Éric Barrette veut être au diapason de la francophonie diversifiée
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
OTTAWA – Fraichement élu président de l’ACFO Ottawa, Éric Barette est gestionnaire d’animation culturelle au Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario (CEPEO) mais aussi la voix derrière le balado Assis devant sur l’histoire de l’Ontario français.
Imaginiez-vous, quelques années en arrière, être un jour à la tête d’un organisme francophone?
Non, je n’étais pas prédisposé à m’impliquer dans la communauté franco-ontarienne. C’est venu à la suite d’un changement de carrière, il y a sept ans. Avant, j’œuvrais dans le domaine de l’environnement à Cantley (Québec) puis dans le développement économique en Outaouais, avant de revenir à mon amour premier : la francophonie, à titre d’animateur de l’école De La Salle, pendant deux ans, puis de gestionnaire d’animation culturelle au CEPEO.
Pourquoi ce revirement professionnel?
Je l’ai fait pour redonner à la francophonie ce qu’elle m’a apporté. Depuis ce temps-là, je me suis impliqué dans plusieurs organismes, comme le conseil d’administration de la Nouvelle Scène. Ce changement de carrière porte ses fruits : c’est un amour pour la francophonie que je vis quotidiennement, tant au niveau professionnel que communautaire.
En quoi consiste votre travail de gestionnaire d’animation culturelle?
Je chapote l’équipe des animateurs culturels dans les 13 écoles secondaires du CEPEO. C’est un accès privilégié à la jeunesse franco-ontarienne qui offre la possibilité de transmettre des référents culturels et la beauté de la francophonie à travers des activités en français.
Ce chapeau va-t-il vous servir dans votre nouveau rôle de président de l’ACFO Ottawa?
Ce contact avec la jeunesse franco-ontarienne peut certainement bénéficier à un organisme comme l’ACFO Ottawa. Ça me permet d’avoir le pouls direct de ce qui intéresse les jeunes et comment on peut les rejoindre, car ce sont eux les leaders de demain et les futurs défenseurs de la langue française. L’ACFO travaille par exemple en ce moment sur un projet en collaboration avec Le Réveil pour mettre en valeur des influenceurs via la plateforme TikTok.
Quels autres projets développe votre organisme?
L’ACFO travaille beaucoup par projet selon les financements. On peut parler de l’académie du drag, des activités mode, des murales, etc. qui répondent à des clientèles moins traditionnelles dans une communauté qui évolue rapidement et s’éparpille sur le territoire. Les dernières données statistiques démontrent une grande croissance dans l’ouest de la ville par exemple et une diversification due aux nouveaux arrivants.
Comment s’adapter à cette évolution?
Je crois qu’il est important d’aller a la rencontre de cette francophonie et d’avoir une offre variée qui va chercher la diversité de la communauté. Depuis la levée des restrictions sanitaires, les occasions se refont jour avec le retour de 5-7. On en a organisé à Orléans et à la Maison francophone de l’ouest. On compte aussi sur nos sondages annuels pour repérer les besoins de la communauté.
Le fait d’avoir déjà été administrateur puis trésorier de l’ACFO Ottawa constitue-t-il un avantage?
C’est une continuité logique. Avoir la connaissance de la culture organisationnelle est toujours positif. Sans compter que je suis entouré d’un noyau de gens qui connaissent très bien l’organisme. On a connu une belle croissance tant au niveau du financement que des ressources humaines : on est passé de 200 000 à 800 000 dollars par an et de 1 à 7 employés depuis que je suis ici.
Vous évoquez la continuité mais allez-vous imprimer votre propre marque?
Je ne veux pas réinventer la roue mais comprendre les besoins d’une communauté changeante et amener l’ACFO à être le porte-parole dans les quatre coins de la ville.
Comment comptez-vous faire entendre la voix des franco-ontariens durant les élections municipales?
On a envoyé un sondage à l’ensemble des candidats à la mairie. On accepte les rencontres avec les candidats qui nous approchent et cherchent à comprendre notre rôle. On découvre ainsi des alliés qui ne parlent pas nécessairement français mais qui ont une influence sur un secteur de la ville qui peut nous aider.
Le statut officielle d’Ottawa bilingue, adopté en 2017, est-il un échec?
