
Refus d’une éducation en français : des parents aux TNO poursuivent le gouvernement

FORT SMITH — Alléguant que le gouvernement viole les droits constitutionnels garantis aux minorités francophones, Des parents de Fort Smith aux Territoires du Nord-Ouest ont décidé de poursuivre le gouvernement territorial alléguant un refus d’accorder une éducation en français langue première.
Cette ville collée à la frontière de l’Alberta et des Territoires du Nord-Ouest qui compte près de 2 500 habitants ne possède pas de programme d’éducation entièrement en français à l’heure actuelle, le plus proche étant à Hay River, à trois heures de route.
Des parents francophones ont réclamé, via des lettres et des communications directes, en 2024 et à nouveau en 2025 la création d’un tel programme, mais la demande a été refusée par la ministre de l’Éducation, Caitlin Cleveland.
Insatisfaits d’une telle décision, les parents ont déposé, devant la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest à la fin du mois de mai, une poursuite et une motion d’injonction pour forcer l’ouverture d’un programme dès la rentrée d’automne 2025.
« On va en cour pour faire établir nos droits pour que nos enfants aient accès à de l’éducation en français de langue première », résume l’une des deux porte-paroles, Geneviève Côté aux côtés de Renée Rodgers.
En entrevue, les deux mères s’inquiètent déjà de l’assimilation vers l’anglais pour leurs deux enfants en maternelle.
« Nos deux enfants sont dans la même classe. On voit que quand ils jouent ensemble, ils jouent ensemble en anglais. Alors, on voit qu’ils sont en train de se parler de plus en plus en anglais », s’inquiète Mme Rodgers, au côté de Geneviève Côté.
À l’heure actuelle, le seul choix qui s’offre pour les parents souhaitant faire éduquer leurs enfants en français dans cette ville est un programme d’immersion en français, qui lui est seulement disponible entre la 1re et la 4e année. Le groupe de parents, devant la cour, évoque l’article 23, qui garantit les droits à l’instruction dans la langue de la minorité. Ils soulignent aussi que plusieurs familles ont quitté la région dans les dernières années en raison de l’absence d’éducation dans la langue de Molière.
« On veut que nos enfants puissent continuer de vivre, communiquer en français et vivre leur identité, abonde Renée Rodgers. On veut qu’ils sentent que c’est normal de parler en français (…) C’est important pour nous, ce n’est pas juste le langage, c’est notre identité », soutient-elle.
Pas assez d’enfants francophones, selon le gouvernement
Pour ce faire, les parents s’appuient notamment sur des cas précédents aux Territoires du Nord-Ouest. À Yellowknife et Hay River, des écoles francophones ont été ouvertes dans les vingt dernières années avec parfois un nombre d’élèves se comptant sur les doigts des mains, mais qui a rapidement augmenté suivant l’ouverture.
De plus, à l’heure actuelle, même si elle le voulait, la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest (CSFTNO) ne peut aller de l’avant avec un projet d’école, car elle a seulement compétence sur deux territoires : Yellowknife et Hay River. Cela veut donc dire que la décision revient à la ministre de l’Éducation.
Des lettres adressées aux parents par cette dernière ont été déposées au tribunal. Caitlin Cleveland soutient, dans une des missives, qu’elle n’a pas d’obligation constitutionnelle de créer un tel programme à Fort Smith, évoquant notamment un trop faible potentiel d’élèves francophones, soit une trentaine, ce qui « est inférieur au seuil requis par l’article 23 ».
« À l’heure actuelle, rien n’indique que le nombre d’enfants de parents ayants droit à Fort Smith augmentera de manière à créer une obligation en vertu de l’article 23 », tranche Caitlin Cleveland.
Pas la première fois
Ce n’est pas la première fois que des parents francophones sont poussés à se battre contre le gouvernement ténois pour l’éducation en français. En 2023, la Cour suprême du Canada avait donné raison à un groupe de parents qui contestait le refus du gouvernement territorial d’accorder le droit à l’éducation en français à six enfants, car celui-ci estimait que leurs parents n’étaient pas des ayants droit au sens de la Charte.
« La Cour suprême a dit qu’il ne faut pas faire des interdictions totales pour nuire à la minorité et favoriser systématiquement les écoles de la majorité et les intérêts de la majorité linguistique. Et c’est ce qui est en train de se passer encore à Fort Smith », dresse comme parallèle, l’avocat des parents de Fort Smith, Francis Poulin.
En 2020, en Colombie-Britannique, après une bataille de plus d’une décennie, des parents francophones avaient obtenu gain de cause en Cour suprême du Canada contre le gouvernement provincial. Le plus haut tribunal canadien avait donné raison aux parents qui reprochaient au gouvernement un sous-financement chronique des écoles de langue française, se traduisant par des infrastructures et un transport scolaire insuffisants.

Ces deux causes ne sont pas prises en considération par le gouvernement territorial dans le dossier de Fort Smith, juge l’avocat.
« La nouvelle analyse nous donne le droit d’avoir un peu la même chose qu’à Hay River, à Yellowknife et ailleurs au Canada, parce qu’il y a suffisamment d’enfants qui pourraient s’en servir à long terme », argumente-t-il.
« Dans les Territoires du Nord-Ouest, on parle certainement de très petits nombres, poursuit-il. Mais on est confiant que notre analyse était bien fondée parce qu’il existe des très petites écoles pour la majorité linguistique et le gouvernement n’a pas l’intention de fermer ces écoles-là, mais pour la minorité linguistique, il juge que les nombres sont toujours insuffisants. »
Le gouvernement ténois a jusqu’à la fin juin pour répondre en cour.