Des pistes pour améliorer la place du français dans la fonction publique
OTTAWA – Un rapport commandé par le greffier du Conseil privé préconise cinq pistes pour améliorer la dualité linguistique au sein de la fonction publique fédérale.
BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet
Près de 50 ans après l’adoption de la Loi sur les langues officielles (LLO) et malgré les dispositions qui prévoient de pouvoir travailler dans la langue officielle de son choix au sein de la fonction publique fédérale, il reste encore bien difficile d’y utiliser le français. C’est ce que constate le rapport de Patrick Borbey et Matthew Mendelsohn, publié mi-septembre.
« Quand on regarde la situation, il y a eu beaucoup de progrès depuis 15-20 ans. Le pourcentage de postes bilingues a augmenté, notamment. Mais on constate encore que beaucoup de fonctionnaires francophones ne sont pas à l’aise de travailler en français, ce qui n’est pas vraiment une surprise », explique M. Borbey, qui avait entamé ce travail avec M. Mendelsohn lorsqu’il était encore à Patrimoine canadien. Devenu président de la Commission de la fonction publique aujourd’hui, M. Borbey a fait des langues officielles une priorité.
Le nombre de francophones est pourtant aujourd’hui proportionnellement plus élevé dans la fonction publique qu’il l’est dans la population canadienne. Alors que les francophones représentent 23 % au Canada, ils sont 26 % dans la fonction publique et même 31 % des cadres de la fonction publique. Le nombre de postes bilingues a quant à lui doublé au cours des 40 dernières années.
« Dans certains ministères, il y a de bonnes pratiques et cela devient naturel de travailler dans la langue de son choix, mais dans d’autres, c’est plus compliqué. Dans les ministères scientifiques et techniques notamment, on s’habitue à une terminologie en anglais et on finit par travailler surtout en anglais. Et puis, parfois, comme francophones, nous sommes trop polis… »
Reste que seulement 67 % des institutions fédérales ont un Plan d’action pour les langues officielles ou utilisent un autre outil de planification pour s’assurer du respect de leurs obligations linguistiques. Et quand on interroge les fonctionnaires, les francophones sont encore très souvent bien moins à l’aise que leurs collègues anglophones d’utiliser leur langue maternelle en réunion ou pour rédiger des documents.
La prime au bilinguisme menacée?
Quinze ans après le dernier exercice du genre, MM. Borbey et Mendelsohn prévoient donc plusieurs pistes pour améliorer la situation.
Parmi elles, la révision de la prime au bilinguisme de 800 $, adoptée il y a 40 ans. Selon le rapport, celle-ci ne remplit pas son objectif puisqu’elle ne garantit pas l’utilisation véritable des deux langues officielles au travail.
« Cela a consolidé la culture « passer le test » », note le rapport.
Pour un meilleur résultat, le rapport préconise de recadrer la prime au bilinguisme pour établir un fonds utilisé exclusivement pour le perfectionnement des compétences linguistiques.
« Il faut s’assurer que tous les fonctionnaires qui ont le désir d’apprendre la langue seconde puissent le faire » – Patrick Borbey
Renforcer et améliorer l’accès à de la formation linguistique, recruter davantage d’employés bilingues, encourager le bilinguisme réceptif, font également partie des recommandations de MM. Borbey et Mendelsohn.
« C’est aussi une question de leadership. Les sous-ministres, les cadres supérieurs et les sous-ministres adjoints doivent montrer l’exemple », poursuit le président de la Commission de la fonction publique.
Les cosignataires du rapport comptent également sur les outils technologiques pour aider, notamment, les personnes qui ne sont pas bilingues.
Accueil mitigé de l’ACEP
La présidente de l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP), Emmanuelle Tremblay, se montre dubitative.
« Ce rapport a été réalisé sans nous consulter. Il contient des éléments intéressants, mais aussi un peu de pensées magiques et beaucoup de recommandations pour le long terme. Je trouve dommage qu’on ne fasse que peu référence au Bureau de la traduction dedans alors que c’est un outil essentiel pour le plein respect de la dualité linguistique. On devrait beaucoup plus y faire appel, notamment pour traduire des documents quand une personne veut l’écrire dans la langue de son choix. »
Mme Tremblay accueille également la remise en cause de la prime au bilinguisme avec scepticisme.
« C’est un bénéfice que nous avons obtenu. Pourquoi pas le revoir, mais il faudrait alors que ça s’accompagne en échange d’améliorations significatives en formation et que nous soyons consultés. »
Selon la présidente de l’ACEP, le rapport a également oublié un élément important.
« Nulle part, on ne souligne l’importance des formations linguistiques dès l’entrée en fonction des jeunes fonctionnaires alors que c’est à ce moment-là qu’ils apprennent le plus facilement et que le retour sur investissement est donc meilleur. »
Un bon tour d’horizon, dit le CLO
Du côté du Commissariat aux langues officielles (CLO) du Canada, la commissaire Ghislaine Saikaley se montre plus satisfaite.
« Ce rapport fait un excellent tour d’horizon de la situation actuelle et c’est un exercice qu’on devrait faire plus souvent. Il y a de très bonnes recommandations comme celles d’augmenter les exigences linguistiques des superviseurs dans les régions désignées ou quand on parle de changement de culture au sein de la fonction publique. »
La commissaire par intérim est en revanche plus dubitative sur le concept de « bilinguisme réceptif » ou sur l’idée d’un projet pilote déléguant aux gestionnaires d’embauche l’évaluation de certaines compétences linguistiques.
Interrogé par #ONfr, le greffier du Conseil privé, Michael Wernick, reconnaît, par courriel, qu’il y a encore du travail à faire.
« Je suis fier des progrès réalisés au cours des 20 dernières années pour établir une fondation solide pour la dualité linguistique dans la fonction publique, mais il y a encore matière à amélioration. Nous voulons que les fonctionnaires se sentent habilités à utiliser les deux langues officielles en tout temps et de manière novatrice au travail. (…) Au cours des prochains mois, je travaillerai avec les ministères afin d’étudier soigneusement les recommandations du rapport. En outre, en collaboration avec les parties intéressées, j’élaborerai un plan visant à améliorer le bilinguisme dans la fonction publique. »
Du côté du gouvernement, le bureau du président du Conseil du Trésor, Scott Brison, se dit ouvert aux recommandations du rapport.
« Notre gouvernement accueille favorablement le rapport, et nous examinons de près ses recommandations dans le but de renforcer l’utilisation des langues officielles dans les milieux de travail fédéraux. Les obligations en matière de langues officielles s’appliquent à toutes les institutions du gouvernement fédéral. Tout changement de politiques serait donc sujet à des consultations, notamment auprès des syndicats de la fonction publique du Canada », a répondu le bureau de M. Brison, dans un échange de courriels avec #ONfr.
Les 5 recommandations du rapport Borbey-Mendelsohn
Leadership : renforcer la responsabilisation et reconnaître les efforts des dirigeants qui favorisent et contribuent à un environnement bilingue.
Politique : établir les structures de gouvernance et les exigences pour soutenir un milieu de travail bilingue.
Culture : favoriser une attitude positive envers la dualité linguistique, encourager l’utilisation de la langue de travail préférée, et déplacer l’accent vers l’utilisation ouverte d’une langue seconde plutôt que vers son perfectionnement.
Formation : développer une culture d’apprentissage en offrant de nouvelles occasions de formation et en soutenant les employés qui participent à relever ce défi.
Outils : investir dans des outils et des technologies émergentes qui contribueront à rendre la fonction publique bilingue de façon délibérée.