Des manquements qui touchent directement les Canadiens
OTTAWA – Le vérificateur général du Canada, Michael Ferguson, a déposé cinq rapports et deux examens spéciaux sur Via Rail et PPP Canada à la Chambre des communes, mardi 3 mai. Principale conclusion des rapports du printemps 2016 : les organisations publiques fédérales n’utilisent pas les données qu’elles recueillent comme elles le devraient.
BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet
« Un fil conducteur lie plusieurs de ces audits. Il s’agit du fait que les données que collectent beaucoup d’organisations publiques sont soit inutilisables, soit qu’elles ne sont pas utilisées, soit qu’elles ne déclenchent pas d’action », observe d’emblée M. Ferguson.
Le vérificateur général a étudié la mise en œuvre du plan d’action sur le capital de risque du gouvernement, la détection et la prévention des risques de fraude dans le programme de citoyenneté, les nominations aux tribunaux administratifs, la gestion de l’assurance-médicaments pour les vétérans et la préparation de la Réserve de l’Armée à se déployer lors de missions au pays et à l’étranger. Et les conclusions sont préoccupantes, selon lui.
Manque de surveillance
Ainsi, il remarque qu’Anciens Combattants Canada n’utilise pas adéquatement les données recueillies et n’offre pas une surveillance suffisante dans le cadre de son programme de prestations pharmaceutiques offert aux vétérans pour mieux comprendre comment ces derniers utilisent ces prestations.
Selon M. Ferguson, cela nuit à l’intérêt des vétérans et ce, alors que nombre d’entre eux sont vulnérables et ont besoin de soins particuliers pour traiter des problèmes de santé complexes, comme des troubles de santé mentale.
« Par exemple, le ministère rembourse le coût de la marijuana dispensée sur ordonnance à des fins médicales, mais il ne vérifie pas si les vétérans qui se servent de la marijuana à des fins médicales prennent aussi des médicaments prescrits pour soigner des maladies comme la dépression. La surveillance efficace de l’utilisation des médicaments peut contribuer à améliorer les résultats de santé pour les vétérans en faisant ressortir les cas d’utilisation de médicaments sur ordonnance où il y a un risque élevé. »
Fraude en matière d’immigration
En matière d’immigration, le vérificateur général rapporte que les efforts pour prévenir et détecter la fraude ne sont pas non plus adéquats.
« Cela veut dire que certaines personnes obtiennent la citoyenneté canadienne (et les avantages qui en découlent) alors qu’elles n’y ont pas droit », s’inquiète M. Ferguson qui souligne que la procédure de révocation de la citoyenneté en cas de fraude est très longue et coûteuse. Selon les chiffres de janvier 2016 d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, il y aurait environ 700 dossiers de révocation de citoyenneté en cours.
« Du fait de faiblesses dans la base de données du ministère, les agents ne disposaient pas toujours d’informations exactes ou à jour sur des adresses associées à la fraude, ou soupçonnées de l’être », peut-on notamment lire dans le rapport. Et d’illustrer : « Par exemple, une même adresse a été utilisée par 50 personnes pour demander la citoyenneté, mais elle n’est pas ressortie comme étant problématique. Sept de ces personnes ont obtenu la citoyenneté canadienne. (…)Le travail du ministère est aussi compliqué par le mauvais échange d’informations avec la Gendarmerie royale du Canada et l’Agence des services frontaliers du Canada. »
Servir et protéger la population
Pour M. Ferguson, les faiblesses dans la façon dont les ministères et organisations gouvernementales collectent des données, les utilisent et les mettent en commun ont « une incidence directe et prononcée sur la capacité de la fonction publique à servir et protéger les Canadiens et Canadiennes ».
Et ces manquement peuvent être graves, selon lui, quand, au sein de la Défense nationale, l’Armée canadienne n’a pas de données à jour sur les effectifs, ni ne sait si les soldats de la Réserve sont entraînés et prêts à être déployés, alors qu’elle compte sur eux pour remplir ses missions internationales.
« Nous avons constaté que certains soldats de la Réserve de l’Armée n’avaient pas acquis les compétences qui leur manquaient avant d’être déployés », remarque le rapport consacré à cette question.
De même, le processus utilisé pour nommer les présidents et autres membres de tribunaux administratifs étant très long, la capacité des tribunaux de rendre des décisions en temps opportun en est directement affectée, note encore M. Ferguson.
« À la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, le délai moyen pour traiter les appels de décisions d’immigration est passé de 10 mois, en 2009, à 18 mois (aujourd’hui). Compte tenu de l’importance du travail que font les tribunaux administratifs, ces délais et les engorgements qu’ils provoquent sont préoccupants », insiste-t-il.
Urgence d’agir
Selon M. Ferguson, les problèmes soulevés sont suffisamment sérieux pour obliger le gouvernement à agir au plus vite.
« Je crois que les ministères et organisations du gouvernement doivent se pencher de toute urgence sur cette question. Ils doivent travailler à obtenir les données dont ils ont vraiment besoin pour appuyer leurs activités. Ensuite, ils doivent s’assurer de les gérer correctement et de les tenir à jour. Enfin, ils doivent se servir de ces données non seulement pour informer les activités qui sont au cœur de leurs mandats, mais aussi pour alimenter la reddition de comptes et l’amélioration continue. »
Les différents ministères concernés ont accepté les recommandations du vérificateur général et se sont engagés à régler les problèmes soulevés.
« Nous accueillons favorablement les rapports du vérificateur général. Ces audits soulignent des points importants à améliorer, dont nous avons relevé un certain nombre et que nous traitons déjà. Nous modernisons la façon dont le gouvernement mène ses activités afin qu’il corresponde aux valeurs et aux attentes de la population canadienne. (…) Les recommandations du vérificateur général aideront le gouvernement à donner suite à ces priorités », a commenté, dans une déclaration écrite, le président du Conseil du Trésor, Scott Brison.
Le Nouveau Parti démocratique (NPD) a invité le gouvernement à agir rapidement.
« Le gouvernement libéral est au pouvoir depuis maintenant six mois, il est temps qu’il règle la question de la mauvaise gestion, qu’il supprime tous ces retards insensés et qu’il aide véritablement les Canadiens, a ajouté le porte-parole du NPD en matière d’infrastructure et de collectivités, Matthew Dubé. Nous avons besoin d’un gouvernement qui défend les intérêts de tous les Canadiens. »
« Les problèmes que nous avons soulevés sont assez faciles à régler », conclut le vérificateur général, qui a tenu son point presse et répondu aux questions des journalistes dans les deux langues officielles.