Il y a encore des défis. La question n’est pas à 100 % réglée. Oui, la ville est officiellement bilingue mais on doit être à l’affût. Ceci dit, des programmes comme Ottawa bilingue (une subvention de Patrimoine canadien octroyée à l’ACFO pour faire du microfinancement depuis quatre ans) ont permis de tisser lien avec des organismes qui n’étaient pas dans giron de l’ACFO. On a trouvé des façons d’unir francophones et anglophones pour faire la promotion du bilinguisme. Avec la modernisation de la Loi sur les langues officielles, on s’attend à jouer un autre rôle dans cette voie.
L’ACFO ne devrait-elle pas se montrer plus offensive et revendicative vis-à-vis de la Ville pour l’obliger à honorer ce statut?
On prend position dans les cas flagrants, mais le travail se fait surtout en amont, auprès des conseillers municipaux. Le travail de coulisse est la meilleure façon de changer les choses, ce qui n’empêche pas des prises de position claires sur la place publique quand c’est nécessaire.
Mais depuis 2017, peut-on vraiment parler de bilinguisme?
Il y a eu certaines améliorations mais sur le papier ce n’est pas flagrant. La police d’Ottawa et OC Transpo, par exemple, sont exclus, alors que ce sont des services directs aux citoyens. Donc il y a des lacunes mais elles se situent dans la structure de la loi provinciale. On sent qu’on est écouté quand on fait des plaintes jusqu’à un certain point, mais c’est un travail continu face à ce qui n’est pas une volonté claire et précise de la part de la ville.
Que vous inspirent les chiffres du dernier recensement et le recul du français?
La diminution du poids démographique des francophones vient ajouter un défi supplémentaire. Ce n’est pas rassurant et il ne semble pas y avoir de solution concrète pour renverser la vapeur. On doit continuer de travail avec les gouvernements pour avoir et atteindre des cibles claires, nettes et précises, davantage pour les communautés hors Québec. On doit aussi dynamiser la communauté en Ontario pour qu’elle se sente franco-ontarienne à part entière. Le nouvel arrivant en Ontario doit se sentir inclus et impliqué dans la communauté. Parfois, le frein vient de l’accueil et de l’intégration qui laissent à désirer. On doit faire mieux.
Votre appétit pour l’animation culturelle vous a entraîné dans l’univers du balado et de la radio. Parlez-nous de votre création, Assis devant...
Assis Devant est un balado historique qui présente des histoires méconnues mais qui ont une portée au-delà de l’Ontario français. Jusqu’ici, j’ai diffusé quatre épisodes : l’Affaire Gouzenko (un réseau d’espionnage soviétique démantelé en 1945 au Canada), l’Ordre de Jacques-Cartier que mon arrière-grand-oncle, monseigneur François-Xavier Barrette, a cofondé, le parcours du milliardaire de Chelmsford, Robert Campeau, qui a tout perdu, et enfin Caledonia Spring, village thermal fantôme près d’Hawkesbury. D’autres sont à venir mais, étant père d’une fille de 14 mois, la dernière année a été assez chargée.
Pourriez-vous nous dévoiler le contenu du prochain épisode?
Ça portera sur Reesor Siding, un des conflits de travail les plus meurtriers au pays, qui a eu lieu dans une communauté forestière près de Kapuskasing, dans le Nord. C’est un sujet encore tabou aujourd’hui qui a divisé les fermiers et les forestiers du village Reesor Siding. Trois personnes ont perdu la vie dans un échange de coups de feu en 1963.
Comment avez-vous réagi au décès de Mariette Carrier-Fraser?
Elle a pavé la voie à tout ce qu’on peut vivre dans un conseil scolaire francophone. À titre de sous-ministre adjointe, elle a joué un rôle de premier plan dans la création des 12 conseils scolaires en 1998. Tout au long de sa vie, elle a défendu la francophonie. C’est l’exemple même de dévouement envers la francophonie qui fait qu’on peut vivre en français aujourd’hui et connaître le luxe d’avoir des conseils scolaires francophones. Je lui lève mon chapeau. C’est une triste perte, quelques temps après celle de Gisèle Lalonde. On a perdu, en peu de temps, deux grosses joueuses de la francophonie.
LES DATES-CLÉS D’ÉRIC BARRETTE
1990 : Naissance à Rockland, dans l’Est ontarien.
2016 : Quitte le monde de l’environnement.
2017 : Entre à l’ACFO Ottawa.
2021 : Lauréat du prix Intervenant en éducation de l’année.
2021 : Débute son balado historique Assis devant.
2022 : Devient président de l’ACFO Ottawa
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.