Des services en français disponibles partout en Ontario?
TORONTO – L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) et l’Association des juristes d’expression française de l’Ontario (AJEFO) ont présenté, ce vendredi, la version finale de leur nouvelle Loi sur les services en français qui prévoit, notamment, des services provinciaux accessibles en français dans tout l’Ontario.
« Actuellement, je peux aller au palais de justice de Kingston et être servi en français, mais je ne peux y avoir un procès dans ma langue ni un juge qui peut me comprendre, car la Loi sur les tribunaux judiciaires n’a pas les mêmes régions désignées que la Loi sur les services en français. Ce que nous proposons, c’est de régler ces incohérences », explique François Larocque.
Le professeur à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en droits et enjeux linguistiques a participé, avec d’autres spécialistes des droits linguistiques, à la rédaction d’une nouvelle Loi sur les services en français. Des travaux entamés il y a plusieurs années déjà.
« Nous avons mené un sondage en ligne en 2017, une consultation sur notre ébauche à l’automne 2019, en plus d’un atelier lors de notre dernière assemblée générale annuelle. La communauté a établi ses priorités », explique le président de l’AFO, Carol Jolin.
Objectif : dépoussiérer une loi très peu modifiée depuis son adoption en 1986, à l’exception de la création du Commissariat aux services en français, en 2007, et de l’octroi de l’indépendance de ce dernier, en 2013.
Province désignée et rétablissement du commissariat
Parmi les grands changements proposés, l’abolition des régions désignées devrait permettre à tous les Franco-Ontariens de recevoir des services en français de la part de la province, et ce, peu importe l’endroit.
« Nous pensons qu’avec la technologie, c’est quelque chose de tout à fait réalisable. Il n’y a pas toujours besoin d’avoir une personne en face, le plus important, c’est que les services soient disponibles en français », précise M. Jolin.
Consacrant l’obligation d’offre active, la nouvelle loi obligerait également toutes les institutions qui reçoivent du financement de la province pour donner des services en son nom à offrir des services bilingues. Le gouvernement devrait également faire toutes ses communications en français et en anglais dans l’espace numérique.
Les principaux changements à la Loi sur les services en français
▶️ Accès aux services en français partout en Ontario
▶️ Enchâssement du concept d’offre active
▶️ Mécanismes de reddition de compte pour les institutions
▶️ Rétablissement d’un Commissariat aux services en français indépendant
▶️ Traduction des règlements et adoption de la version française de certaines lois
▶️ Reconnaissance du ministère des Affaires francophones
▶️ Mise en place formelle d’un conseil consultatif des Affaires francophones
▶️ Révision de la Loi tous les dix ans
« Nous proposons une loi améliorée, moderne et bonifiée », insiste M. Larocque. « La Loi actuelle n’est pas robuste. (…) Là, on serre les boulons, avec une meilleure reddition de compte des institutions qui devront fournir un plan à la ministre [des Affaires francophones], la possibilité pour les personnes qui constatent des manquements à la Loi de faire un recours judiciaire et le retour d’un commissaire aux services en français indépendant qui pourrait lui aussi saisir les tribunaux si nécessaire. »
Une dernière proposition qui sera sans doute difficile à obtenir puisque l’abolition du Commissariat aux services en français a été décidée par l’actuel gouvernement, en novembre 2018, et a toujours été défendue par la ministre des Affaires francophones, Caroline Mulroney.
Le politologue à l’Université d’Ottawa, Martin Normand, applaudit la clarté des changements proposés.
« Avec ses quatre priorités, le projet a une vraie cohérence. Toutefois, il me semble que sur le plan de la reddition ou sur le conseil consultatif, il y avait peut-être mieux à faire. On aurait pu demander au ministère de fournir un plan aux institutions afin de pouvoir mieux analyser leur évolution en matière de services en français. De plus, il aurait été intéressant de prévoir un meilleur mécanisme de consultation communautaire et de s’assurer d’un rapport de force plus équitable pour la communauté sur le comité. »
D’ici les prochaines élections
La route vers la modernisation est encore longue, mais le président de l’AFO est confiant.
« On a fait les consultations et travaillé avec une équipe très solide. On pense sincèrement qu’un projet de loi pourrait être déposé rapidement, d’autant que tous les partis ont appuyé la modernisation lors des dernières élections. Ce que nous voulons, c’est une adoption avant les prochaines élections », glisse M. Jolin. « Les priorités sont claires. On a un document et on voudrait le voir adopté intégralement. »
M. Normand se montre prudent.
« C’est un document qui va structurer le débat et qui peut inspirer le gouvernement. Mais il y a des revendications qui seront peut-être difficiles à obtenir, comme la désignation de toutes les institutions ou le rétablissement d’un Commissariat aux services en français indépendant », estime le politologue qui juge la ministre Mulroney plus intéressée par la francophonie économique que par la modernisation de la LSF.
Le bureau de Mme Mulroney ne ferme pas la porte à une désignation de la toute la province, mais explique, du même souffle, travailler sur un « projet pilote visant à simplifier et accélérer le processus de désignation ».
Dans un échange de courriels, la porte-parole de la ministre, Natasha Tremblay, assure que « l’intention de la ministre est d’aborder la modernisation de Loi sur les services en français d’ici la fin de son mandat ».
« Ce faisant, le gouvernement veillera à ce que la communauté franco-ontarienne soit consultée afin de bien comprendre ses besoins. Bien que la pandémie ait eu un impact sur le calendrier des travaux du gouvernement, l’objectif de revoir la Loi demeure le même. »
Le porte-parole aux Affaires francophones pour le Nouveau Parti démocratique, Guy Bourgouin, qui avait déposé un projet de modernisation de la Loi il y a près d’un an presse le gouvernement d’agir.
« Que Mme Mulroney fasse son travail de ministre! » – Guy Bourgouin, député néo-démocrate
« Ça devrait déjà être fait! Mme Mulroney a le pouvoir et surtout le devoir de le faire pour protéger les droits des Franco-Ontariens. Il y a du monde à Kapuskasing qui doit encore attendre 18 mois pour avoir accès au tribunal de l’aide sociale en français, alors qu’on parle de cas urgents! Je pense que désigner l’ensemble de la province est tout à fait faisable. Ce serait la moindre des choses! »
L’AFO entamera une campagne de sensibilisation auprès des ministres et des députés de tous les partis dans les prochaines semaines.
Cet article a été mis à jour à 16h08