La couverture de "Par-delà les frontières" de Jean Mohsen Fahmy, publié aux Éditions David. Gracieuseté

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, place à la littérature avec l’autrice Monia Mazigh.

[CHRONIQUE]

L’histoire se répète-t-elle? Plusieurs historiens ont répondu différemment à cette question qui d’emblée paraît simple mais en réalité reste complexe et clivante.

Georges Satayana, penseur et philosophe américain avait dit en 1905, dans son livre The Life of Reason 1905, qu’« un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre ». Quelques années plus tard, le premier ministre britannique Winston Churchill avait repris une phrase similaire.

Alors qu’au 19e siècle l’économiste philosophe Karl Marx avait dit : « L’histoire se répète toujours deux fois, la première comme une tragédie, la seconde comme une farce. »

Dans son roman Par-delà les frontières, publié aux Éditions David, Jean Mohsen Fahmy nous fait découvrir une période méconnue de l’histoire du Québec qui, à plusieurs niveaux, nous rappelle ce que nous vivons aujourd’hui : la montée du fascisme, l’émergence de l’extrême droite, la propagande, le populisme et la haine des uns envers les autres.

L’auteur franco-ontarien a choisi la communauté italienne dans les années 40 avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Une communauté hermétique et insulaire qui a fui la pauvreté de certaines régions comme la Sicile ou la Calabre du début du 20e siècle et est venue chercher une meilleure vie dans un Montréal qui était aussi fermé sur lui-même, les Canadiens français d’un côté et les « autres » de l’autre.

La vie de ces Italo-Canadiens n’était pas facile. Comme plusieurs autres communautés qui se sont établies au Canada, elles voulaient gagner leur vie tout en gardant leur langue, leur tradition et leur culture. Chose qui n’est pas toujours bien vue par les deux peuples fondateurs : les Français et les Anglais.

Cet isolement de la communauté italienne lui a permis de travailler ardemment, de vivre ensemble, de protéger ses enfants et ses familles et de maintenir des relations familiales fortes, mais c’était aussi source de plusieurs problèmes. Les rumeurs qui circulent trop vite, la jalousie entre familles, la suspicion des « autres » et aussi l’attachement profond à la mère patrie et les idées qui y circulent.

Ces Italiens sont-ils vraiment des Canadiens ou sont-ils encore attachés à leur terre natale et aux idées dangereuses qui y émergent? Peut-on être à la fois Italiens et Canadiens?

La Seconde Guerre mondiale pour toile de fond

Pendant la Seconde Guerre mondiale, cette question avait une seule réponse : on ne peut être loyal qu’au Canada et tout autre attachement ou différence d’opinion est perçu comme une trahison ou un danger imminent pour la nation. Il va sans dire que c’est un environnement qui encourage la montée de l’extrême droite, qui étouffe les esprits, qui hait la différence et qui voit dans toute communauté tissée serrée une menace à la cohésion sociale.

C’est dans ce milieu que nous transporte Jean Mohsen Fahmy avec l’histoire de Carlotta, la fille d’immigrants italiens et de Mario son amoureux, fils de Canadiens français, qui se rencontrent dans le magasin du père de Carlotta et qui commencent ensemble une belle histoire d’amour. 

Maintes fois en lisant cette histoire je me suis trouvée en train d’établir des parallèles avec l’histoire des Canado-Japonais à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. En été 2018, j’ai eu la chance de passer trois mois dans la résidence de Joy Kogawa, une auteure canadienne d’origine japonaise qui a vécu une partie de son enfance à Vancouver dans la maison qui est devenue aujourd’hui une résidence pour écrivains.

Avant de partir de sa maison avec sa famille, forcée par une loi du gouvernement canadien de quitter la ville, pour un camp d’internement dans une région montagneuse et isolée de la Colombie-Britannique, la petite Joy a entouré le cerisier de leur jardin de ses petites mains et fait un vœu. Celui de retourner un jour au pays.

Son vœu a été exaucé des années plus tard quand elle est revenue visiter sa maison après l’exil et le déracinement dans son propre pays. Elle y est revenue adulte et reconnue pour ses talents littéraires.

Est-ce que l’histoire se répète?

En 2001, après les attaques du 11 septembre, le président américain Georges W. Bush a déclaré au monde qu’il fallait choisir son camp : où on est avec les États-Unis ou on est avec les « terroristes ». Du jour au lendemain, ma famille s’est trouvée, non par choix, mais plutôt imposée par les États-Unis et son allié le Canada dans le camp des terroristes. Mon monde s’est écroulé. Mon mari s’est retrouvé en prison et ma loyauté envers le Canada était remise en cause.

Une histoire d’amour dans des années d’enfer

Jean Mohsen Fahmy est un écrivain optimiste. Il nous raconte une histoire d’amour dans ces années d’enfer. Une histoire tragique où l’amour l’emporte sur la bêtise humaine, la haine et l’injustice. Et son optimisme n’est pas irréaliste. Joy Kogawa a triomphé. Mon mari a été libéré. Les Canada-Japonais ont eu droit à des excuses et des dommages de la part du gouvernement. Mais doit-on toujours passer à travers l’obscurité pour retrouver la lumière?

Pourquoi Carlotta et sa famille doivent-ils vivre l’injustice et la douleur pour qu’un jour ces Italo-Canadiens soient reconnus pour leur humanité et non pas par leurs racines italiennes et ce que d’autres Italiens ont fait ou commis comme actes. Est-ce qu’il faut toujours une deuxième, troisième, nième fois pour que les hommes apprennent leur leçon d’histoire.

Je ne sais pas si L’auteur a choisi cette histoire pour nous rappeler que l’injustice ne dure jamais, que les extrémistes perdent toujours, que le fascisme, même s’il peut séduire quelques esprits perdus, ne peut perdurer et que ces périodes sombres de notre histoire n’ont qu’une seule issue : disparaître graduellement et rester des taches sombres dans notre histoire commune.

Et cela malgré les terribles nouvelles qui nous arrivent, malgré les guerres violentes et les bombardements des populations civiles et la montée de la haine et de la violence. 

J’ose l’espérer.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.