford, si on se fie aux sondages. Mais dans l’histoire de l’Ontario, solliciter les électeurs plus tôt que prévu n’a pas toujours été une stratégie payante.

L’ancien premier ministre David Peterson en sait quelque chose. La manœuvre lui a coûté son siège de premier ministre et de député en 1990. Après trois ans au pouvoir, avec un gouvrnement majoritaire et fort d’une popularité certaine – trois points communs avec Doug Ford aujourd’hui –, le libéral a rappelé aux urnes les électeurs qui ont finalement élu, à la surprise générale, le néo-démocrate Bob Rae.

Son geste à l’époque avait été perçu par une partie de l’électorat comme une forme d’arrogance, alors qu’il jouissait d’une majorité confortable.

Le progressiste-conservateur Ernie Eves a connu un revers électoral similaire en 2003. Élu chef du parti en 2002 à la suite de la démission du premier ministre Mike Harris, il cherchait un mandat fort pour asseoir sa légitimité. Mais les libéraux de Dalton McGuinty sont sortis vainqueurs des urnes à la tête d’un gouvernement majoritaire, en faisant campagne sur l’héritage Harris et ses réformes controversées ainsi que sur le désir de changement.

Ernie Eves a rappelé les Ontariens aux urnes plus tôt que prévu, en 2003… Les électeurs ont porté les libéraux de McGuinty au pouvoir. Photo : TPL ( Toronto Public Library)

L’histoire peut donc se montrer cruelle envers les plus audacieux. Déclencher des élections anticipées constitue une grosse prise de risque rappelle la politologue Stéphanie Chouinard.

« C’est une carte que le gouvernement en place peut décider de jouer s’il pense que c’est stratégique pour lui de le faire, mais il y a toujours un risque que quelque élément hors de contrôle fasse dérailler la stratégie au profit d’une des deux oppositions », selon la professeure agrégée de science politique au Collège militaire royal.

Cette carte, de nombreux premiers ministres en quête d’une majorité plus large ont d’ailleurs su la jouer au bon moment justement.

Kathleen Wynne a rappelé les électeurs aux urnes en 2014, remportant un gouvernement majoritaire. Photo : archives ONFR

Lorsqu’après avoir perdu le soutien d’une partie de l’opposition le gouvernement libéral minoritaire de Kathleen Wynne a rappelé les électeurs aux urnes en 2014, ceux-ci lui ont offert un gouvernement majoritaire.

Avant elle, les progressistes-conservateurs George Drew (1945), John Robarts (1963) ou encore Bill Davis (1977) ont remporté des élections anticipées mais avec plus ou moins de succès. Davis et Robarts ont dû se contenter d’un gouvernement minoritaire.

Actionné récemment dans d’autres provinces, ce levier a mené à la victoire de John Horgan en Colombie britannique (2020) et Tim Houston en Nouvelle-Écosse (2024). Provoquer des élections anticipées peut ainsi se révéler être un très bon coup… quand il fonctionne.

Le premier ministre Bill Davis a hérité d’un gouvernement minoritaire lors des élections anticipées de 1977. Photo : TPL ( Toronto Public Library)

Phénomène d’usure et d’abstention

« Rappeler les électeurs trop tôt peut les contrarier et avoir un effet négatif sur la participation », avertit Alexandre Rivard, professeur adjoint à l’école de politique publique de l’Université Simon Fraser à Vancouver et coauteur d’une étude publiée en 2024 qui démontre que les élections anticipées, en désynchronisant les cycles électoraux, aboutissent à une usure de l’électeur.

« Les gens se fâchent ou se fatiguent s’ils sentent qu’on les sollicite pour des raisons qui ne les convainquent pas, dit-il, ajoutant que l’abstention sera d’autant plus importante si, dans une période rapprochée, deux élections surviennent. Ce qui pourrait se dessiner en Ontario, avec les provinciales et les fédérales dans la même année. »

Si une faible participation est signe de mauvaise santé démocratique, elle pourrait toutefois profiter à Doug Ford. « En 2022, il a formé un gouvernement majoritaire avec seulement 40 % de participation, rappelle M. Rivard. Pour lui, ce n’est pas donc une mauvaise idée d’aller en élections s’il pense que ce taux bas se maintiendra, car c’est son moyen de conquérir une autre majorité. »

« Quelle que soit la décision que prendra le premier ministre, il y aura toujours un élément de risque »
— Ian Roberge, politologue

« Quelle que soit la décision que prendra le premier ministre, il y aura toujours un élément de risque », synthétise le politologue Ian Roberge, professeur à l’École de politiques publiques et d’administration de l’Université York.

« Si M. Ford attend une élection à date fixe en juin 2026, les conservateurs fédéraux auront été au pouvoir pendant un an, la situation américaine avec Donald Trump demeurera très instable et des problèmes de politique ontarienne persisteront… Attendre pose donc un risque. Peu importe la décision, elle requiert un calcul risque-bénéfice par le parti au pouvoir. »